Ou comment j’ai retrouvé la foi dans le rock français en 26 minutes
Et cela s’est joué de peu !
Je traînais chez Gibert Joseph du boulevard St Michel, les bras chargés de ma dose hebdomadaire de came cinématographique et là bam ! Quatre regards lourds de sous entendus rock’n roll m’épinglent à deux pas de la caisse. Instant d’indécision : le morceau et le clip de « Loser » m’ont laissé dans les oreilles un goût fade de potentiel mal exploité ou sur médiatisé.
Rappel de la règle n°2 : toujours se méfier des engouements même de bonne foi de Rock&Folk. En sus, une tornade de commentaires négatifs accumulés de ci de là tourbillonne dans ma tête : « Franchement t’as entendu « Loser » mais c’est naze ! » « Je comprends pas comment des trucs pareils puissent passer à la radio » « Les mecs, les Naast, c’est du 100% piston, le père est rock critique et puis les filles, elles ont du sucer, ouar ouarf, ouarf ! »
Sauvé une fois de plus par mon esprit de contradiction, je chausse le casque et appuie sur « play ».
Le plus dur était fait mais il restait un pas décisif à franchir.
Les premières paroles d’ « Alchimie » manquent de me faire retomber tête la première dans mes a priori de jeunesse. « Putain c’est quoi ces paroles ? C’est niais, c’est pas recherché pour un rond ! ». Je tiens bon malgré tout et passe « Loser » pour ne pas tenter le diable.
Et voilà qu’arrive « Shake » et à ce moment précis où ces mots magiques descendent le long de ma colonne et plus si affinités en un long frisson électrique tout devient clair :
Shake, shake, oh baby shake, shake
oh baby shake, shake
oh baby shake, shake
Ouh! Ouh!
Dance some other(?)
Twist around the fire
Qui traduit en français nous donne:
« Secoue toi, secoue toi, oh bébé secoue toi, secoue toi
Je veux tenir ta main
Danse quelque chose d’autre( ?)
Danse le twist autour du feu »
Dans un grand éclair de lucidité qui foudroie sur place trois clients innocents et pulvérise la moitié du toit du magasin, je réalise que mes plus grands émois musicaux sont dus à des choses comme :
« Passe à travers pour aller de l’autre côté » « Viens donc bébé allumer mon feu » « J’attends mon homme » « Pas d’amusement » « Comme une pierre qui roule » ou encore ce texte sublime que je vous traduis pour la comparaison :
« Eh toi je vais te dire quelque chose
J’espère que tu comprendras
Et toi je vais te dire quelque chose
Je veux tenir ta main
Je veux teeeeeeennnnnir ta mmaaaaaaaaaainnnnnnnn
Je veux tenir ta main »
Il n’y a donc pas de raison de faire un procès aux Plasticines pour leurs textes d’autant plus qu’ils sont en parfait accord avec l’énergie électrique que dégage l’ensemble.
D’ailleurs un groupe qui s’est baptisé (plus ou moins volontairement) en l’honneur d’un vers de « Lucy in the sky with diamonds » ne peut pas être complètement mauvais.
Je continue donc de laisser ce boucan rafraîchissant se déverser dans mes oreilles et après environ six titres, ma main se dirige fermement vers le CD pour l’inclure dans ma pile d’achats.
Nouvel instant d’hésitation : serais je en train de succomber à la terrible hype, cette bête de légende qui cause chaque année la disparition de milliers de spécialistes du marketing qui s’enfoncent à sa poursuite dans la jungle épaisse et trompeuse du buzz pour ne plus jamais revenir ?
Un ultime coup d’œil vers ces quatre regards déterminés finit de me convaincre.
Quelques heures et autant d’écoutes plus tard, j’ai compris grâce aux Plasticines et à leur juxtaposition de titres en anglais et en français, que la méfiance qu’elles m’inspiraient était due à quelque chose de typiquement hexagonal qui explique pourquoi les grands groupes de rock ne sont pas nés en France mais de l’autre côté de la Manche ou de l’Atlantique. Cela n’a rien à voir avec une quelconque aptitude musicale ou un sens du rythme, c’est tout simplement que les Français semblent avoir une sainte horreur et un profond mépris pour les choses simples et les plaisirs immédiats sans autres prétentions que celles de nous faire bondir dans tous les sens, les poils dressés et le cerveau en feu en poussant des petits cris d’animal à fourrure. A titre d’exemple, un groupe de rock comme « Noir Désir » est l’archétype pour le meilleur (à mon sens) et pour le pire (à mon sens mais dans un autre) du groupe français : des chansons qui même lorsque la musique va à l’essentiel (le riff démentiel de Tostaky) ne peuvent s’empêcher de faire dans la sophistication avec de l’espagnol, une abondance d’images poétiques, un sous texte politique foisonnant. Un anglo saxon se serait moins embêté : « Soyons désinvoltes, n’ayons l’air de rien. Tostaky ! » beuglé ad lib pendant 2m 30.
Mais non, ce serait trop simple, trop évident, trop direct pour nous pauvres français.
Que pouvons attendre d’un peuple qui a inventé la diplomatie moderne et dont le président a expliqué en direct qu’une loi était mauvaise mais qu’il allait malgré tout l’entériner en demandant qu’elle ne soit pas appliquée en attendant qu’une meilleure soit écrite ?
