Selon le cabinet d’architectes Hardel & Le Bihan, l’immeuble du 141, rue de Charonne (Paris, XIe), « très dégradé » devrait être démoli pour ériger un ensemble « d’une dizaine de logements sociaux ». Fort bien, mais en attendant l’immeuble, resté inoccupé depuis un an, venait d’être « réquisitionné » par le collectif Les Mal-Logés acharnés. Policiers et CRS ont expulsé les familles dans la soirée d’hier dimanche, alors que la trêve hivernale vient d’être instaurée. 

Taline, une habitante du quartier Léon Frot, dans le 11e arrondissement parisien, comme beaucoup d’autres résidents, croisent chaque matin, devant le 24 de la rue, un jeune homme replier ses couvertures. Il aurait pu trouver refuge au 141, rue de Charonne, dans un immeuble voué à la démolition, occupé par le collectif Les Mal-Logés acharnés. C’est trop tard, il a été évacué de force, en usant « de violence », estiment divers voisins, hier, dimanche.

46 personnes, dont dix enfants, occupaient l’immeuble depuis mardi dernier. Les portes ont été forcées vers 23 heures. Les familles auraient effectué des demandes de logements sociaux, en vain, expose le comité. Le mois dernier, la ministre du Logement, Cécile Duflot, avait évoqué l’éventualité de réquisitionner des logements vides, provoquant l’ire de ténors de l’UMP.

L’immeuble de la Semidep, organisme de logement social, gérant près de 6 000 logements en Île-de-France, a longtemps attendu d’engager une rénovation ou une démolition. Seulement, voilà, une fois la décision prise, le début des travaux (et que dire de leur achèvement) tarde.

Ainsi, l’immeuble de la Sernam, rue de l’Échiquier (10e ar.), un temps occupé par le collectif culturel du Théâtre de Verre, a mis des années avant d’être entouré de palissades et de voir les premiers engins de chantier arriver.
Entre-temps, soit après que le Théâtre de Verre ait évacué les lieux, des squatteurs s’étaient installés.

C’est pour leur sécurité, qu’après des semaines et des mois, ils avaient été expulsés. Le DAL avait alors, pour quelques jours, installé des tentes à proximité.
Plusieurs mois après cette seconde occupation, les travaux débutaient. Ils se poursuivent et prennent du retard. Le (ou plutôt les) futur immeuble accueillera environ 80 logements sociaux.

Vers la mi-2013 ou « prochainement » ?

Dans son bulletin de juin 2010, la Semidep indiquait que le projet de démolition-reconstruction de dix logements et d’un local commercial au 141, rue de Charonne serait livré vers mai 2012 (février 2012 pour un document publié par le Pavillon de l’Arsenal, revue d’architecture). En novembre, occupation suivie d’expulsion, mais pas le moindre début de commencement de travaux et il est rare qu’un chantier soit lancé en plein hiver. Le document (52 pages, imprimé sur papier recyclable) est fort bien réalisé, consacrant deux visuels à cette opération, dont l’un couvrant une pleine page. On voit aussi, sur une autre page, Valérie Pécresse et Patrick Devedjian, tout sourire, assister à Bobigny, à la de la première pierre de la résidence étudiante « La Vache à l’aise ».

Sans mauvais jeu de mots, on peut se demander si, hier, vers 23 heures, policiers et CRS se sentaient aussi à l’aise pour procéder à l’expulsion rue de Charonne, d’enfants, de femmes, et d’hommes, ainsi que de militants des sans logis ou mal logés.

À présent, ce jour, Jean-Yves Mano, adjoint de Bertrand Delanoë, annonce que le chantier de démolition débutera vers la mi-2013. « Est espéré pour la mi-2013 », rapporte le Nouvel Observateur. Ce qui fait vers juin prochain. L’immeuble était-il dans un tel état que la sécurité de ses occupants aurait été mise en danger ? Ne pouvait-on laisser des squatters s’installer depuis plus d’un an et jusqu’au printemps prochain ? Telles sont les questions essentielles. Mais au fait, à propos de la présence de femmes et d’enfants, Jean-Yves Mano était donc sur les lieux, un froid dimanche soir de novembre, pour le constater de visu ? Admettons.

