Vous avez remarqué le titre ? « Réalités et clichés ». Franchement faiblard, mais je vous ai épargné le « terres de contrastes », si cher aux conférenciers des séances de cinoche des jeudis des années 1960 quand l’expression « la semaine des quatre jeudis » (de congés scolaires hebdomadaires, reportés ultérieurement aux mercredis) restait usitée. En province (surtout ?), les films de Connaissance du monde ont permis maintes explorations réciproques de palais d’ados des écoles publiques et confessionnelles pour une fois réunis dans la pénombre pendant que les intérieurs d’autres, finalement moins exotiques, défilaient à l’écran : Taj Mahal, Cité interdite, Kremlin, &c. Le reste de la semaine, trop souvent, on s’ennuyait ferme.
Traiter vraiment du sujet, soit de l’ennui en province (comme si ce continent périphérique était uniforme), me bassine. Contentons-nous d’en bavarder, avec pour prétexte l’un des articles consacrés au reportage de France 2 sur Niort, celui de Thierry de Cabarrus sur Le Plus (« Niort, Amiens, Guéret : comment les médias parisiens stigmatisent la province »).
Bon angle, bon titre, et quelques observations plutôt superficielles – un peu moins que celles qui vont suivre, restons confraternels – occultant le fait que d’habitude, la presse parisienne magnifie bien davantage la province qu’elle ne la stigmatise. Cela tient aussi au fait que les invitations de syndicats touristiques, d’hôteliers, restaurateurs, vignerons et autres fournissent des sujets sympas qui ne grèvent pas autant les budgets (tout est pris en charge) que celui de France 2 sur Niort, réalisé à moindre frais par une équipe venue de Poitiers.
Implication ou non
J’allais énoncer une contre-vérité : la province se mérite davantage que Paris. Tout dépend en fait de l’âge, des raisons qui vous amènent dans la capitale ou une grande ou petite ville provinciale, de multiples facteurs. Je me suis copieusement « emm… » à Niort, circa 1980, en dépit d’un préjugé au départ favorable : capitale des mutuelles comme Cholet est celle du mouchoir, ce devait être un pays de cocagne du fait d’un fort taux d’emploi féminin. À moi les petites Niortaises !
J’étais venu pour six mois au Courrier de l’Ouest, et ce n’est que dans les derniers d’un séjour prolongé d’un trimestre que (bises, Martine, bises, Marinette…), j’ai pu fréquemment partager mes dîners trop longtemps seulâbres (je connaissais déjà par cœur les menus des restaurants accessibles) et quelques séances de cinéma (très accessibles du fait d’une carte de presse).
Je ne nie pas que la vie culturelle était déjà de qualité, et j’étais bien placé pour le constater, mais mes soirées, deux semestres durant, furent d’une épouvantable platitude.
Mon implication était quasi-nulle… Les Niortais sont aussi superficiellement amènes que les Angevins, mais largement plus accueillants que les Rémois, mais bien moins que les Nordistes ou les Francs-Comtois, &c. (beaucoup pourraient vous soutenir le contraire, et je conserve de chaleureux souvenirs de la « rébarbative » Alsace, région estimée détestable du point de vue de la facilité de se lier avec ses habitants, par maints « immigrés » venus de « l’Intérieur »).
Il a peut-être effectivement échappé à l’équipe de France 2 que Niortaises et Niortais, au cœur de l’été, fuient le soir et les fins de semaine vers La Rochelle, tout comme La Baule se peuple d’Angevins. Sinon, oui, « le vide qui perturbe les plus endurcis » (voix off du reportage), est parfois d’une assommante pesanteur… pour qui ne partage pas l’apéritif derrière les murs des villas ou ceux des façades d’une ville assoupie.
Routinier Paris
À Paris, je vis encore davantage dans mon village (l’un des quartiers plutôt animé, voire encore heureusement populacier d’un arrondissement populaire). J’ai ma cantine, rarement désertée au profit d’une vaste concurrence fort diversifiée, mes copines et copains de terrasses, et quelques amis épars, rarement fréquentés, alors que je les côtoyais quasi-quotidiennement en nos provinces. Ce Paris est ma villa Sam’ Suffit.