Toute cette digression pour vous dire que le rock dans sa forme la plus primitive (le blues ?) c’est quelque chose de direct, de frontal et n’ayons pas peur de le dire, un peu simpliste.
You can’t get no satisfaction !.
Heureusement pour nous et pour elles, les Plasticines ne se sont pas embarrassées de scrupules et nous ont livré 13 chansons brutes et sans gras qui parlent essentiellement des relations homme/femme et du plaisir de secouer ses hanches sous un déluge de guitares.
Le tout ponctué parfois de petits hurlements sexys et d’onomatopées ludiques que l’on attend toujours sur le dernier disque des Stooges…
La question des textes étant résolue pour ceux qui n’auront pas peur d’assumer leurs plaisirs primitifs, il va falloir que je me penche sur la musique pour conserver la symétrie de mon plan.
Que c’est bon de se sentir chez soi et d’être en compagnie de charmantes demoiselles qui ont pris leur pied et leurs guitares sur ce qui vous (a) fait vibrer !
Impression générale: Ramones, Stooges, Kinks, Jefferson Airplane, Strokes, Doors, The Shangri Las, The Rolling Stones (le fameux ouh! ouh! de “ Sympathy for the Devil”!)
Dans le detail: “Shake” qui semble tout droit sortir de l’album des Dogs “Too much class for the neighborhood” avec cette voix pleine de morgue et de détermination; “Mister Driver” qui évoque à la fois les Beatles et dont le refrain reprend quasiment en accéléré le « Hello I love you » des Doors. « Loser », « La règle du jeu », « No way » ou encore « Tu as tout prévu » pourraient être du Nancy Sinatra en bien plus pêchu et « Everything is under control » sonne comme un mix explosif entre les Ramones et les Stooges au féminin.
Inutile d’étaler tout le catalogue, musicalement on rentre dans cet album comme dans une vieille paire de bottes en cuir : 26 minutes qui vont à l’essentiel.
Tout est là sans une seule faute de goût ; efficace, direct, jouissif.
Définitivement, les Plasticines savent y faire.
Des années qu’on en rêvait de ce disque, sifflotant ses mélodies qui tiennent sur trois accords dans nos rêves décadents ; chantonnant ses paroles pleines d’humour et de rage ludique dans nos songes électriques et là le réveil sonnait et on se cognait « Superbus » à la radio.
Pour tous ceux qui craindraient une sympathique succession de compositions jolies comme des cadavres bien préparés mais vidés de tout sang frais et de personnalité qu’ils se rassurent.
Ce disque est rigoureusement personnel et honnête.
Personnel parce que l’on sent que les fondations rock ont servi de socle aux obsessions des Plasticines avec d’une part le thème de la drague et de l’échec sentimental qui sont vécus sans fioritures du côté féminin (« Tu as tout prévu » « Loser » ou « No way ») et d’autre part cette volonté de faire revivre même pendant deux minutes cette insouciance juvénile des 60’s qui serait une sorte d’échappatoire et un espoir pour notre époque morose (« Zazie », « Pop in, pop out »)
Honnête parce que je ne sens chez ces filles aucun calcul pas plus qu’une volonté consciente de surfer sur la hype du revival rock. Elles sont là au bon endroit et, l’avenir nous le dira, peut être au bon moment avec des choses à dire, à hurler et à gémir en plus du plaisir frénétique de gratter sa leurs guitares comme si leurs vies en dépendaient. Trop d’années passées à souffrir les bouffonneries pompeuses, formatées et hypocrites de nos « stars de la chanson française » devraient au moins nous avoir permis de détecter immédiatement le talent quand quelqu’un chante des trucs aussi réjouissants comme « I can feel your hop hop wom ; never stop your wop bom dom » sur fond de progression d’atmosphérique du batterie déchaînée.
Les Plasticines chantent de toutes leurs forces de choses simples qui les touchent et ça se sent.
Et pour les ultimes détracteurs qui seraient restés jusque là dans la salle et qui continuent à penser que tout cela est nul à chier, un gros soufflé power pop qui retombera bien vite, voici l’argument imparable de Lester Bangs :
« J’ai fini par comprendre que la nullité était le plus authentique critère du rock n’ roll, que plus le boucan était primitif et grossier, plus l’album serait marrant et plus je l’écouterais longtemps. »
Amen.
Mark my words : ces quatre filles sont un rayon de soleil et un espoir qui vient caresser du bout des bottes le morne champ du rock français et dont la chaleur pourrait bien faire surgir de nombreuses pousses pour peu que chacun sème la bonne parole à tous vents.
Comme elles le hurlent complètement déchaînées pendant les dix dernières secondes de l’album : Everything is under control !
Putain, j’espère qu’elles savent vraiment ce qu’elles font !
Putain, j’espère qu’elles ne savent surtout pas ce qu’elles font !
Et pour finir, il faut aborder une question capitale que j’ai choisi de ne pas évoquer en début d’article pour ne pas effrayer le lecteur et qui est l’apanage d’un groupe composé de charmantes jeunes femmes troublantes et excitantes et non de beaux mâles ambigus et dévastés :
Et vous, quelle est votre Plasticine préférée?