La Semidep, un très lourd passé

Selon le site de la Ville de Paris, « l’audit de la Semidep a révélé une société en crise profonde, tant sur le plan humain, avec un climat social dégradé et des pratiques condamnables en matière de frais généraux, que sur le plan financier et immobilier, avec une société déficitaire dotée d’un parc immobilier disparate, dispersé et vétuste. ». C’était en 1995. Le rapport de 130 pages avait été amputé de plusieurs pages « à la demande de la commission d’accès aux documents administratifs » et c’était « gratiné » tout du long. Le dossier judiciaire a été bouclé fin 2000.  Selon l’instruction, un vaste système de travaux fantômes avait été mis à jour. On sait parfois prendre son temps (plus de cinq ans) dans certains cas. Là, pour l’expulsion, la réaction a été plus prompte (six jours).

Une association de locataires notait, fin 2010, « la Semidep reste fidèle à elle-même : peut-elle procéder à des augmentations de charges sans avoir clôturé l’exercice précédent ? ». En mai 2011, la Semidep faisait poursuivre en justice une famille de Bondy pour une dette de 300 euros. Ah, il est sûr que, déjà remaniée en 2006, l’image de marque et l’identité visuelle de la société ont fort bien évolué. Pas forcément les pratiques, en tout cas, certaines. En 2008, la Semidep se dotait d’un fort beau site Internet…

On apprend à présent qu’une femme a été placée en garde à vue lors de l’évacuation de l’immeuble. Elle aurait été accusée de « violences volontaires » sur la personne d’un fonctionnaire de police. Dans un premier temps, de source policière, l’AFP rapportait que l’évacuation s’était effectuée dans le calme.
La préfecture a démenti que des familles et des enfants auraient été évacués. Selon la préfecture de police, ce ne seraient plus dix, mais douze logements sociaux qui seraient prévus. Les travaux devraient débuter « prochainement ». Quand ? Plus de huit mois, c’est « prochainement » ?

Hélène Bidard, conseillère de Paris (membre du conseil national du PCF, groupe communiste et élus du Parti de Gauche) de Paris est présidente de la Semidep depuis 2008. Elle est aussi, pour le 11e ar., conseillère chargée des Droits de l’Homme et de la lutte contre les discriminations. Elle siège aussi à la SGIM « acteur d’équilibre pour l’habitat parisien », une autre SEM vouée au logement social. Elle représente le département de Paris au groupe Logement français.
Avec les élus communistes de son arrondissement, en février 2008, elle appelait à manifester pour « le droit au logement opposable ». Lequel « nécessite un moratoire sur les expulsions locatives », selon le communiqué d’alors.
Le communiqué exigeait « la réquisition de logements et de locaux vacants, la mise en commun de tous les réservataires (bailleurs, villes, préfecture et 1% logements), la mobilisation par la préfecture de logements dans le parc privé, un plan d’urgence de production de logements très sociaux pour contribuer au logement des familles reconnues prioritaires. ».

Syndrome Jules Moch

Admettons que Manuel Vals ou Hélène Bidard aient appris les événements de la nuit par la presse… Ou alors, il faudrait croire que le « syndrome Jules Moch » ait contaminé le Front de Gauche. Comme le rappelait Jean-Luc Mélenchon, dans la majorité gouvernementale, régnerait « dorénavant un syndrome Jules Moch, du nom du ministre de l’intérieur socialiste qui, à la Libération, se fit une réputation en réprimant avec cruauté les grèves ouvrières comme garantie de l’appartenance au bon camp de l’ancienne SFIO. ».

Les non dits, ou omissions, dans cette affaire, portent sur des « détails ». Ainsi, s’il n’y avait pas de femmes (dont l’une enceinte) et d’enfants lors de l’expulsion proprement dite, c’est que, vraisemblablement, l’intervention avait été signalée aux occupants, qui les ont évacués avant que la police défonce la porte. C’est en tout cas la version de voisines et voisins, témoins n’étant pas liés au collectif. Mais ils portent aussi sur des éléments plus importants. Qui a réellement décidé de cette opération ? Quelles mesures préalables avaient-elles été prises ? La mairie du 11e, soit au moins l’ensemble de la municipalité (au sens de réunion des adjoints), avait-elle été informée et au juste quand ?

Ce sont les questions que diverses habitantes et électeurs du quartier entendent poser au maire d’arrondissement, dans un premier temps.