Papauté et consorts : l’imbroglio Bergoglio… et les autres

Le pape François réussira-t-il à se défaire d’une réputation de collaborateur actif de la junte militaire argentine des années 1976-1981 ? Horacio Verbitsky, un journaliste et historien argentin, reprend certes à son compte les accusations du défunt père jésuite Orlando Yorio mais n’apporte en fait qu’un seul élément totalement probant : le pape, alors supérieur provincial des jésuites, a bel et bien favorisé l’expulsion vers l’Allemagne du père Francisco Jalics puis contrecarré son souhait de revenir en Argentine en déconseillant de facto aux autorités qu’il puisse obtenir le renouvellement de son passeport.  Mais cela est aussi sujet à controverse. Comme d’ailleurs l’action de presque tous les personnages publics.

Christianophobe, ilsamophobe et judéophobe, je ne me soigne pas car mon état n’a rien de compulsif. La preuve en est que c’est seulement après un très long article accusateur du Sunday Mail accompagné d’une tribune de l’Argentin Horacio Verbitsky que je fais état des fortes suspicions visant le pape que rapportaient voici quelque jours la presse argentine (et l’ensemble de la presse latino-américaine).
Je commençais voici deux jours à rédiger un papier ambitieux n’opérant certes pas de rapprochement entre le passé du pape et la condamnation d’un champion de karaté, de son ex-épouse et d’un collaboratrice pour avoir organisé, à La Palmas, pendant vingt ans, de véritables orgies bisexuelles incluant des mineurs, mais traitant de l’admiration, de la valorisation des institutions (sportives, religieuses, étatiques). Préservons-nous d’admirer, surtout les corps constitués, concluais-je. Je devais être en surchauffe car mon ordinateur le fut, stoppa net, et faute de sauvegarde, le tout est passé à la trappe. Pour une fois qu’il ne s’agissait pas d’un bogue de Come4News, penaud, j’abandonnais, enterrais ce projet pourtant fort avancé.

Oublions un instant le karatéka, ses complices, cumulant des centaines d’années d’emprisonnement, ce qui n’a même pas été infligé à un Dutroux, autrement criminel, et tentons de faire équitablement le « procès » du pape.

Dans la presse latino-américaine, la sœur et la famille d’Orlando Yorio se disaient toujours persuadées, comme l’avait longuement écrit leur frère, que Bergoglio l’avait dénoncé ainsi que le père Jalics.

Il ne fait aucun doute qu’à l’époque, la majeure partie de l’épiscopat argentin collaborait avec le régime, donnant même le feu vert au mode d’exécution des détenus après tortures : largage vivant dans l’océan depuis un hélicoptère, une fin jugée suffisamment « chrétienne ».

Mais Bergoglio n’était alors ni évêque, ni archevêque, mais le supérieur provincial des jésuites. A-t-il, plus ou moins directement, accéléré le rapt puis la détention des deux pères de sa congrégation, puis favorisé leur libération : « sans doute ». L’expression est malvenue, puisque le doute subsistera, en sa faveur, comme à son encontre. A-t-il aussi empêché qu’une fillette, toujours portée disparue, née des œuvres d’une ex-religieuse, fille d’ancien ministre, soit retrouvée parce qu’elle fut adoptée par une famille trop puissante pour être inquiétée ? Peut-être…

En revanche, il se serait montré très « jésuite » en contactant les autorités argentines pour que le père Javics, réfugié en Allemagne, puisse renouveler son passeport à moindre frais tout en laissant entendre que l’intéressé était persona fort peu grata au sein de l’église argentine. Du coup, le père Javics resta en Allemagne, se réconciliant avec Bergoglio par après.

Pourtant, comme l’exprime Jean-Luc Mélenchon, le doute n’a pas sa place : on devait être pour ou contre, pas « à côté ». Il est vrai que, jusqu’à présent, le Parti de gauche n’a pas eu trop l’occasion de faire la part des choses entre compromission et attachements à ses principes. Mon article avorté évoquait aussi l’indignation, posture parfois fort commode.

Or, Bergoglio pouvait être « à côté ». Il aurait sans doute suffi pour cela que son général, sollicité, l’affecte ailleurs et nomme à sa place un étranger, moins susceptible de plier sous diverses pressions. Nous aurions alors un pape aux mains propres, même s’il pourrait lui être reproché d’avoir fait sienne la devise « courage, fuyons ».

Peccadilles ?

Horacio Verbitsky, auteur d’El Silencio et Doble juego, ouvrages portant sur l’église lors de cette funeste période, se montre beaucoup plus catégorique à présent pour accabler le pape qu’il ne le démontra vraiment après ses rencontres avec Bergoglio. Lequel avait peut-être reçu des ordres de son propre général, Pedro Arrupe y Gondra, un Basque, de ménager la chèvre et le chou dans ses relations avec le général Jorge Videla, à la tête de la junte argentine. Arrupe avait été expulsé d’Espagne par le régime républicain espagnol, en 1932, et il fut ordonné prêtre aux États-Unis. C’était pourtant lui qui avait incité la Compagnie à s’engager, en Amérique latine, dans les luttes sociales. Il fut mis au pas par Rome, le successeur qu’il avait désigné évincé. Mais peut-être ne concevait-il pas que sa congrégation abandonne un terrain d’implantation, fusse-t-il miné.

