À l’issue de son enquête, le journaliste des « Infiltrés » a dénoncé les pervers à la police.

Un journaliste peut-il, dans des circonstances extrêmes, dénoncer les criminels rencontrés dans le cadre de son enquête ? Épineuse, cette question est posée par la dernière livraison du magazine d’investigation «Les Infiltrés», qui sera diffusé mardi soir sur France 2.

Après un an d’enquête au cœur des réseaux pédophiles sur Internet, le journaliste Laurent Richard a dénoncé les prédateurs sexuels qui avaient accepté de lui parler. Vingt-deux hommes ont été interpellés. L’un d’eux a été incarcéré. «Certains pédophiles avaient l’intention d’abuser d’enfants ; d’autres étaient déjà passés à l’acte, justifie Laurent Richard. La décision de signaler leurs pseudonymes aux policiers a été prise au cours de l’enquête dans un souci de protection des enfants. Moralement, il était impossible d’agir autrement. Si j’étais rentré chez moi sans rien dire, je n’aurai plus jamais dormi de ma vie.»

Le journaliste considère avoir appliqué l’article 434-1 du Code pénal, qui punit la non-dénonciation d’un crime susceptible d’être empêché. Une obligation à laquelle ne sont pas tenus les journalistes, protégés par la loi sur le secret des sources. Aux yeux de Me Jean-Yves Dupeux, spécialiste du droit de la presse, la démarche relève d’un «regrettable mélange des genres». «En se faisant auxiliaire de police, le journaliste sort de son rôle, estime l’avocat. Son devoir est d’informer le public, mais son obligation déontologique, issue de toute la tradition de son métier, est de ne pas dénoncer ses sources.» Le secret des sources, qui permet d’instaurer une relation de confiance, est un gage de crédibilité du journaliste.

 

"Apprécier en conscience"

Me Dupeux admet une exception à ce principe : la possibilité de faire jouer son «option de conscience», afin de révéler un crime sexuel qui va être commis à l’égard d’un mineur. «Le secret des sources n’est pas une obligation intangible et absolue de se taire face au risque du pire, juge de son côté Me William Bourdon, avocat de la société de production Capa. Le journaliste n’est pas un robot. Dans une situation exceptionnelle, on doit le laisser apprécier en conscience s’il doit parler. »

L’enquête signée Capa montre les techniques d’approche des pédophiles qui fréquentent les forums de discussion pour enfants. Le journaliste s’est mis dans la peau de Jessica, 12 ans. «Ce sont une centaine d’adultes qui ont pris contact avec elle en quelques mois et certains ont insisté pour la rencontrer», relate Laurent Richard. Des rendez-vous ont été donnés. Le journaliste s’est alors présenté, puis a créé un climat de confiance propice aux confessions, filmées en caméra cachée. L’un d’eux lui a avoué avoir abusé de sa fille. À l’écran, le visage des pervers a été flouté.

La semaine dernière, dans un tout autre contexte, le problème de la responsabilité des journalistes avait été soulevé par la diffusion d’un reportage sur des trafiquants de drogue à Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis). L’interpellation, le même jour, de plusieurs dealers présumés dans cette cité a conduit certains observateurs à soupçonner une transmission d’informations entre journalistes et policiers. «Non seulement nous n’avons dénoncé personne mais ce travail a été fait en toute indépendance, sans jamais travailler, ni de près ni de loin, avec la police», avait affirmé Emmanuel Chain, le présentateur du magazine d’information de TF1 «Haute définition».