Au lecteur : à deux reprises au moins (sous les articles Dossier CORAL&KRYPTEN ou comment les pédophiles de la mitterrandie ont échappé à la justice et Omerta ou transparence ? La vraie question n’est pas là), Ludo et moi avons entamé un dialogue sous forme de commentaires sérieux, sincères et réfléchis. Parce qu’ils sont inspirés par ces caractéristiques, ils sont un peu (et même très) longs, ce qui pourrait à la longue indisposer les lecteurs. C’est pourquoi, j’ai choisi de ne pas prolonger ce ping-pong et de passer du commentaire à l’article, de façon à permettre à ceux d’entre vous qui le souhaitent de continuer à nous suivre, sans pour autant importuner ceux que cet échange indiffère.

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« Tout dépend de ce que vous appelez "rumeur" » écrivez-vous. Nous sommes au moins d’accord, Ludo, sur ce minimum indispensable, pour éviter de partir dans des malentendus, qu’il convient de nous entendre d’abord sur le sens à donner aux mots.

« Cette fumée à mon sens », poursuivez-vous, « vient du fait que nous, pauvres petits du peuple, nous nous faisons enfumer à longueur d’année et qu’à chaque fois cela cache quelque chose », avant d’ajouter « Pour moi il n’y a pas de fumée sans feu veut tout simplement dire qu’à l’origine des rumeurs, il y a toujours quelque chose de vrai ». Je vous l’accorderais presque, à une simple mais considérable différence près, qui est de remplacer "toujours“ par "souvent“ ; un petit détail qui change tout, parce qu’il pose la question de savoir quoi faire dans le cas contraire.

Pour ma part, pratiquant une langue codifiée, je préfère me référer au dictionnaire : « Le mot rumeur a deux acceptions : 1- un bruit informel, persistant et sans source déterminée (rumeur de la foule, du corps, de la mer) ; 2- un phénomène de transmission large d’une histoire à prétention de vérité et de révélation par tout moyen de communication formel ou informel » et je remarque que le second sens dérive au figuré du premier, naturel et physique.

Les histoires véhiculées par ces rumeurs commencent souvent (je me fais violence pour ne pas écrire "toujours“) par « Il paraîtrait que … » (ou « A ce qu’on dit… »). Le problème est que dans toute l’histoire, seul ce premier verbe est conjugué au conditionnel, qui marque le doute ou l’hypothèse ; et que toute la suite est exprimée au présent affirmatif !

Vous avez écrit ailleurs que c’est à la justice d’apporter les preuves. C’est là que nos opinions divergent fondamentalement. A mes yeux (et aussi à ceux du législateur qui a prévu le délit de dénonciation calomnieuse, encore que la calomnie se distingue par une volonté délibérée de nuire, qui n’est pas strictement indispensable à la rumeur), c’est à celui qui lance ou transmet l’histoire « à prétention de vérité et de révélation » d’en attester formellement (ou au minimum, d’être en mesure de le faire à la première requête). Le rôle de la justice n’est que de les constater et de les confronter le cas échéant à des preuves inverses, par une instruction à charge et à décharge.

Mais le thème de votre propos est la fumée et le feu. Malgré tout le respect que m’inspire la sagesse populaire, ce dicton est fumeux, si j’ose dire : tous ceux qui ont vu fonctionner des fumigènes dans des lieux de spectacle peuvent témoigner du contraire.

Et ce qui est vrai au propre est pire encore au figuré ! Car c’est faire fi de ces principes fondamentaux du droit français qui sont a) que le doute doit profiter à l’accusé et b) de l’autorité de la chose jugée ; et là, ce sont les acquittés d’Outreau (entre autres) qui portent témoignage.

Sous un autre article, voici plusieurs semaines j’ai fait une allusion au film « Le Glaive et la Balance ». Pour les plus jeunes (ou pour les cinéphobes), l’intrigue de ce film tourné par André Cayatte en 1962 s’articule autour du fait que parmi trois hommes arrêtés par la police, un est certainement innocent et les deux autres coupables du meurtre d’un policier et d’un otage. Mais tous les trois ont un lourd passif et « Il n’y a pas de fumée sans feu »… Comme ce serait simple s’il pouvait y avoir trois coupables ; mais les faits sont têtus : ils sont deux et seulement deux. Et puisqu’on ne peut pas déterminer qui est qui, la thématique glisse vers un autre thème : « Est-il préférable de condamner un innocent ou de relâcher deux coupables » ?

Pour ma part, j’estime que rien ne saurait justifier une erreur judiciaire, a fortiori si elle est commise en connaissance de cause. Alors, comprenez que je m’enfuie en courant si de plus on accole à la fumée et au feu une généralisation collective verticale (« Les chiens ne font pas de chats ») ou tous azimuts (« Qui se ressemble s’assemble ») ; ce n’est pas de la paranoïa, mais des affirmations qu’on peut, hélas, lire ici ou là.

En démonstration de la connivence et de la complicité qui existerait parmi les "journalistes" pris comme un ensemble uniforme, vous regrettez que les chaînes nationales rapportent « La même chose avec les mêmes mots et les mêmes images ». Nous sommes d’accord pour le regretter, car si leur rôle se bornait à reproduire sans analyse et sans la moindre investigation les dépêches d’agences, Internet pourrait avantageusement les remplacer. Permettez-moi de vous faire remarquer la contradiction qui vous fait dénoncer ce phénomène ici, alors que dans un autre fil, vous semblez authentifier des rumeurs, simplement en vous appuyant sur la répétition sur divers blogs des mêmes mots et des mêmes images.

La seule vertu incontestable d’Internet est de nous libérer de l’obligation de conserver nos informations en nous-mêmes, dans notre cerveau (notre « mémoire centrale »). Mais ce n’est qu’une raison supplémentaire pour exercer notre esprit critique. Tout comme l’avènement des calculatrices électroniques ne nous dispense pas de pratiquer mentalement le calcul des ordres de grandeur ; c’est pour l’avoir oublié (ou pour ne l’avoir jamais su) que certains se sont exposés à des déconvenues après avoir accepté comme certain ce qu’ils lisaient sur le cadran.

Gardons-nous qu’il en soit de même pour ce que le Web déverse sur nos écrans. Ne cédons pas à la tentation, au vu d’un simple lien, de considérer a priori son contenu comme parole d’évangile. Au moins, lisons-le, ce contenu, avec le sens critique en éveil ; le résultat en sera dans la quasi totalité des cas d’y distinguer des doutes, des approximations, voire des contradictions. Si je me laissais aller à écrire « Ludo est stupide », Internet en garderait la trace pour l’éternité et il se trouverait tôt ou tard un internaute pour citer l’adresse de cet article, preuve indubitable qu’il a raison de le penser, mais négligeant de préciser que j’aurais nécessairement fait suivre cette "vérité" d’une autre, non moins incontestable « mais cent fois moins que JPLT ».

Allez, Ludo, sans rancune : « A bon chat bon rat ».

PS : il n’entre aucunement dans mes intentions de donner des leçons à quiconque. Ces commentaires ne sont la trace que de la mise en cause de mes propres « certitudes » à laquelle m’invite tel ou tel article. C’est une chance que je souhaite à chacun des lecteurs !

En revanche, si d’aventure le procédé pouvait démontrer que deux reporters peuvent s’affronter en soutenant des opinions opposées, sans tomber dans l’insulte et l’invective, j’en serais évidemment flatté et heureux.