Qui, du général ou du provincial, décida peut-être de « faire la part du feu », ce qui vaudra à deux pères d’être arrêtés, torturés, puis relâchés, c’est peut-être la vraie question. Quant au sort de la fille de Monica Candelaria Mignone, Bergoglio n’en savait peut-être pas davantage que le grand-père, l’ex-ministre Emilio Mignone, qui, dans Iglesia y dictadura, publié en 1986, dénonça la « sinistre complicité » entre la junte et l’épiscopat.

Ce seraient pourtant Emilio Mignone et le Vatican, bien davantage que Bergoglio, qui avaient œuvré pour que les deux jésuites enlevés soient relâchés. Admettons, tout comme on peut admettre que le provincial n’aurait pas contrecarré – il le pouvait peut-être – cette libération. Divers jésuites furent relevés, contre leur gré, de certains de leurs vœux, et désavoués : le provincial exécuta-t-il les ordres de son supérieur général ?

Si l’on comprend bien les déclarations de Verbitsky à la presse hispanophone ou anglophone, le seul fait véritablement attesté serait que Bergoglio avait d’un côté sollicité le renouvellement du passeport de Javics tout en signant une note indiquant qu’il ne souhaitait pas que sa démarche obtienne un avis favorable. Ce qui est frappant, c’est de les comparer : factuel pour la presse latino-américaine, Verbistky devient véhément et impitoyable pour la presse britannique.

Cela donne, dans le Sunday Mail, un titre général affirmant que sur la base de « damning documents », le pape aurait trahi des prêtres ayant subi des tortures. Verbitsky force le ton en évoquant une « glaciale découverte » (chilling discovery) qui démasque le « Pape de la dictature ». C’est quelque peu surenchérir.

Voilà donc un pape qui n’est pas tout à fait blanc-bleu (de totale confiance). Ce que fut si longtemps (vingt ans), le pédophile narcissique des Canaries, auréolé par ses médailles, l’institution sportive, &c. (et le fait que ses élèves l’idolâtraient, que certaines se sentaient amoureuses de son épouse ou de leur monitrice, voire le fait qu’ils ou elles pouvaient – pour certaines ou d’aucuns – avoir pris goûts à l’échangisme ou au triolisme bisexuel, &c.). Non seulement les institutions se préservent, mais nous voulons parfois trop les préserver, les désirer au-dessus de tout soupçon, adhérant aux raisons d’État un peu trop aveuglément.

Ondoyants (et divergents) « parallèles »

Dans un ordre de voisinage éloigné, une ancienne sergente de l’armée américaine, violée par un compagnon d’armes en Afghanistan, se vit répondre par l’aumônier que son viol était un signe divin lui enjoignant d’être plus assidue au culte. Par ailleurs, le cardinal sud-africain Wilfrid Fox Napier (archevêque de Durban) estime que la pédophilie est un « dérèglement mental », une « maladie » (quand elle est induite par le fait d’avoir été soi-même victime d’actes pédophiles, comme dans le cas du karatéka de Las Palmas). Armée, gymnase, église, autres institutions, tendent à s’exonérer de certaines responsabilités, et de l’autre côté – les lourdes peines infligées à Las Palmas le montrent : plus de 500 années de prison au total – au nom de l’exemplarité, nous pouvons tendre à en exiger plus d’irréprochabilité.

Le souverain (pontife) savait… au moins certaines choses. Tout comme peut-être l’aumônier militaire étasunien, éventuellement des autorités sportives espagnoles qui voulaient croire à des relations librement consenties avec de (très) jeunes adultes et n’ont pas été du tout inquiétées, l’archevêque et cardinal indulgent envers ses prêtres (voire ses ouailles : l’Afrique du sud est un pays où les viols de mineures sont monnaie courante), savaient, savent, ou feignent encore d’ignorer, minimisent… tandis que nous sommes portés à d’autant plus lourdement condamner.

Relevons qu’au moins ce pape se définit fort peu « très saint père », ce qui ne contribue pas que peu à ne pas le faire tomber de très haut. Son humilité qui ne semble pas feinte lui vaut quelques sympathies.  Le voici « pipeule » par excellence à présent ; souhaitons que son attitude incite les autres, en tous domaines (vedettariats sportif, politique, financier, cinématographique, journalistique, &c.), à beaucoup moins se et nous « la jouer ». Mais cela doit aussi nous inciter : nul ne se glorifie qui ne soit glorifié, courtisé.