J’avoue que de retour que d’un court séjour à Cuidad Quesada (Rojales, près de Murcie), ou des enfilades de villas claquemurées ne sont que trop rarement rompues par de rarissimes mini-zones commerciales, Niort m’aurait peut-être parue une cité quasi trépidante, même un dimanche. Chaque îlot de cette « urbanisation » devenue tentaculaire évoque un village africain quand femmes et enfants sont aux champs et les hommes partis au bourg. La ville, c’en est une, s’étend pourtant à perte de vue.
Pourtant, m’ont assuré mes amis, on s’y intègre dans une communauté internationale anglophone (et pas que… mais l’anglais est le vernaculaire local) en moins d’un trimestre.
Sentiers rebattus
Thierry de Cabarrus n’a toutefois pas totalement tort. Son expérience de la presse l’oblige à reconnaître que le détaché en province est souvent tenté de rapporter à la rédaction en chef parisienne ce que cette dernière considère convenu. La mienne aussi. Un peu différemment. Traitant de meurtres commis par des ex-militaires de démobilisés issus de troupes de choc (trois concomitants valant, forcément, vu de Paris, « épidémie »), j’avais été fortement incité à développer le thème d’une armée « apprenant à tuer ». C’est en fait très réducteur (heureusement, sur deux pages de magazine, on peut quand même entrer dans la complexité, baliser d’autres pistes et facteurs, et ne pas mettre légionnaires et parachutistes, anciens du Liban et d’autres terrains d’opération, dans un même barda commode à déverser en paragraphes et lignes, mais totalement illusoire).
Certes, certains sujets sur la province sont « ambiancés » en secrétariat de rédac’. Mais la ou le fameux « détaché » est souvent issu de toutes petites locales, ou de la fameuse « brigade » tournante des radios ou chaînes nationales. La province, il connaît. Parfois trop longtemps à son gré et la semaine de remplacement à Château-Gontier, Châteauroux ou Guéret devient, au bout d’un semestre de maintien sur place, soit une Bérézina aux flots de sinistrose, soit un début d’enracinement que la mutation qui n’est plus si espérée viendra rompre. C’est selon.
Passé le nième reportage sur les « guérisseurs et sorciers » du Berry, en tentant de trouver au moins un autre interlocuteur que ses multiples prédécesseurs, la tentation de faire envoûter à distance la ou le responsable des mouvements de personnel peut devenir taraudante.
Déformations, exagérations
Je me souviens de cette fameuse phrase, totalement improvisée aux petites heures, de feu Jean-Michel Bezzina (dit Bezbez, de RTL), « ce matin, Belfort s’est réveillée… avec la peur ! » (montée de ton sur « réveillée », descrecendo pour « avec la », remontée sur « peur »). Lors de la grande grève de l’Alsthom, une cabine de TGV, mal surveillée par les grévistes, avait été explosée (j’ai su depuis par qui, je me suis bien gardé de le publier). Personne, hormis les auteurs, le piquet de grève, sans doute des policiers et le préfet, et notre petit « pool » de journaleux, n’était, à Belfort, au courant des événements de la nuit.
Et je vous fiche mon billet que, me livrant plus tard un radio-trottoir, j’aurais obtenu nombre de « Ah bon ? Bof… », à éliminer de soi-même, et que selon cette pêche aux émotions, j’aurais fini par trouver autant de « pour » prudents (genre : « on peut comprendre, mais… »), que de « contre » convenus, plutôt tièdes, avec aussi la condamnation ferme d’usage, attendue, mais je n’ai pas constaté de panique. Belfortaines et Belfortains se sont livrés sereinement à leurs occupations habituelles.
Certains, c’est vrai, vont jusqu’à déformer les propos au montage. Il faut obtenir des opinions contrastées, ce qui vaut tant pour la vie en province « profonde » que dans les banlieues surpeuplées. Amiens, ville longtemps assoupie, terne, quelconque, a profondément évolué, son centre est devenu plutôt coquet, comme ceux de la plupart des villes moyennes françaises. De Carrabus la mentionne et conclut « les médias massacrent au rouleau compresseur des villes qui se battent pour développer leur dynamisme et leur qualité de vie. ».
