même combat, mais au Caire s’était pour une démocratie laïque, à Istanbul c’est contre l’islamisation rampante.
Place Taksim lieu des affrontements. Cliquez sur l’image, référence Wikipédia.
La place Taksim est le lieu de la contestation comme le fut la place Tahir en Égypte, mais c’est du parc Gezi qu’il s’agit, l’un des espaces vert d’Istanbul. Un sacrilège pour les amoureux de la nature qui se rassemblèrent le lundi 27 mai dans le parc après que l’arrivée des machines à démonter les 600 arbres du parc fut annoncée sur les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux le support de la liberté, la voix des indignés de Tunisie et d’Égypte, et du monde, voir Les indignés de Wall street. Des jeunes de gauche bien sûr mais aussi de tous horizons politiques qui n’admettent pas que tout soit bétonné, et qui furent accusés de gauchistes par les autorités qui font vite dans la caricature. C’est sous le mouvement «solidarité Taksim», qui regroupe 116 partis et associations pour la préservation du parc Gezi, qu’ils manifestent. Ce sont les propos cinglants du premier ministre Erdogan, à la suite de sa rencontre avec les représentants du mouvement de contestation qui, déclara dans un communiqué, «ce n’est pas une bande de pillards qui va me faire reculer» soulignant que la «nation exprimait son choix» tous les quatre ans, qui firent que les manifestations s’amplifièrent. «Une démocratie ne signifie pas seulement une victoire aux élections», mais aussi «tous les modes de coexistence doivent exister» déclara aussi le Président de la République, Abdullah Gül, affirmant que le message était reçu. Entre le premier ministre Erdogan et le président Abdullah Gül, ce n’est donc pas l’entente parfaite, et Erdogan serait de plus en plus isolé. Il lui est reproché, entre autre, la paralysie des négociations avec l’Union européenne.
Du printemps arabe au printemps turc en quelque sorte, le monde musulman évolue, mais des situations différentes. La Turquie d’obédience musulmane à 96 %, est solidement soutenue par les industriels, elle bénéficie d’une croissance de 5 % en 2012 qui est attribuée à Erdogan. La prospérité du pays est sur une bonne voie pour ne pas que soit contesté le premier ministre aux élections municipales en mars 2014, eu égard au fait que la Turquie, en dehors des grandes villes, est à forte composante musulmane, il suffit d’y aller pour voir. La nouvelle livre turque qui vaut la moitié d’un euro permet à l’économie d’être compétitive sur les marchés. La dette souveraine est à 57 % du PIB et le déficit à – 2,25 %, et un taux de chômage de 8 % de la vie active en 2012.
Les grandes villes européennes Istanbul, Ankara ou les manifestants décidèrent de marcher sur le parlement, mais aussi Izmir à l’ouest autre bastion de la modernité et de la laïcité turque, Antalya au sud touristique, les manifestants cristallisèrent le rejet de la politique autoritaire de l’APK. Accusé de vouloir instaurer petit à petit une «république islamique» Le mouvement protestataire devient plus politique. L’occasion était belle à l’opposition incarnée par le parti kémaliste CHP, très laïque, et d’autres formations de gauche, de récupérer ce «printemps turc», s’affichant massivement avec les manifestants, mais cela n’y suffit pas. Recept Tayyip Erdogan chef de l’APK, le parti pour la justice et le développement de centre droit très soutenu par la communauté musulmane reprit la main dès son retour de son voyage au Maghreb ou plusieurs milliers de partisans vinrent l’accueillir à l’aéroport, exigeant la fin des manifestations. «A partir de maintenant nous n’aurons plus aucune tolérance pour ceux qui veulent poursuivre les incidents», déclara-t-il le 11 juin. Le même jour, 73 avocats furent interpellés lors de protestations anti-gouvernementales. Les manifestations reprirent le 12 à Istanbul et dans la capitale. Jeudi 13 juin, à Ankara, Erdogan lança un «dernier avertissement», déclarant que sa «patience touchait à sa fin». Les manifestations firent 5.000 blessés et provoquèrent la mort de quatre personnes. Tout ceci montre que ce pouvoir applique la démocratie de la bastonnade contre une revendication juste et sociale qui l’élimine pour un temps de l’intégration européenne.
