Alors que l’AFA (Association des fournisseurs d’accès Internet) vient de divulguer le bilan 2010 de son site de signalement de sites litigieux ou potentiellement offensants, le Sénat vient, mardi 8 février, d’adopter le projet de loi dit Loppsi 2. Lequel prévoit un système de blocage de sites aux contenus pédophiliques et pornographiques. Or, cela pose de multiples problèmes.
Sous le titre « Le filtrage des sites pédopornographiques, une mesure controversée », Le Monde s’interroge sur une disposition du texte de Loppsi 2 prévoyant qu’une autorité administrative et non un juge pourrait bloquer l’accès à des sites aux contenus pouvant favoriser la pédophilie. Les Internautes sont bien sûr sensibles à toute mesure « liberticide » mais ce n’est pas sous cet angle que les fournisseurs d’accès Internet envisagent les conséquences d’un tel dispositif.
Le projet de loi estime que « l’intervention d’un juge est impossible compte tenu de l’impératif de rapidité requise. ». On peut le comprendre en raison de la surcharge de travail des greffes et des magistrats. Mais la justice n’est pas toujours si lente. En matière de presse notamment, la procédure de référé est d’autant plus rapide qu’elle est actionnée par une personnalité, un élu de premier plan, &c. Si on peut bloquer une publication, ou obtenir une interdiction d’affichage dans des kiosques, en quelques jours, voir quelques heures, on se demande bien pourquoi il ne pourrait en être de même pour un site pornographique visant à conforter la pédophilie. Mais les fournisseurs d’accès mettent plutôt en avant le coût d’une telle mesure. Et on peut les comprendre. Alors que la Cnil voit son budget se tasser, l’Hadopi voit le sien et ses effectifs croître de manière quasi-exponentielle. Le projet prévoit des « surcoûts résultant des obligations mises à la charge des opérateurs. ». Ce à quoi les syndicats de FT-Orange répliquent que « l’opération suppose des dispositifs, des ressources humaines, de l’argent alors qu’avec Hadopi (70 millions d’euros par an pour les FAI), rien n’a été réglé pour leur indemnisation. ». S’il faut en sus régler les coûts de fonctionnement d’un comité bidule composé de magistrats et de personnes qualifiées (proches d’on ne sait trop qui), l’Internaute peut estimer qu’on finira par lui répercuter, sur ses factures, la note d’un tel dispositif.
De plus, des associations versées en ce domaine, tel L’Ange bleu, doutent de ce système en raison de sa présumée inefficacité. Effectivement, un site bloqué pourra toujours migrer vers un autre serveur : il faut pouvoir traquer le fournisseur de contenus incriminés pour éradiquer ces derniers. L’effet pervers pourrait aussi être que des sites pourraient passer au cryptage, devenant moins détectables. Cela se discute : un site crypté est moins accessible, donc moins détectable, mais en ouvrir l’accès à des enfants reste possible. L’Allemagne avait envisagé un tel système pour finalement y renoncer.
Quelle est l’étendue du phénomène ? Mondialement, c’est très difficile à cerner. Pour la France, le site de signalements pointdecontact.net a reçu 8196 signalements en 2010, soit 7,5 % de plus qu’en 2009, mais ce sont surtout les signalements de contenus violents et racistes qui ont généré cette augmentation. Du fait, peut-être, de la focalisation sur les contenus pédophiliques, via Point de Contact et le site dédié policier, et des succès obtenus par le passé, les signalements de sites pédopornographiques se sont montés à 3 428, marquant une régression de 5,6 % sur un an. Pour les sites pornographiques (au sens large) accessibles aux mineurs, la baisse est encore plus considérable : 93 %. La baisse est largement plus faible pour les sites incitant au terrorisme (-17), au racisme et à la xénophobie (-4) et de promotion de la violence (-2).
Sur les 832 contenus signalés à la police, des décisions de fermeture sont intervenues pour 424 sites, tandis que six signalements étaient requalifiés en l’absence d’infraction. Valérie Maldonado, cheffe de la cellule dédiée à la Direction centrale de la Police judiciaire a donc estimé que « l’expertise du Point de Contact est un gage de qualité de ses signalements. ». Sur ces 424 sites, 78 % véhiculaient des contenus pédopornographiques. La plupart de ces sites étaient localisés hors de France et les signalements ont été transmis au réseau InHope qui couvre les cinq continents habités.
Bien évidemment, on peut estimer qu’on n’en fera jamais assez et que tout renforcement de la lutte contre la pédophilie est bienvenu. On peut en convenir sans toutefois se dispenser d’une réflexion sur les moyens et les techniques à mettre en œuvre. C’est pourquoi les décisions sénatoriales peuvent prêter le flanc à des critiques de la part des acteurs (AFA, associations… voire police et justice). Multiplier les instances (outre InHope, il existe d’autres réseaux, aux objets plus large – la prostitution enfantine en général par exemple – comme ECPAT International), multiplier les textes législatifs (avec le risque de dérapage à propos du « risque de sécurisation » individuelle des Internautes de la loi Hadopi qui reporte sur le connecté la responsabilité d’héberger à son insu un virus localisant des contenus pédophiliques), multiplier les dispositifs, est-ce bien efficace ?
De plus, ne risque-t-on pas de bercer d’illusions les parents ? La plupart des affaires médiatisées visent des individus souvent isolés et dont le passage à l’acte n’est pas toujours établi. En fait, les réseaux professionnels mafieux ont déjà préparé la contre-attaque technique.
Un chercheur, Pascal Epelboin, a pu avancer que des associations avaient été abreuvées d’hommages afin d’obtenir leur indulgence à l’égard de la création d’une nouvelle instance à laquelle elles pourraient éventuellement siéger. De fait, seul l’Ange bleu s’est prononcée ouvertement contre la loi Loppsi (avec le texte « Loppsi : la protection de l’enfance, cheval de Troie du filtrage généralisé d’Internet »). L’AFA s’était aussi prononcée : il faut supprimer les contenus et « non se contenter de les masquer par filtrage. ».
On peut même se demander si le dispositif envisagé ne va pas favoriser un groupe de pression de fournisseurs de solutions techniques inefficaces ou peu adaptées au problème réel, générant de nouveaux coûts qui seront supportés par les contribuables ou des « partenaires obligés » (qui répercuteront les coûts sur leurs tarifs). L’Ange bleu a donc pu estimer : « l’origine du filtrage du web répond bien aux pressions exercées par ces lobbys industriels et non au débat public qu’il aurait été préférable d’organiser afin de consulter en premier lieu la société civile sur ce sujet, comme cela se doit d’être pratiqué en toute démocratie. ».
C’est en remettant en cause le secret bancaire, en donnant à la justice les moyens d’appliquer les législations existantes, et en favorisant la prévention en amont (comme le font l’AFA, son Point de contact et notamment L’Ange bleu) beaucoup plus qu’en créant une nouvelle instance dotée d’un budget spécifique, que la pédopornographie régressera.