Les néologistes et lexicologues italiens se régalent. Les écoutes téléphoniques des fournisseurs de chairs fraîches et des fiancées d’un soir de Berlusconi révèlent tout un florilège langagier innovant. Mais la farce pourrait virer à la tragédie pour le Cavaliere, ou encore Sua Emittenza, qui vient de se gagner un nouveau sobriquet, « le Sultan ». Il se refuse à démissionner, mais l’amicale pression de ses ex-amis et obligés pourrait, à 75 ans, s’intensifier. Le Rubygate est en tout cas plus drôle que le Woerthgate…

Si la syntaxe de Nicolas Sarkozy et sa diction approximative font tiquer l’Académie française et l’Association des agrégés (sans compter le député PS François Loncle qui voudrait poursuivre le résident de La Lanterne pour « maltraitance » de la langue française), la richesse langagière des protégées de Silvio « Papi » Berlusconi réjouit la péninsule italienne. La « Botte » s’est prise d’engouement pour le linguo de la villa San Martino d’Arcore, le lieu des frasques grivoises du Cavaliere, autrefois chéri du Vatican.

Le Papy pimpant (car chirurgicalement rafraîchi) aime les fruits pas trop mûrs. Soit des jeunes femmes un peu (17 ans bien révolus pour Ruby, née en novembre 1992), voire franchement mineures (enfin, ce fut le cas de Noemi Letizia, mais d’autres ne sont pas nommées…), et de moins jeunes, connues, voire franchement célèbres, inconnues, si ce n’est dans les cercles prostitutionnels moins en vue que ceux des chaînes de télévision italiennes appartenant à Sua Eminenza catodica i cattolica (soit Sua Emittenza).

Outre le désormais célèbre bunga-bunga, c’est tout un lexique à « double entendre » et chargé de lestes ou pesants (leur poids de biscuit, cacahouète, flouze, pèze…) innuendoes (sous-entendus ou allusions grivoises), que les écoutes judiciaires italiennes ont permis de mettre à(u) jou(i)r. Relevons que ce qu’on nomme outre-Baltée (passé le Val d’Aoste) l’anglo-milanese est plus inventif que le franglais : un briffare est un briefing préliminaire de fixation des réjouissances définies en tant que puttanaio ou digenero più totale. C’est en tout cas, pour ce vocable, l’assertion de Filippo Ceccarelli, de La Repubblica, dans son analyse intitulée « la neolingua di Arcore ». Il est aussi question de coloradine (participantes à l’émission Colorado cafè), de « quatre roses » (sans doute pas des rosettes de la Légion d’honneur ou de saucissons lyonnais), et de « princesse au petit-pois » (bon, ici, pisello, qu’un autre dictionnaire traduit par biroute ou ardillon, selon le contexte). Mais je n’ai pas tout compris… et je peux avoir commis des contresens. Comment, sans maîtriser l’italien, interpréter ce « intenerito della bambina » ? Est-ce Papi Youp-la-Boum, chéri de ces dames, ou le navrant et lamentablement impotent vieux dégueulasse qui est ainsi désigné dans les comptes rendus d’écoutes téléphoniques. Traduttore, traditore, veut la paranomase et Joachim du Bellay, le lettré de Liré et du Monte Palatino.

On se prend à regretter de ne pas être congru de la langue du mascalzone latino (le voyou transalpin ou l’équipage de la Capitalia, qui dispute la Coupe de l’America, c’est selon) quand on consulte la savoureuse recension des lexies recensées par les écoutes que Berlusconi veut définir clandestines. Tesorino, bacino, attimino (serait-ce un dérivé du français « faire minette » ?),troia (salope, au sens bigardesque du terme, dans « lâcher de salopes », et non une position équine évoquant les saillies de Troie à l’héllène, interprétation libre de mon cru), zoccola (un dictionnaire nous donne sabot pour zoccolo, peut-être s’agit-il de celui de Vénus ?), et bungalese (le néologisme pour le vernaculaire du bunga-bunga, supputerais-je, sans jeux de mots), que tout cela est charmant, primesautier, et même euphoniquement tintinnabulant !

