(À noter : Je parle en tant que Québécois, et mes allégations peuvent ne pas s’appliquer en Europe, car je ne suis pas Européen. De plus, ce texte date du 9 février, peu après le désastre en Haïti) Y a-t-il seulement une personne parmi les gens qui lisent cet article qui n’a pas entendu parler de la «Tragédie d’Haïti»? Personnellement, je ne crois pas. Après tout, il s’agit d’une catastrophe naturelle tout à fait horrible qui s’abattit sur ce pays largement défavorisé.

En effet, environ  75% de sa population vit sous le seuil de la pauvreté, d’après une étude publiée en juin 2005 financée par le Programme des Nations Unies pour le Développement. Malheureusement, en plus de ce fait économique désastreux, Haïti semble être située dans une zone particulièrement à risques par rapport aux catastrophes naturelles. Les ouragans, les tempêtes tropicales et les pluies torrentielles semblent apprécier se donner rendez-vous dans ces villes vulnérables.

Or, quand je vois dans les bulletins de nouvelles tout ce qui se fait afin d’aider les milliers de victimes du séisme, je ne peux m’empêcher d’être légèrement amer et de trouver la situation tout bonnement étrange. Ne vous faites pas de fausses opinions, je suis d’accord avec le fait que ces gens méritent d’avoir tout notre soutien et que des ressources de tous les genres soient débloquées afin de leur permettre de passer à travers cette épreuve. C’est tragique. Les gens pleurent à la télévision. On fait des téléthons et des évènements bénéfices un peu partout. On ramasse de l’argent, pas mal d’argent… Tant mieux. À chaque jour, nous avons droit à notre cinq minutes d’Haïti (si ce n’est pas plus) : ils disent qu’ils ont encore retrouvés des gens, même après plus de dix jours…

Ils avancent des statistiques; les estimations s’accumulent. Plein de monde tente de deviner avec le plus d’exactitude combien de gens auront dépéris, au final. Un véritable concours macabre. Un média annonce 100 000 morts ; un organisme prévoit entre 120 et 150 milliers de décès ; l’autre gouvernement en craint 200 000. Qui aura raison? Personnellement, je n’en ai aucune idée et au fond, je ne tiens pas réellement à le savoir. Je veux dire, faut-il réellement mettre un nombre sur ces personnes? On ne peut pas simplement dire, par exemple : «Il y a eu tel nombre de morts.», parce qu’une personne n’est pas un chiffre. Mettons-nous dans une situation qui exprimera ma pensée : votre mère est morte dans un accident de voiture. À son enterrement, voudriez-vous que l’on dise simplement qu’une femme est morte?

Un être humain, ce n’est pas qu’une donnée, une variable. On ne peut pas le calculer, le quantifier. Nous pouvons le caractériser, bien entendu. Votre mère était en effet une femme. Une femme de 69 ans, disons. Elle avait des enfants. Tout cela est vrai. Nous pourrions enchaîner une multitude de termes sans pouvoir réellement dire qui elle est. Elle n’est pas qu’une suite de mots et de nombres. La considérer comme une donnée est véritablement un affront à son existence.

 Êtes-vous simplement un individu parmi tant d’autres? Êtes-vous simplement, par exemple, «l’humanoïde #4 131 876 229»? En tant que personne, je refuse d’être considéré comme tel. Aimeriez-vous que votre mère ne soit que la victime # 497 des accidents routiers? J’en doute. Je ne suis pas en train de vous dire que je trouve mauvais de compter le nombre de morts, mais qu’il serait plus avisé de faire preuve de davantage de respect envers ces victimes. 200 000 morts…

Ça vous semble énorme? Je suis d’accord. Combien d’argent ont-ils amassés au total? Je n’en ai aucune idée, mais cela doit être une somme assez considérable, dont beaucoup servira à la reconstruction des bâtiments. À ce stade, je dois vous poser une question : vaut-il mieux investir pour sauver des vies ou pour reconstruire des édifices? La question semble-t-elle idiote? Un bon nombre d’entre vous indiqueront sûrement sans hésiter que les vies valent plus que les édifices, du moins, je l’espère. 200 000 morts… De tous âges. Savez-vous ce qu’est le paludisme, mes chers? Une maladie également appelée malaria, propagée par la piqûre de certains moustiques. Une infection bénigne qui a totalement disparu dans les pays industrialisés. Une infection qu’on guérit en prenant un simple médicament qui coûte 2,40 dollars américains. C’est ridicule comme prix, n’est-ce pas? Et bien seriez-vous en mesure de m’expliquer pourquoi cette maladie cause environ 1,3 millions de décès par année dans le monde, dont 90% en Afrique subsaharienne?

Y a-t-il eu un téléthon pour aider ces gens-là ces derniers temps? Avez-vous envoyé un seul sou pour ça? 1,3 millions de personne par année, c’est environ 3600 personnes par jour. 148 par heures. Certaines estimations sont beaucoup plus hautes que celle-ci. Bill Gates pourrait acheter des millions des remèdes sans même que son porte-feuille ne frémisse, et cela vaut également pour les 800-quelques milliardaires de notre planète.

Dois-je continuer? Comment est-il seulement possible que nous ne sachions rien à ce sujet? Personne n’en parle. On en entend sûrement parler une ou deux fois par année par un chercheur inconnu que nous n’écoutons finalement pas par manque d’intérêt.

Pourquoi savons-nous ce qui s’est passé à Haïti? Les médias.

Pourquoi ne savons-nous que peu de choses sur la malaria? Parce que les grandes chaînes de télévision sont occupées à nous passer des émissions de télé-réalité, des téléromans idiots, des shows télévisés. La population en général est contrôlée. Nous sommes presque devenus une bande de moutons.  Oh, une dernière chose. Pendant que vous lisiez cet article, au moins cinq ou six africains sont morts de la malaria, si vous lisez vite. En ce qui concerne l’écriture, ça fait un grand nombre de morts. C’est bon pour la conscience, non? Ce que je dis ne vous touche peut-être pas, parce que, de nos jours, c’est uniquement lorsqu’on balance les images des cadavres devant nos yeux que nous réagissons.