La récente mobilisation en faveur de Roman Polanski en a irrité plus d’un dans notre pays – moi le premier ; et je ne m’étendrai pas sur les réactions de la presse d’Outre-Atlantique, plus hostiles encore. Mais il y a eu en France d’autres campagnes qui suscitent, elles aussi, une réelle inquiétude.


 

Dans mon ouvrage Justice : mise en examen (1) j’ai évoqué le procès officieux organisé sur deux séances – l’une en mai 1992, l’autre en novembre de la même année –  par plusieurs personnalités, visant à réhabiliter Gilles de Rais, ce célèbre maréchal de France violeur et tueur d’enfants pendu le 28 octobre 1440 ; un procès qui, du reste, n’était que la continuation, en plus spectaculaire, d’initiatives plus anciennes (2). Non seulement on présentait l’ancien compagnon de Jeanne d’Arc comme un « chantre lyrique (et moderne) de la pédophilie » (3), mais celui-ci aurait été la cible d’une machination politique et de la justice de la Très Sainte Inquisition. Bien sûr, bien sûr… Les preuves, les aveux, les témoignages, les disparitions et assassinats de centaines d’enfants : circulez, y a rien à voir ! Les historiens médiévistes ont, par la suite, remis les pendules à l’heure, mais la fable de l’innocence du seigneur Gilles subsiste : d’ailleurs, Me Jean-Yves Goéau-Brissonnière, l’avocat qui plaida la cause du maréchal devant le pseudo-tribunal constitué en 1992, a préfacé la réédition en 2007 d’un Plaidoyer pour Gilles de Rais de l’écrivain Jean-Pierre Bayard. (4)

Certes, on peut estimer qu’il s’agit là d’opinions minoritaires, et on aura raison. Concernant un autre criminel célèbre, Benjamin Deschauffours  – assassin animateur d’un réseau pédophile, brûlé en place de Grève le 27 mai 1726 – sauf erreur de ma part, il ne s’est trouvé de nos jours aucun journaliste, écrivain ou avocat pour prendre la relève des auteurs anonymes qui, sous Louis XV, le présentaient comme une victime de l’homophobie. (5) Et c’est heureux !

 

Mais il y a plus bien inquiétant : c’est ce qui se dit trop souvent sur l’affaire dite d’Outreau, suite aux deux procès de Saint-Omer (2004) et de Paris (2005). Voici la thèse soutenue par l’abbé Dominique Wiel, acquitté lors du procès en appel le 1er décembre 2005, qui, dans une lettre adressée aux deux aînés du couple Delay-Badaoui, et datée de septembre 2006, déclare : « je n’ai jamais cru un mot de vos "salades", […] je n’ai jamais cru à vos récits de viols, et même jamais cru à la culpabilité de vos parents ». Ce texte reproduit dans le livre-témoignage de l’homme d’Eglise (6) n’a pas suscité de véritable tollé, et c’est bien regrettable. Car les souffrances bien réelles de l’abbé Wiel – il a fait trente mois de détention provisoire – ne l’autorisent pas à piétiner les décisions de justice : au risque de me répéter, dès le premier procès, quatre condamnations définitives ont été prononcées contre les couples Thierry Delay/ Myriam Badaoui et David Delplanque/ Aurélie Grénon, et au terme du procès en appel, douze enfants ont été reconnus victimes de viols, d’agressions sexuelles, de proxénétisme ou de corruption de mineurs. Comme le fait remarquer la psychologue Marie-Christine Gryson-Dejehansart dans son très bon ouvrage récemment paru, le prêtre « cherche donc depuis 2006 à faire libérer des coupables qui, paradoxalement, reconnaissent leur culpabilité ». (7) Ne lui déplaise, si le dossier a été mis à mal aux assises de Saint-Omer et de Paris, il n’était pas aussi vide que cela. Dans l’affaire Gilles de Rais comme dans l’affaire d’Outreau, on monte en épingle les éléments jugés peu crédibles ou invraisemblables (exemple : la présence d’un diable dans le premier cas, les débauches pédophiles et zoophiles en Belgique dans le second) pour disqualifier l’ensemble de l’accusation. Pointer du doigt les failles d’un dossier criminel, pourquoi pas, mais de là à en oublier les victimes – des enfants – il y a un gouffre qu’il m’est impossible de franchir.  

 

J’espère, en tout cas, que les historiens des générations futures qui se pencheront sur cette affaire judiciaire – sans doute une des plus retentissantes de la décennie – se garderont bien de reprendre une interprétation aussi faussée : la réhabilitation de pédocriminels est moralement inadmissible.

 

 

 

(1) Disponible ici : http://underbahn.gorillaguerilla.com/0977422488.html

 

 

(2) Consulter ce texte de Salomon Reinach, daté de 1904 :

 http://www.psychanalyse-paris.com/1096-Gilles-de-Rais.html

 

 

(3) Alain Jost, Gilles de Rais, Paris, Marabout, 1995, p. 156.

 

(4) Plaidoyer pour Gilles de Rais Maréchal de France 1404-1440, Coulommiers, Dualpha, 2007.

 

(5) Exemple : la comédie anonyme L’Ombre de Deschauffours datée de 1739, citée par Maurice Lever dans Les bûchers de Sodome, Paris, Fayard, 1985, p. 369.

 

(6) Que Dieu ait pitié de nous, Paris, Oh ! éditions, 2006, p. 253.

 

(7) Outreau la vérité abusée 12 enfants reconnus victimes, Paris, Hugo et Cie, 2009. Voir ma fiche de lecture ici :

http://chatborgne.canalblog.com/archives/2009/11/02/15654885.html