Aussi vert (hmm…, ces dames restent parfois sur leurs faims) que galant (et surtout généreux), Son Éminence se fait parfois surnommer Gesù (sans « petit » devant, ce qui laisse penser que son penis estnormalis, et que sa dosim – dose – autorise la répétition tout comme l’autre multipliait les pains et les petits poissons). Je n’ai pas du tout compris ce que le gas (gaz ?) venait faire dans ces affaires (je connaissais le « retourné Poniastowski » sur lave-linge en position d’essorage depuis les enquêtes du commissaire San Antonio, de Frédéric Dard, mais la gazinière, je ne vois pas) ou ce qu’évoque le bisogno di benzina (travail essentiel ???). Pour l’intrufolano (intromission ? introduction ?), je devine, à la faveur de recherches terminologiques contextuelles (proximité de « nei posti più disparati (e “sperduti”) », à propos d’animaletti), qu’il peut se référer à divers orifices. Par lesquels, peut-être, tel un Bill Clinton, Berlusconi n’inhale pas : la morale privée est donc sauve.

Pour la morale publique, c’est tout autre chose. Si La Repubblica n’a pas totalement consacré toute sa première page aux galipettes du Cavaliere, la partie « Re|pubblico » (choses publiques) de son site est exclusivement dévolue à détailler les répercussions du déballage judiciaro-policier. Évidemment, une large revue de la presse étrangère (« Berlusconi e la “prostituta minorenne” sui giornali di tutto il mondo » est l’un des multiples titres consacrés à l’image de l’Italie dans le monde) pointe les allégations et commentaires les plus scabreux. La presse russe fait exception, car contrôlée par le Kremlin, estiment les chroniqueurs, et la française reste en retrait. Ce qui inquiète les Italiens, enfin, surtout les journalistes, c’est que le très sérieux Financial Times fait état du « sex-crazed geriatric » (du géronte, ou vieillard, libidineux et fou de son corps) en des termes chaque jour plus péjoratifs.

Puisque la presse française ne va tarder à embrayer, autant vous proposer quelques repères sur les protagonistes de l’affaire ou plutôt des affaires galantes du boudoir berlusconien…

Berlusconi pourrait être mis en cause pour l’équivalent du proxénétisme hôtelier : il a été prouvé qu’il fournissait non pas des pied-à-terre et des garçonnières (ou polissonières) à des partenaires, mais carrément dans un complexe résidentiel milanais qu’il avait fait construire avant de se lancer en politique. Ce complexe, Milano Due, siège de Mediaset, abriterait 14 starlettes. L’autre chef d’accusation tient à ses récentes relations avec Karima El-Mahrough, une Marocaine de Messine, surnommée Ryby Rubacuori, et prétendument nièce du président égyptien, Moubarak. Elle allait avoir 18 ans (quelques jours plus tard), quand elle s’est bêtement fait pincer pour vol. Berlusconi a vraiment tout fait pour la faire élargir (là non plus, sans jeu de mots). Mais, surtout, selon une participante aux parties fines, « la presse en dit beaucoup moins qu’en réalité, même quand elle le traîne dans la boue… ». Il y a deux aspects : le légal, et le sociétal. Les fournisseurs principaux de chairs fraîches pour le Cavaliere étaient principalement de deux types : des arrivistes elles-mêmes (certaines sont devenues actrices connues, personnalités du petit écran ou de la scène, d’autres députées, ministres…) et le trio Nicole Minetti, une ex-présentatrice et animatrice devenue conseillère régionale, Emilio Fede, un journaliste télévisuel très en vue, ainsi que Lele Mora, un agent de vedettes et personnalités médiatiques, qui servaient de rabatteurs. Autre entrepreneur de ces soirées, Gianfranco Tarantini, qui proposait des « escortes ». En face, Berlusconi trouve « Ilda la Rouge », dite « la Tigresse », (La Rossa ne veut pas dire « la rosse », mais plutôt « la rousse », comme la Julie de la chanson), la magistrate milanaise Ilda Boccassini. Berlusconi l’a considérée aigrie et « jalouse » de n’avoir pas été invitée à participer aux parties de bunga-bunga en compagnie de célébrités et de prostituées, comme Patrizia D’Addario, mais aussi de stars masculines (G. Clooney a été nommément cité) ou de chefs d’État (Poutine, notamment). Ne pas confondre La Rossa avec Maria Rosaria Rossi, sémillante députée, présumée participante du bunga-bunga. Question tigres, ou lions, il est allégué que l’un des fournisseurs d’escortes de Sua Eminenza entretiendrait un tel félin qui avalerait quotidiennement ses quatre poulettes (des gallinacés) : on songe évidemment à Néron et ses fauves, à Blandine jetée dans l’arène… les choses sont suffisamment cocasses pour se préserver de forcer le trait.

