Créer une nouvelle rubrique « Chroniques roumaines » ? Pourquoi  pas ? Je m’étais en effet promis de vous évoquer la Casa de Clovni, lieu de vie et association naguère brestoire qui se consacre aux enfants, adolescents et jeunes adultes (sur)vivant dans les rues de Timisoara. Et voici sitôt et ci-dessous un aperçu d’une nouvelle spécialité roumaine, jouer aux petit·e·s soldat·e·s. Ce n’est certes pas en procrastinant qu’on émulera Marcel Proust, autre habitué de la remise au lendemain, ou en rassemblant quelques articles en chroniques qu’on égale Nicolæ Costin, Grigore Ureche ou Nicolæ Stoica de Hateg. Les chroniques attendront, contentons-nous de choses vues en vrac. Ne prenons pas prétexte à des apparentements qui seraient bouffons s’ils n’étaient pas tragiques pour hisser au rang d’annales des divertissements de trous… individuels.


Quoi de plus propice qu’un bon stage commando  pour renforcer l’esprit de corps entre prédatrices et prédateurs des entreprises et de leurs emplois? Allez donc crapahuter afin de mieux vous en prendre à des usines sous-évaluées et les envoyer au Tapie (le bernard l’ermite qui s’engraissait en passant de carapace à vider en carapace à récurer). Pour les « renflouer » et vous octroyer aussitôt de juteux frais de gestion puis trouver d’autres gogos via des fonds d’emprunts afin de leur refiler les nouvelles dettes, rien de tel qu’une formatrice escapade militaro-ludique. Casqué, pelle-bêche pliante en mains, on creuse son trou, on s’enterre, et on guette la proie, soit l’autre, petit patron ou syndicaliste en mal de financement pour sa croissance. Bref, ce qu’on apprend en jeux de rôles dans les écoles de commerce, on le rejoue style stage de survie en plus corsé. En treillis, munis de fusils d’assaut tirant des munitions en plastique contenant ou non de la peinture, on « extermine ».

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J’ai promis à Dominique, principal animateur et fondateur du Circ, la Casa de Clovni de Timisoara, de mentionner que la BRD, filiale de la Société générale et second établissement financier roumain, avait accordé un don de mille euros à son association vouée à sortir des enfants et des jeunes de la mendicité dans la capitale du Banat. Cela sera (re)fait quand je trouverai l’inspiration pour rendre compte de près de huit ans d’action sociale de l’Avis (pour une vie en changement, ou pour le rêve, selon que l’on traduit imagé ou non du roumain vers le français), son association.

 

Je tairai alors mes critiques, je ne m’interrogerai pas au sujet des activités ludico-formatrices de la BRD, filiale SocGen, pour ses cadres. Fréquentent-elles ou suivent-ils des stages sur le site de l’aéroport militaire de Timisoara ? Sont-elles ou accèdent-ils aux commandes des engins blindés réformés du parc-arsenal d’Orastie ? Rien n’est moins sûr et il est certain qu’il est beaucoup plus facile d’éreinter (ou calomnier) que de louer (ou magnifier). Je ne trouve en tout cas pas choquant qu’une partie des bénéfices engrangés en accordant des prêts aux étudiant·e·s de l’université Politehnica ou de Vest (de l’Ouest) allant les souscrire aux guichets de leurs aulas ou halls d’accueil puisse bénéficier aux enfants et jeunes errants et SDF de la ville. Dans l’article « La Maison des Clowns » des Nouvelles de Roumanie, l’auteur relevait « les étudiants s’amusent à leur jeter les restes de leurs sandwiches et rient de les voir se battre… ». C’est devenu exagéré, l’article date… un peu ; en tout cas je ne vois plus, depuis trois ans, de telles scènes le long de l’alea studentilor, au Complex studentesc.

