Ô toi Liban, pays du soleil, pays de la lumière !  A peine t’ai-je quitté que déjà je me languis de toi. Ô toi Beyrouth pétillante de vie malgré toutes tes profondes souffrances, tu refuses de te laisser accabler et garde ta noble dignité. Erigée sur plus de 5000 ans d’histoire, ni les deux tremblements de terre, ni le raz-de-marée, ni le feu, ni les multiples conquérants, ni l’interminable guerre récente et l’hécatombe infligée par le plus redoutable des voisins, n’ont pu te tuer. Rayonnante, touchante, tu demeures.

Ô toi Liban, ton sol, tes pierres, tes cèdres millénaires, et tes villes imprégnées d’un passé si vivant me bouleversent… Byblos et ses ruines archéologiques avec leurs traces indélébiles des périodes néolithiques, cananénnes, phéniciennes, héléniques, romaines, des croisades. Et la somptueuse cité du soleil, Baalbeck avec son majestueux Acropolis romain plus fort que le temps, plus fort que les tremblements de terre. Tyr, Saïda, Tripoli et tant de fabuleuses villes détruites, redétruites qui ont su renaître de leurs cendres, sortir de la torpeur du deuil et retrouver l’éclat d’antan ou presque…

Est-ce parce que tu as manqué beaucoup de ton passé, beaucoup de ton présent que même ton gai chant oriental qui résonne à travers toutes tes rues est toujours, juste un brin triste ? Est-ce pour effacer tant de larmes et de deuils que tes bougainvilliers ornent d’un éclat sans pareille tes façades ? Les bougainvilliers rouges. Les bougainvilliers fuschias. Et les roses, les gardénias, les jasmins, qui t’embaument d’un parfum d’une infinie douceur. Même dans les coins les plus reculés de ton Sud encore sauvage, où se mêlent ténèbres et lumières, où s’étire inlassablement le silence dans les champs d’oliviers, de grenadiers et de figuiers sous un ciel limpide, d’un bleu azur, il fait bon vivre et rien ne peut surpasser le plaisir d’y siroter un petit café arabe, au parfum de cardamone. Et, lorsque vient l’heure de la prière, jaillit du minaret, un émouvant appel, telle une leçon d’humilité dans cette vie si éphémère. Vertige de la vie. Est-ce parce que les messagers de Dieu sont tous passés non loin de là, que sa présence imprégnée dans les murs, les pierres, les rochers, les arbres est tellement plus perceptible qu’ailleurs ?

Qu’elle est belle la Vierge Marie trônant à Harissa et ailleurs et qu’ils sont beaux ces minarets noyés dans la lumière du ciel ! Qu’elle est belle cette liberté laissant se mouvoir dans la plus grande indifférence, femmes voilées et dénudées ! Ton charme, Beyrouth… 

Avant de te quitter, j’ai arpenté tes rues, Beyrouth ! Surtout la rue Hamra, ma préférée et, en prêtant l’oreille j’ai pu entendre au-delà de la joie tapageuse comme une peur de rechuter dans les périodes funestes qui te dépeuplent, qui font taire tes rires et tes chants pour céder la place aux bombardements. Pour remplacer tes nuits au ciel étoilé par des nuits qu’illumine le pilonnage de la mort. Champ de batailles pour tant de causes régionales, tu frémis lorsqu’on nous bassine avec l’histoire des faux témoins, l’histoire du tibunal spécial pour le Liban concernant l’assassinat de l’ancien premier ministre, Rafik Hariri. Tu frémis aussi lorsque tu entends parler de l’expiration du moratoire sur l’implantation des colonies juives en Cisjordanie et de la reprise des constructions. Tu frémis de lassitude et, pour ne pas mourir sans avoir vécu, tu maitrises l’art de rendre incandescente la vie. L’art de ne pas laisser se fâner ton bonheur si fragile.

Si tu vas au Liban, n’oublie pas de passer par la rue Hamra, de boire un jus frais de perles. Perles roses, perles rouges de grenades. Poursuis ton chemin jusqu’à la corniche de Manara à Raouché car la mer y est si belle, le café si succulent, la chaleur humaine si brûlante. La nuit au ciel parsemé d’étoiles, si  belle à  te faire pleurer d’ivresse…

Sans doute, pour avoir tant enduré durant ces guerres interminables, ma mère m’a dit de ne pas m’inquiéter et qu’on n’entendra plus jamais le bruit des bombes au Liban. Elle rêve, ma mère, de ne plus revoir s’affaisser son pays. Ô  si seulement le "temps pouvait suspendre son vol" pour ne pas laisser se flêtrir cette exquise trêve, car pour toi, Liban, que de larmes avalées…