Catherine Ursin vient de disposer de nouvelles créations – appliques métalliques, tableaux d’un carnet de voyages en technique mixte –  à la galerie E’terna (Paris). C’était l’occasion de lui « taper la plaque » devant les siennes…


D’accord, cette photo ne rend pas très hommage à Catherine Ursin, ni d’ailleurs à son travail (l’éclairage des poissons, au centre, est un bidouillage de retouche trop rapide…). Mais, bon, sa carte de vœux 2010 n’est pas trop, elle, maltraitée. Catherine expose donc jusqu’au 27 février 2010 à la galerie E’terna (sans point derrière le « i » qui n’en est pas un, puisqu’il s’agit d’une manière élégante, usitée dans le monde de l’affiche, pour accentuer certaines capitales), 3, rue de Miromesnil (métro… Miromesnil, descendre la rue vers la Seine).

 

J’avais découvert le premier volet de son triptyque chez Dorothy Polley (Dorothy’s Gallery), en isolation, sans savoir qu’il s’agissait d’Eurydice. J’aurais pu m’en douter (la dryade fut la proie – voire la lamproie aux sept orifices – d’un malin serpent et Orphée passe le Styx océanide et arcadien, sourcilleux lors de la traversée, pour charmer Cerbère puis Perséphone, et récupérer sa moitié). Charon et Catherine Ursin n’ont qu’une « r » en commun, mais au moins un lien, ne fusse-t-il qu’homonymique : Vulcain n’est pas leur cousin, mais… l’une des deux forge l’airain. J’aurais donc pu m’en douter à l’aide d’une charade à tiroirs, genre Vénus de Dali

 

Or donc, niaiseux, Orphée se retourne tel Loth fuyant Sodome et c’est peut-être le peu de ressemblance entre les poissons du Styx de Catherine et des baudroies qui a eu raison de ma perspicacité. De toute façon, le Styx n’est pas salé, quoique plutôt amer… Orphée se comporta comme une arpète, un grouillot, et hop, plus d’Eurydice. Dans le second tableau, on le voit se grattant le banjo abdominal et la pauvre Eurydice, un pied, puis deux pieds dans l’eau, se voit refuser le passage : retour chez Hadès illico. Ce n’en est point fini d’Orphée qui en perd le goût de chatouiller sa lyre. Du coup, les Ménades frustrées en veulent à ses gonades et n’en pouvant rien tirer, elles lui tranchent le col et font rouler son chef coiffé en brosse dans l’Hébros…

 

J’ai imaginé que le nouveau passage du fleuve avait glacé Orphée, d’où le coup de projo sur l’eau. En fait, je n’aurais pas dû : c’est bien rouillé que l’Orpheo parvint chez les Bacchantes, qui ne réussirent pas pour autant à le dégeler, mais le décapèrent (et c’est ce troisième tableau qui méritait le polissoir, pas le second).

Que peut bien susurrer la tête d’Orphée à l’oreille de Catherine Ursin ? L’un des chants de Lesbos ? Non point… Peut-être une batucada du film de Marcel Camus. Ou une bluette de Jacques Demy, dans Parking. C’est sans doute Entre vous deux, car je n’ai rien perçu. Les rapports entre l’orphisme d’Ursin et le cubisme analytique des Delaunay est ténu : certes, elle a parcouru le Maroc en chevauchant une grosse cylindrée multi-soupapes (quand on porte un patronyme d’antipape, on ne saurait pérégriner à mulet) à pot catalytique, mais ses carnets de voyage n’évoquent guère Sonia (période Cendrars pourtant incluse).

 

J’ai une autre photo de Catherine, beaucoup plus à son avantage, mais elle n’avait pas la main à l’esgourde. Pour tout dire, elle avait l’air sourde à ce que lui chantait Orpheo d’un habile coup de glotte (qui est à la baudroie glougloutante ce que… mais je vous laisse imaginer la suite). Question explo des glottes, la carte de vœux de Catherine, qui suggère ses carnets (à spirales) de voyages, vous ranimerait un mort. Je ne sais si cette dualité toute blanche, toute noire, lui a été inspirée par les zombies et les guédés de la galerie Marassa Trois (elle y revient quand elle le voudra…), mais les globes de sa dame m’ont évoqué les cernes tout blancs des yeux des personnages haïtiens. C’est une toute autre histoire…

 

Ce sera peut-être un jour une autre photo de la veille. Ces photos n’ont pas à être réussies, mais servent de prétexte à un petit conte, une historiette. Si vous avez l’ouïe fine, et que vous ne plaquez pas les appliques de Catherine contre une paroi, mais leur laissez de l’air, le moindre souffle vous en narre, des bleues, des vertes, des arc-en-ciel. La sculpture d’Ursin est à coup sûr acoustique, Styx ou pas Styx… Et ses poissons font de belles ombres archétypales (de l’espèce Thybonus nigrecens, qui n’appartient qu’à elle depuis que le Tibre en est dépourvu) qui se noient dans les décors tels des lapins de Mars (ou d’Uranus) proclamant Carpe diem. Marquent-ils la rémanence d’un rite aussi lustratoire qu’atropopaïque ? Comme le disait Raymond Queneau des coquilles, on voit des rites partout (« j’en découvre maintenant chez les autres ! partout ! dans les dictionnaires les plus chevronnés… »), idem Blanche-Neige voyant des nains de Bruneau et Sussfeld. Quant à les prendre en photo, c’est une autre paire de lustrines. Queneau n’est plus là pour trouver des coquilles aux Vénus d’Ursin mais il saurait sans doute mieux que moi marier ses poissons à des lièvres.

Le bestiaire d’Ursin, notamment ses poules buridaniennes, histoire de passer à autre chose tout en restant dans le vif du sujet,  ses empoisonnants (et non empoissonnant, voir plus haut, Queneau) merles couleuvriniers qui font mouche cessible (fallait le faire, elle l’a fait… vendant la mèche), vaut aussi le détour. Ne le faites pas à l’emporte-pièce, cherchez, sur la Toile, les visuels d’Ursin (non, pas sur le site de l’abbaye de Ligugé où Ursinus hagiographa et plus d’un âne se nomme Martin). Tentez la tenderie (des rats), et vous démentirez l’adage et dénicherez des « grives ».
 

Notez aussi que Catherine Ursin fait l’objet, à Lyon, du 12 au 27 mars, sous l’égide de l’association Dites 33, et de l’Atelier de la Rage, d’une exposition intitulée Ma Grand’Mère est sortie de sa tombe ou le sacrifice des femmes. Ce sera à la galerie La Rage , 33, rue Pasteur (eh, évidemment). Et l’expo fait déjà tant l’objet que le sujet d’un site dédié. « L’espace s’emplit de sculptures de fer, de boîtes à souffrances et de peintrues recousues, ex-votos pour une visite au cimetière des blessé·e·s de la vie, » y lit-on. Dites 33, non, désolé, je ne peux plus rien pour vous…