Quelle est donc cette voix qui fend les nuages, quelle est donc cette voix qui fend l’espace pour venir résonner inlassablement dans mes oreilles ? Une voix si chaude, si douce qui exhale comme un exquis parfum de fleurs d’oranger, d’oliviers, de thym. Elle porte la jeunesse, elle porte le soleil, les étoiles, toute la lumière du monde. Elle porte des vagues azur qui cognent et recognent dans mes oreilles et éveillent en moi une si irrésistible envie de t’étreindre dans mon coeur, ô toi mère !

Tel un éclair, le temps a coulé déposant sur ton sublime visage, ses griffes assassines qui me brisent, me font déchoir… Ô toi qui t’es dépouillée de toi-même pour les autres, toi l’étincelle de mon coeur ! Je t’ai ratée alors que je me languissais tant de ton absence. Mère, j’ai honte de mon retard face à ta vie en péril ! Pardon !

Moi qui voulais avec les "cils de mes yeux" te protéger des écueils de la vie, des affres d’un départ brutal. Je t’ai ratée puis je vacille de vertige ! Moi qui savais abolir les frontières pour te retrouver presque chaque jour, je n’ai pas su déchirer ni le temps, ni l’espace, ni t’arracher de toutes mes forces de l’innommable, de la hideuse mort si inattendue, ô toi tendresse de ma vie !  

J’ai perdu tous ces moments dorés de plénitude, d’infinie douceur. Tu ne m’attendras plus pour le café. Tu ne me réciteras plus de poèmes. Tu ne me raconteras plus la rose de ta vie avec tes mots, tes pépites de feu.

J’arrive, prépare-moi un bon café que l’on dégustera au balcon qu’embaument les jasmins, les gardénias pétillants d’une splendeur pourpre à la mesure de l’amour que tu leur voues !

Que n’avais-tu raison en me répétant que la vie est éphémère, que tout se dissipe si vite, que l’on ne faisait que se fourvoyer par des chimères telle Pénélope détissant le temps et qu’il fallait rentrer au  pays, rompre l’exil, partager plus de moments ensemble. Le destin en a voulu autrement…

 De grâce, ne laisse pas mon coeur s’émietter, laisse irradier sur moi ta chaleur, mère ! Ne laisse pas mon  coeur s’émietter ! J’aurai du mal à recoller les morceaux…

 Ô que Beyrouth, que tout le Liban me semble vide sans toi ! Si lumineux d’habitude, le ciel s’est obscurci et n’a cessé de pleurer. Aucun chant d’oiseau. Même les citronniers que tu affectionnais tant, laissaient pendre timidement leurs fruits jaunes. Le deuil de ta brûlante absence !

 M’éclipse de ce pays tant chéri où le moindre détail me parle de toi, pour alléger ma douleur lancinante. Ne me restent plus que tourments, ne me restent plus que souvenirs, rêves et je saigne.

 Une mère perdue, un morceau de vie qui se fissure, devient cendres, devient poussières. Mais impérissables. Une mère perdue, une étoile scintillante qui s’éteint un temps et on se sent si démuni, si brisé devant un immense abîme.

Non, mais une étoile scintillante qui se rallumera. Une étoile toujours "empreinte de prières" qui brillera à jamais de mille feux dans le firmament. La plus belle des étoiles ! La mère et sous les pieds de laquelle se trouve le paradis…