On sait que l’APK fut accusé d’activités anti laïques et que la Cour constitutionnelle rendit un verdict sibyllin le mercredi 30 juillet 2008. Il faut lire entre les lignes pour comprendre ce se passe en Turquie. C’est l’islamisation qui commença par le vote d’une loi restreignant la vente et la consommation d’alcool. Cela ne trompe pas sur les intentions d’islamisation.
Le début les manifestations firent plusieurs centaines de blessés et plus de 1.700 arrestations, on n’en serait à 7.500 blessées selon les dernières informations. C’est le projet de réaménagement urbain d’Istanbul visant à détruire le parc Gezi, promenade en français, pour y construire à la place la copie d’une ancienne «caserne ottomane» qui doit abriter une mosquée, un centre culturel, et un gigantesque centre commercial, à la place des arbres, des allées, des pelouses, des bancs et de l’herbe.
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C’est ce qui fit déborder le vase entre le désir de liberté la jeunesse et le conservatisme musulman. Comme au «printemps arabe», la police turque n’a vu que la répression pour mater cette expression de liberté en déployant des blindés, brûlant les tentes et chassant les manifestants pacifiques à coups de gaz lacrymogène, et de camions à eau. Ces images de violence policière firent le tour de la Turquie et du monde. De mémoire c’est la première fois que cette jeunesse se manifeste ainsi. Ces violences ont indigné jusqu’aux pays alliés, à commencer par les États-Unis, ainsi que des organisations de défense des droits de l’homme. Le 3 juin, le secrétaire d’État américain John Kerry s’est dit «inquiet de l’usage excessif de la force», et le président du Parlement européen Martin Schulz a jugé que la «sévérité dont a fait preuve la police était disproportionnée». Le commissaire européen à l’élargissement, Stefan Füle, appela la Turquie à «ne pas abandonner ses valeurs de liberté et de respect des droits de l’homme», ajoutant que le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE n’était pas suspendu.
Comme dans les révolutions arabes à leur début, initiées par des militants laïques et progressistes, les réseaux sociaux, Facebook, Twitter, ont joué un rôle crucial dans cette levée de la jeunesse. Décidés à défendre Istanbul, symbole de la Turquie européenne, prospère, laïque, et occidentalisée, et son quartier fétiche, Taksim, lieu de la contestation depuis les années 1970 consécutives à un coup d’État en 1971 des militaires, lors d’affrontements de groupes révolutionnaires d’extrême droite et d’extrême gauche. La place Taksim est tout un symbole de l’histoire turque. Ce coup d’État se traduisit par un net recul de la démocratie. Les militaires qui se donnèrent un rôle important dans la Constitution, mirent en place un Conseil national de sécurité pour préparer le retour des civils au pouvoir.
Ces manifestants se sentirent proches des premiers sociaux-révolutionnaires laïques du «printemps arabe», prenant à leur compte cet outils de communication formidable qui bouleverse sans que l’on s’en rende compte les injustices et les abus des pouvoirs. Le mouvement 5 étoiles en Italie réussit à mobiliser 28 % des électeurs sans autre moyen que les réseaux sociaux, et entrer aux deux chambres parlementaires.
Récemment, les manifestants dénoncèrent les condamnations à de lourdes peines de prison pour «blasphème» du célèbre pianiste Fazil Say et de l’écrivain turc d’origine arménienne Sevan Nisanyan, également sans précédent dans ce pays supposé «laïque», sans oublier la destruction du mythique cinéma Emek de Beyoglu, autre quartier symbole du pluralisme turc.
Un tout récent un sondage nous apprit que près de 63% des Turcs se prononcèrent contre le projet de destruction du parc Gezi. Une victoire pour Erdogan ? Ou une image d’intolérance qui compromet l’avenir de la Turquie dans l’Union européenne en perdant toute considération internationale, par ses blindés contre cette jeunesse, cela rappelle la place Tian’anmen.