La jeune femme qui aurait succédé à l’ex-actrice Veronica Lario, la seconde épouse divorcée du Cavaliare, serait, selon divers journaux (mais qui n’ont pu l’établir formellement), Riborta Bonasia, 26 ans, ancienne Miss Turin. Ce serait en tout cas, selon une conversation téléphonique passée entre Lele Mora et Emilio Fede, la grande favorite actuelle du président du Conseil italien. Berlusconi l’aurait invitée en Sardaigne, le 13 août dernier. Du moins, au nombre des « Papi-girls » potentielles, elle tient le mieux la corde pour les pronostiqueurs.

La note du bunga-bunga, selon les sources, serait particulièrement salée. À raison de 50 000 à 70 000 euros de « cachets » par soirée, elle pourrait s’être déjà élevée à 1,75 million d’euros (estimation haute). S’ajoutent les petits cadeaux. Iris, Brésilienne de 21 printemps, une « autre Zorah » (celle de Ribery et d’autres), a confié avoir empoché non seulement son cachet en numéraire (7 000 euros), mais tout comme Ruby, diverses babioles. D’autres se contentaient de 2 000 euros et de petits cadeaux.

Pris « la main au panier », Berlusconi vit son « Rubygate », mais tout comme un certain Nicolas Sarkozy avec le Woerthgate, il n’envisage pas de prendre de mesures particulières. Pour Berlusconi, tout cela, c’est des « mystifications » des juges et des journalistes. Giorgio Napolitano, le président de la République italienne, s’est contenté d’estimer laconiquement que « le pays est perturbé ». Le problème, c’est que Ruby à fort envie de faire parler d’elle et de capitaliser sur sa naissante notoriété. Elle s’est produite, en compagnie de Rocco Siffredi, dans l’émission Kalispera, et elle est prête à enlever le bas après avoir ôté le haut sur ses relations avec Berlusconi. Si cela lui réussit, d’autres vont suivre. Pour les Italiens, Berlusconi évoque de plus en plus Jaimito, le personnage de l’acteur Alvaro Vitali, qui tourne dans des péplums (« Jaimito à la cour de Néron) ou des navets égrillards très olé-olé et  du genre « La Prof danse avec toute la classe » ou « La Toubib du régiment en folie » ou encore « Tous bons pour l’infirmerie » (depuis qu’on sait que Berlusconi demandait à ses invitées de se travestir en infirmières ou en fliquettes, on détourne les pochettes des DVD de Vitali, un peu comme les graphistes détournent en France les albums de Martine). Le ridicule ne tue pas et Berlusconi a de nouveau clamé qu’il ne démissionnerait pas.

Pour le moment, une commission parlementaire lui offre un répit : tout comme le domicile de Liliane Bettencourt ou le siège national de l’UMP l’ont été dans le cadre du Woerthgate, les bureaux de Berlusconi devraient être perquisitionnés. Mais rien n’urge, et les parlementaires PDL (le parti de Berlusconi) ont ajourné d’une bonne semaine leur décision de donner le feu vert ou le feu rouge au parquet de Milan et à la police. Les 389 pages du dossier judiciaire sur le Rubygate font l’objet de nombreuses fuites vers la presse, et c’est plutôt gaillard, grivois, salace. La presse d’opposition décrit l’Italie comme « un bordel gouverné par un vieux satyre obsédé de sexe » (Il Fatto Quotidiano). Le Vatican donne de la voix pour se distancier de son ex-protégé. Il s’est gagné un autre surnom : « le Sultan ». Est-ce la fin du mamamouchi (ou plutôt du donzellomouchi) ? Pas sûr, mais il est sur la corde (de string) raide, vraiment, cette fois.