La pièce espagnole Pendiente de voto ("vote en cours") de Roger Bernat sera présentée à Lyon les 28 et 29 octobre lors du festival Sens Interdit qui se déroule du 20 au 30 octobre dans les plus grands théâtres lyonnais. Cet événement unique à Lyon regroupe des pièces venant de nombreux pays tels que le Cambodge, la Russie, l’Egypte, la Hongrie, la Pologne, l’Allemagne, la France, le Chili et l’Espagne, etc. Elles ont toutes en commun de traiter de sujets sensibles dans leur pays ou d’histoires oubliées voire cachées. 

Pendiente de voto ne dénonce rien et ne raconte pas d’histoire mais fait réfléchir sur le système démocratique actuel.

Dans sa pièce, Roger Bernat pose la question de la place de la parole et de l’individu tout comme les Indignados espagnols qui ne se sentent pas entendus par leur gouvernement.

 

Le Mouvement des Indignados :

Le mouvement des Indignados a vu le jour sur internet en janvier 2011 grâce au site ¡ Democracia real ya ! (Une vraie démocratie maintenant !) devenu aujourd’hui une vraie association et dont le manifeste permet de clairement faire le lien avec la pièce de Roger Bernat.

Ce manifeste propose donc de revenir sur la définition d’une « démocratie ». Demos, en grec, signifiant peuple et Cratos, pouvoir, pour les membres de Democracia Real ya, le gouvernement d’une démocratie doit servir le peuple or, selon eux le gouvernement de l’époque ne les écoutait pas : « leurs fonctions devraient consister à porter notre voix [celle du peuple] aux institutions, à faciliter directement la participation politique des citoyens apportant le meilleur bénéfice pour la société entière ». Suite à ce constat naît le mouvement dit des Indignados – qui préfère le nom de Mouvement 15-M en référence à son premier grand rassemblement le 15 mai 2011 à Madrid – qui depuis multiplie les rassemblements dans toute l’Espagne.

La création de la pièce avait commencé juste avant ces manifestations et Roger Bernat se souvient qu’il ne voulait pas être « emporté par cette marée » et il a fait tout ce qu’il a pu pour éviter que sa pièce soit une représentation de ce mouvement. Pour lui cela aurait été « obscène » et « terrible » que son théâtre soit « une espèce de répétition pour une assemblée d’Indignados ».

 

Règles de la pièce :

C’est pour cette raison que Roger Bernat ne revient pas sur la définition de démocratie mais l’applique à la lettre, en souhaitant réhabiliter le théâtre Forum dans lequel le spectateur « sera interpelé et invité à répondre. Il devra décider entre suivre les indications ou rester sur le côté. Ce sera avec ses réponses – ou silences – que le spectacle prendra forme. Il sera coresponsable du spectacle ».

Les Indignados souhaitent rendre la parole au peuple, le dramaturge catalan transpose cela au théâtre dans Pendiente de voto et essaie de ne « pas prendre la place du mouvement et de rester dans la théâtralité » en créant ce que Roberto Fratini, responsable de la dramaturgie, considère « non pas [comme] la version fausse d’un véritable débat parlementaire, mais[comme]la vraie version du faux débat actuel ». En effet, il s’agit là d’un faux débat car « le théâtre n’a pas la possibilité de régler quoi que ce soit, la parole n’est pas au théâtre, ce n’est qu’une parole performative ; dans ce théâtre, le texte est déjà rédigé et on sait donc comment cela va finir » quel que soit le débat qui aura eu lieu.

Il souhaite donner aux spectateurs le sentiment d’appartenir à une communauté qui prend ensemble des décisions en les rassemblant en groupe selon leurs réponses. Les votes ne sont pas anonymes, comme ce serait le cas dans une vraie démocratie, ce qui amène le spectateur à une réflexion différente (et peut-être même à changer son vote) puisque le regard et le jugement des autres vont peser dans son choix et plutôt que de se sentir appartenir à un groupe, il n’en sera que plus isolé comme le souligne Roger Bernat en expliquant que « le mécanisme tend à individualiser le spectateur. Cette solitude, qui est plus fantasmatique que physique donne une présence aux autres spectateurs, qui s’accentuera parce que le dispositif tient à l’évacuation de toute autorité. Il ne se trouvera pas devant un système qu’il lui faudra combattre en faisant de l’union une force, générant une sensation de communauté. Ici il se sentira seul ». Ainsi la pièce et sa mise en scène permettent au « spectacteur » de prendre conscience de l’importance de sa voix mais surtout de sa capacité ou non d’affirmer son point de vue au sein d’une pseudo entité idéologique, ce théâtre catalan souhaite rendre le spectateur « conscient de lui même ».

 

La force de la parole :

Dans la lignée du Mouvement 15-M, le peuple, ici le spectateur, retrouve sa parole mais pour en faire quoi ? Telle est finalement la question que pose la pièce : Sommes-nous réellement maîtres de notre voix lorsque d’autres peuvent nous juger ? C’est pourquoi Roger Bernat nous invite à nous « questionner sur ce que cela signifie de faire partie d’une communauté et si cela fait sens de parler de communauté ». En d’autres termes, il nous fait nous demander ce que nous disons quand nous disons « nous ». Et surtout le « système », ici représenté par la machine qui pose les questions, nous laisse-t-il vraiment le choix ? Cette question du choix, proposée par le système, est inhérente à la mise en scène de Pendiente de voto puisque pour Roger Bernat le spectateur « devra obéir ou conspirer ou, dans une version perverse de l’équation, obéir en conspirant ». Néanmoins la possibilité de voter offre-t-elle une vraie liberté de parole ? Finalement, les Indignados du 15 mai 2011 ont voté pour un nouveau gouvernement en décembre 2011, en espérant que les choses changeraient. Seulement ce ne fut pas le cas puisque le 13 octobre 2012 a eu lieu la deuxième journée mondiale des indignés et même si le mouvement est aujourd’hui moins conséquent, il est toujours actif, preuve que le système est « pervers » car selon Roger Bernat c’est « la démocratie qui nous utilise et non plus nous qui l’utilisons » comme le prouve une des réflexions du « système » : « Même si ton vote ne compte pas, continue de voter, le système t’écoute… » mais si notre vote ne compte pas, est-on vraiment écouté ? C’est là toute la problématique de la pièce : « savoir si l’élection est enrichissante ou appauvrissante dans nos façons de concevoir la démocratie ». Seule notre expérience de la pièce saura nous répondre…

 

« LesIndignados n’avaient pas pour but de construire une forme d’art mais de donner la possibilité d’imaginer un autre type de construction sociale et politique. Or dans Pendiente de voto, on part certes du politique mais le but est de construire une œuvre d’art et non une nouvelle société… » Roger Bernat.