 

Je ne sais pas non plus si, comme voici peu, celles et ceux du réseau Ecrinome (écoles de commerce françaises), les étudiantes et étudiants du Banat participent encore à des stages de survie. En tout cas, à proximité, ils ont le choix. Le bus 26, partant du Bastion de Timisoara, conduit à l’aéroport militaire du Banat où se déroulent à l’occasion des manœuvres conjointes de l’Otan. Vous vous y transformez en fusiliers-commandos de l’Air à la Defence School. « Dava vrei pace, pregasteste-te de razboi… » ou « si vis pace, parabellum », telle est la martiale devise de cette école qui propose un peu de tout pour se faire et faire mal. « Se folosesc fumigene, petarde, flash-banguri, grenade pentru airsoft, mine antipersonal, capcane… » (on utilise… mines antipersonnel et pièges, et tasers entre autres). Bref, il y a tout ce qu’il faut pour développer le « team building » et former des gardes du corps, du personnel de sécurité, voire des membres des forces spéciales, des fusiliers marins ou des dragons parachutistes. Prochain arrêt Kapica, Afghânistân ?

 

Notamment dans le Leicestershire, mais aussi de nombreux autres comtés du Royaume-Uni, on peut désormais, comme au Texas, conduire un char d’assaut, un véhicule blindé de l’avant, un tank quelconque. C’est à peine moins dispendieux en carburants fossiles et dégagements nocifs qu’un vol en hélico d’assaut et cela secoue davantage. La Roumanie ne pouvait demeurer en reste et le parc arsenal militaire d’Orastie y pourvoit désormais. On peut y loger dans des villas portant les noms de chefs militaires célèbres, tels César, McArthur, Laurence d’Arabie ou… Sanders (sic, car le fameux colonel des KFC, où l’on se pourlèche les doigts, ne resta qu’un an simple soldat à Cuba). Si à la cantine on vous sert dans des gamelles en alu, au mess des officiers, l’ordinaire vaut celui de Villa (Grigorescu, et non Pancho… révolutionnaire mexicain trop longtemps en guenilles pour figurer dans ce complexe militaire). L’ancienne fabrique de munitions reste entourée d’un parc de 80 hectares où qui le peut s’adonne à des loisirs pacifiques (équitation, parachutisme, et bientôt golf) ou belliqueux (parcours du combattant, combat rapproché, conduite d’engins blindés…). Les maréchaux des logis vont conduiront au choix ou selon vos moyens vers les dortoirs des bunkers ou vers des tranchées pour la nuit. Idéal « pentru tabere de vara, tabere de copii sau tabere de studenti », soit les colonies de vacances ou les camps d’été pour jeunes et étudiants, indique l’argumentaire de cet Arsenal Park d’Orastie (Transylvanie). Vous pouvez vivre la vie de garnison sans avoir à ingurgiter le picrate au bromure : palinka, horinca, tsuica, et bere (bière), vins du Recas ou de Murfatlar peuvent couler à flots. Orastie est plus proche de Deva, Cluj ou Sibiu que de la capitale du Banat mais le mensuel touristique Ce, Unde, Când Timisoara (quoi ? où ? quand ?) manque rarement d’en assurer la publicité, qu’elle soit payante ou rédactionnelle.

 

Les soutiens internationaux de la Maison des Clowns de Timisoara ont créé un spectacle de rue, L’Alarme à l’œil. Les clowns y sont en bretelles, mais non point démobilisés. Si, lors d’un séjour en Roumanie, vous songez à contribuer à l’effort de guerre en vous formant au parc de l’Arsenal où à la base aérienne militaire, pensez aussi que vous pouvez parrainer de jeunes SDF via l’association Avis. La BRD, la SocGen, l’a fait, pourquoi pas vous ? Et contrairement à Marcel Proust qui reportait souvent au lendemain ce qu’il pouvait faire la veille, vous avez la possibilité, de chez vous, sans même venir crapahuter en treillis, de contribuer à faire en sorte que des jeunes connaissent autre chose que le froid et la faim et la rue. Qu’ils retrouvent aussi une scolarité autre que l’école des rues. Et se forment à tenir un emploi, un artisanat. Peut-être pour finir par se faire embaucher dans un centre de « vacances guerrières » en tant que Gentil Organisateur Martial Expérimenté de votre war game roumain. Peut-être. Mais pas assurément. Et ce serait une toute autre histoire… un autre jeu de cirque… Allez, pour le moment, comme ne l’aurait pas écrit Cioran : Tilt !

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