Meuh non… Ils magnifient souvent autant qu’ils dénigrent par ailleurs, selon l’air du moment. Balzac l’avait déjà relevé dans sa Monographie, et Jeffrey Archer, dans son Fourth Estate (quatrième pouvoir), roman à clefs, fait dire à l’un des « hacks » de Maxwell ou Murdoch, devenu un « sub » (redchef-adjoint) destiné à balayer la vieille garde de Fleet Street, ces fortes paroles :
« Les éditoriaux sont trop plan-plan. Faut leur balancer du senti en une-deux phrases. Pas de mots de plus de trois syllabes, pas de phrases de plus de dix mots. Ne jamais tenter de les influencer. Se contenter de s’assurer que vous réclamez ce qu’ils attendent vraiment. » (adaptation libre, p. 425 de mon poche Harpers Collins).
Comme on ne peut satisfaire tout le monde, en fonction, on développera, sur la province par exemple, de quoi satisfaire les tenants de la qualité de la vie en province, ou au contraire, celles et ceux n’envisageant pas de quitter des métropoles.
On le sait, une même photo peut donner lieu à des interprétations (des légendes) totalement opposées. Ainsi de l’éternel débat métropole-ville moyenne-bourgade-localité rurale.
Niort, Poitiers…
C’est le correspondant de Poitiers (ville voisine) qui aurait réalisé pour France 2 le reportage sur Niort. De mémoire, hormis aux alentours de sa gare, très tôt le dimanche matin après la sortie des boîtes de nuit, Poitiers était aussi plongée dans sa torpeur dominicale que Niort. Cela a pu évoluer.
Tentez donc, une fin de dimanche après-midi, de trouver la moindre animation dans le 16e ar. parisien. Même en semaine, nombre de ses quartiers vivent la fébrilité d’une morgue entre deux arrivages de viandes froides.
Il s’est trouvé près de 4 000 autres plumitifs (même Morandini a repris) à baver comme moi-même sur le reportage d’Alain Darrigand, qu’il se sent obligé de qualifier de « raté ». C’est vrai, d’une certaine manière : quelques images parisiennes en contrepoint auraient mieux établi que, hors les plages ou les quartiers très touristiques, le 15 août est une journée « morte » presque partout en France. C’est tombé sur Niort.
Les réactions niortaises (et autres) me remémorent la protestation des bouchers-charcutiers lyonnais (et autres) lors du procès de Klaus Barbie, dit « le boucher de Lyon ». On salissait ainsi leurs professions !
Trois jours après la diffusion, Le Courrier de l’Ouest titrait encore « la polémique continue d’enfler ». Eh, coco, quand on a n’a plus un twit de Valérie à commenter dans les pages, il faut bien se rabattre sur quelque chose. Et interpeller le lectorat (résultat, au bout d’une quarantaine d’heures, un seul commentaire sur le site du quotidien angevin ; c’est dire à quel point on nous enfle, et même parfois gonfle avec des débats dont la plupart se contrefichent).
Bah, enfler, désenfler « la polémique », c’est toujours mieux venu que de revisiter les rosières et autres sujets « du terroir », lesquels font généralement trop consensus (elle est toujours charmante et prévenante, la rosière… surtout si son élection n’a pas été précédée d’une « guerre des rosières », plus rafraîchissante).
Ce lundi, avec Calixte de Nigremont, le CO réchauffe aussi la polémique sur « la fameuse pétition Plantagenêt réclamant le retour des joyaux de la couronne [d’Angleterre] en Anjou. » (voir sur Come4News et ailleurs).
Pour le moment, à Niort et ailleurs, on goûte surtout un léger rafraîchissement des températures en s’alanguissant à peine moins que la veille (ou le 15 août). Dans mon parisien village, il en va à peu près de même.
Qu’en conclure ?
Hé, strictement rien. Aucune conclusion susceptible de faire mouche et polémique. Le débat est sans doute aussi vieux que les Gaules, au moins autant que le petit Liré et le mont Palatin. Autant botter en touche. Je me souviens que Niort avait accueilli un rassemblement vaguement international des confréries gastronomiques et vineuses. Avec ou sans caméras des chaînes nationales pour le défilé ? J’ai oublié.
Avis à nos confrères belges, italiens et varois. Refaire le coup à Namur, Sizzano et Rougiers. Ce qui vous vaudra l’ire intéressée des édiles vous accusant d’avoir écorné l’image de leurs endormies cités respectives en ayant dédaigné les formidables activités de la Confrérie du Peket d’Namur et ses escargots, celles de l’Ordine dell’Amarena e del Niebbiolo di Sizzano, ou encore des chevaliers du Pois chiche de Rougiers (au pied de la Sainte-Baume, triage des pois à l’ancienne avec ventarelle, le 9 septembre prochain).