Ni divin, ni magistral

Pour certains, les zones d’ombre du passé de Bergoglio relèvent d’errements véniels, pour d’autres, le voici pire qu’un Pie XII (dont l’attitude envers les pouvoirs fascistes fut, mettons, nuancée, hésitante, incertaine, avec des côtés actifs, d’autres passifs, d’autres encore contradictoires). Prenons-le plutôt pour ce qu’il donne à voir, et pour ce qu’il démontrera.

Mon militantisme laïcard revendiqué ne va pas jusqu’à souhaiter qu’il soit, selon une vaseuse prédiction d’un Nostradamus sanctifié, l’ultime pape : un pape s’éteint, un nouveau révérend Moon, un futur Joseph Smith (église des saints des derniers jours, les mormons), un ayatollah se lève. Un collège cardinalice a fait un pape, deux chambres ont donné les pleins pouvoirs à Pétain, mais nous en avons fait bien d’autres : point d’ouailles, point de cardinaux ; point d’électeurs, point d’élus ; et sans spectateurs, nulle vedette, dieu du stade ou de la scène.

Les familles des Canaries qui confiaient leurs enfants au gymnase de Fernando Torres Baena espéraient pour certaines qu’il en fasse des champions et il est envisageable qu’un petit nombre n’ait point été tout à fait dupes, mais la fin justifiait peut-être les moyens (il prônait l’activité sexuelle intense pour obtenir de meilleurs résultats sportifs). On trouve sans doute encore des familles encourageant leur progéniture à entrer au séminaire en rêvant pour elle d’un évêché, d’une barrette. Cessons peut-être de rechercher dans la quête de l’excellence en tout domaine l’émergence d’une Excellence en le sien. Ce pape y a peut-être déjà contribué, espérons qu’il poursuivra en cette voie, sans lui conférer l’excellence dans l’opprobre ou la vénération. L’indignation surfaite est le pendant de la dévotion exacerbée.

Miserere nobis

Cela étant, en faisant sienne, pour son homélie, la formule « celui qui ne prie pas le Seigneur, prie le diable », reprise sur un mode extatique par la majorité de la presse, François ne dit-il pas : plutôt les cultes satanistes que la laïcité ? Imaginons davantage son indulgence pour qui ne prie pas… et qui, sans irrévérence aucune, l’ignore. Ou du moins lui accorde l’importance qu’il a : celle due Pdg de l’une des multiples églises catholiques diverses de par le monde, avec des fidèles se comptant certes par millions, mais dont la plupart l’écoutent d’une oreille distraite. Qui croit encore vraiment que la France compterait quelque 40 millions de catholiques, apostoliques, romains ? Ou que tout baptisé soit resté catholique ?

Il a, ce dimanche, invoqué la miséricorde, laquelle a deux sens (sensibilité à la misère ou détresse, pardon des fautes ou absolution). Pour François, « si Dieu ne pardonnait pas tout, le monde n’existerait pas » : évidemment, puisqu’il est censé avoir créé femme et homme à son image, et son indulgence bien ordonnée commence sans doute par lui-même. Accordons donc au pape cette mansuétude que le dieu catholique s’administre.

Allons plus loin. À un ami ulcéré et implacable, révolté par des crimes pédophiles, un vieux recteur breton avait répondu : « Remercie Dieu, mon fils, qu’il ne t’a pas donné d’aimer trop les petits enfants. ». Ce qui s’interprète de diverses façons : Dieu donne grâce et épreuves, ou incite à ne pas juger trop sévèrement son prochain. Tout comme les paroles d’évangiles qui ne sont pas que catholiques romains (et se contredisent), ce pape fut, est et restera ambigu. La fonction par elle-même, les troubles passés et récents de son organisation, portent à l’ambigüité, au compromis.

« Contre le radicalisme révolutionnaire et destructeur, le radicalisme ordonnateur et régénérateur; contre le radicalisme impie, le radicalisme chrétien ; contre le radicalisme diabolique, le radicalisme divin », prêchait le père dominicain Monsabré en 1872, disciple de Lacordaire pour lequel il ne pouvait y avoir « rien de religieux dans la politique (…) rien de politique dans la religion », et qui considérait que « la liberté ne se donne pas, elle se prend ». François ne prend guère le chemin de toiletter tout à fait la religion du religieux, mais d’en atténuer les effets les plus choquants. C’est déjà cela de pris, et s’il pouvait susciter par son exemple un peu moins de politicien dans la politique, en se montrant moins « jésuite » qu’il aurait pu l’être, ou pourra s’en contenter.

Sans doute considère-t-il, comme le père Lacordaire, que seule la loi (divine) affranchit – le dominicain prêchait contre la licence de travailler le dimanche et « la liberté qui opprime ». Le premier « pape noir » (jésuite) se révèlera-t-il casuiste sévère ou complaisant ? Sans doute subtil, voire sophiste selon les sujets, dont les plus dérangeants, comme sa défense pro domo à propos de son attitude sous la dictature argentine le fait entrevoir.

Il a en tout cas fort bien réussi son entrée sur la piste du cirque médiatique : applaudissons poliment.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

Une réflexion sur « Papauté et consorts : l’imbroglio Bergoglio… et les autres »

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