Allez, pour Niort, après quelques pineaux des Charentes (pas un vin d’honneur local ne présentant d’autre choix qu’un jus de fruits), tout s’apaisera de nouveau.
Juste un tout petit mot sur les « journalisses » : mettez-vous un peu à leur place, qu’auriez-vous fait pour meubler (hors rubriques internationale ou faits-divers) une édition du 16 août ? Merci de vos suggestions… pour l’année prochaine.
[b]les pôv’journalisss ! snif, snif ! [/b] 😉 🙂 😀
Voui, Zelectron, surtout au prix où la plupart sont actuellement rétribués pour, par exemple, partir parfois des semaines dans des conditions difficiles.
Ou tout simplement devoir faire semblant d’accorder de l’importance à des trucs dérisoires lors de remplacements de plusieurs jours qui s’enchaînent dans de petites locales (bon, cela donne le temps de lire : rien d’autre à faire en fin de journée).
Non, sérieux, je prends votre remarque avec humour. Ce n’est pas égoutier en Inde, mineur en Afrique du Sud, loin de là.
Mais si la plupart des impétrant·e·s savaient ce qui les attend réellement…
Parfois de quoi envier la routine (deux rotations dans la journée) des stewarts et des hôtesses des compagnies low-cost, professions qui ont formidablement perdu de leur superbe.
Quant au travail posté, cela reste bien mieux réglementé en usine que parfois dans la presse.
Il y a la façade, et les coulisses.
[b]Cher Jef,
J’ai dans ma famille 2 journalistes et rencontré aussi quelques uns d’entre eux lors de parties de campagne. La différence avec aujourd’hui est saisissante: c’est devenu un « métier » précaire, aux ordres d’une idéologie « audimatienne » rien de plus rien de moins; flatter le lecteur, l’auditeur, le (tele)spec, l’internaute et je ne sais quoi (la ménagère de moins de 50 ans!*), seuls comptent les résultats induits en terme de vente d’espaces publicitaires, quant à la qualité de l’écriture, « l’ortografe », le fond, la forme ? qu’est que ces considérations antédiluviennes ! du sang, du sexe, du scandale voilà les maître du jeu un peu de politique politicienne teintée de gôche pour attiser les bas instincts du peuple braillard, des jeux, du cirque, des combats de gladia non zut de foutebol … Dans tout ça nous sommes loin d’Albert Londres , le devoir d’informer ? non! distraire oui, c’est la différence.
Je profite de cette courte réponse pour te dire combien je lis avec attention tes articles et tu le sais même si nos sensibilités politiques sont différentes, mais si contradictoirement proches.
*ce qui montre en quelle estime les publicistes (et les autres) tiennent ce « modèle »: avec mépris?[/b]
[b]A propos de l’article de SOPHY concernant la fusion-jumelage-mariage-pacsage, je rejoint les commentaires d’un certain nombre et de bien d’autres de la majorité silencieuse l’alliance de la carpe et du lapin ne présage rien de bon: audimat, audimat, audimat si c’est ça la règle du jeu alors: FACEBOOK ÜBER ALLES ! (surtout pour un Zuckerberg!)[/b]
😉 🙂 😀
Eh oui, Zelectron, et la course au « cœur de cible » pour la presse écrite.
Cela étant, d’un côté, l’Internet n’a rien arrangé (toujours plus de contenu, toujours plus vite, à jets continus), de l’autre, il a permis un peu d’influer sur le reste des médias (certains [i]pure players[/i] d’info tentant de se démarquer), plutôt en mieux.
Merci en tout cas de ton appréciation.
L’un des reporters m’ayant remplacé dans un précédent poste (dans un quotidien régional) me disait :
« [i]on n’a même plus le temps de sortir ; il faut pondre, on est pendus au téléphone[/i] ».
Or rien ne remplace le vrai terrain, voir les gens, nouer de réels contacts, et aussi avoir le temps de les écouter.
[b]dommage qu’on ne puisse plus « plusser » qu’à traver FB les 5 étoiles auraient été méritées pour toi quant à votre comment ci dessus j’y souscrit à 100% (on ne peut pas 110 ou 200?)[/b]
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