Otan : la Turquie plutôt que le Mali

Les forces armées des Pays-Bas vont déployer des batteries de missiles antimissiles balistiques autour d’Adana, en Turquie. C’est une décision de l’Otan à laquelle participe la France. Bien sûr, ce type d’armes de défense antiaérienne ne s’impose guère au Mali. Mais, avec les personnels d’appui ou d’intendance, ce déploiement mobilisera près de 300 personnes. Pour le moment, les forces aériennes néerlandaises n’enverront que des avions de transport de troupes ou matériels vers les zones de combat au Sahel. Toutefois, les Pays-Bas pourraient consentir « une aide financière ». 

Deux poids, deux mesures ? Certes, Bamako n’est pas exposée à l’emploi d’armes de destruction massive (russes, dans le cas de missiles balistiques) et Adana, très peuplée, vaut bien que cette menace puisse être contrée. Mais les Pays-Bas, dans le cadre de l’Otan, vont envoyer, pour plusieurs mois (une durée renouvelable), jusqu’à 300 militaires ou personnels en Turquie. L’objectif est de contrer d’éventuels tirs de missiles provenant de la Syrie.

Il s’agit d’un dispositif défensif, dans le cadre d’un déploiement de batteries de missiles Patriot (six, servies par les Pays-Bas, l’Allemagne et les États-Unis). Les missiles néerlandais ont déjà été acheminés par bateau et déchargés dans le port d’Iskenderun.
Les batteries néerlandaises seront déployées près d’Adana, les autres le seront dans les régions de Gaziantep et Kahramanmaras.

Pour le moment, la perspective d’attaques aériennes syriennes au-dessus du sol turc est fort incertaine, tandis qu’au Mali, des opérations sont engagées, face à des forces disposant de missiles légers pouvant abattre des avions ou surtout des hélicoptères de combat. D’ailleurs, dans le cas des Gazelle, trop peu blindés, nul besoin d’armements réellement sophistiqués.

On peut comprendre que les forces déployées au Mali, hormis les tchadiennes et les françaises, ne soient pas très aguerries à une guerre dans le désert. Mais il en sera autrement si Aqmi et Mujao, ou ce qu’il restera d’Ançar Dine, rejoindront les montagnes et grottes de la région de Kandil, jouxtant l’Algérie et la Libye. 

Pas de tourisme militaire

Le Royaume-Uni a déjà, discrètement, envoyé des forces spéciales au Mali, se dit disposé à répondre à des demandes françaises d’engagement de bombardiers d’appui au sol ou de reconnaissance de type Sentinel de la RAF, de drones, et des unités combattantes sont en alerte (même s’il est réfuté que des troupes combattantes seront envoyées, enfin, pour le moment).

De toute façon, selon le type d’opérations menées, à rien ne servirait d’engager des militaires européens ou nord-américains. Une autre répartition des rôles et une temporisation de l’envoi de forces alliées autres que celles de la Misma sont parfaitement acceptables.

Mais il est vrai que prévenir en Turquie, rester vraiment à l’arrière-plan au Mali, évoque la fameuse phrase « plutôt la Corrèze que le Zambèze », soit, ici d’autres théâtres opérationnels.

Mais ce n’est peut-être pas tant par besoin réel, en tout cas à ce stade, que le gouvernement donne l’impression d’inciter des pays de l’Otan à s’engager plus fermement. Cela répond aussi à des raisons de politique intérieure : dès le début de l’intervention, il a été dit et redit que la France était isolée.

C’était en partie vraie jusqu’à l’attaque sur Konna. Pour aussi, des raisons de politique(s) intérieure(s), il avait été estimé qu’il valait mieux prévenir au sud que tenter de guérir au nord : l’actuel gouvernement malien est transitoire, il résulte d’accommodements fragiles ayant fait suite à un putsch militaire.

Il y a quand même une certaine malhonnêteté intellectuelle de la part d’un ancien ministre de la Défense, le sarkozyste Hervé Morin, passé à l’UDI, lorsqu’il dénonce l’échec de l’intervention française en Afghanistan et qu’il présume que les erreurs commises sous sa responsabilité seront reproduites.

Arguments spécieux

Que n’a-t-il favorisé un déploiement de forces indiennes, pakistanaises, voire chinoises, iraniennes, en Afghanistan ? Après tout, c’est ce qu’il reproche à l’actuel gouvernement français, soit d’envisager que les forces africaines ne suffiraient pas à la tâche. Bien évidemment, la comparaison relève du raisonnement par l’absurde. Le réalisme impose de prévoir que seules les troupes du Tchad et du Nigeria seront aptes à des combats de pénétration et de réponse à une guerre asymétrique. Hervé Morin souhaite-t-il que des déroutes des forces maliennes et autres, avec des troupes françaises en retrait ou évacuées, lui donne cette fois l’occasion de développer des arguments encore plus critiques, mais inverses ?

Les arguments les plus absurdes sont avancés. Ainsi, que le général nigérian Shebu Abdulkadir soit anglophone et que la plupart des commandants en chef de la Misma soient francophones. Même des officiers subalternes (des capitaines, par exemple) maîtrisent l’anglais, ont suivi des stages dans des pays anglophones. Il faudrait peut-être regarder à l’occasion les chaînes de télévision anglophones recueillant les opinions d’officiers maliens, sans interprètes.

Maladresses diverses

Il était, à l’inverse, très maladroit de la part de Laurent Fabius d’évoquer un soutien militaire de la Russie. Mais si Poutine n’avait pas voulu que des sociétés civiles russes prennent des contrats d’acheminement de matériels militaires français, cela aurait vite constaté. Le vrai coup dur venant de la Russie, c’est la rupture (provisoire ?) d’un contrat pour la livraison de transports maritimes français, les deux fameux porte-hélicoptères de classe Mistral (il y en aura-t-il deux de livrés au lieu de quatre, et quand ? nul ne le sait plus). Le contrat avait été signé en juin 2011, et on ne veut croire que Nicolas Sarkozy s’emploie à présent en tant que consultant de la Russie pour préconiser d’autres options. Selon des sources russes, l’abandon définitif de tout le contrat serait envisagé par la Russie.

Hier, Guy Teissier (UMP) a estimé que les forces françaises « restent seules dans cette guerre ». C’est déjà bien que l’Otan, réintégrée sous Sarkozy, n’exige pas des moyens français à déployer en Turquie. Il voudrait qu’Égypte et Tunisie s’engagent. Pourquoi pas aussi le Soudan, le Pakistan ? En tout cas, l’UMP n’avait pas réussi à décider l’Allemagne à faire davantage pour appuyer l’intervention en Libye.

Jean-François Copé a parfaitement raison d’évoquer un « questionnement légitime » et une nécessaire vigilance. « Je ne vois pas que la France puisse se désengager avant que des coups décisifs aient été portés, » a indiqué François Bayrou. Ce qui implique des coûts. Voudrait-on des actions d’éclat plus risquées et des pertes humaines devenant progressivement lourdes ? Ou une progression plus coûteuse en moyens mais épargnant davantage nos militaires ? Il y a un, des questionnements tout à fait légitimes.

Isolement marocain

Pour le moment, c’est plutôt le Maroc qui est isolé. Et possiblement gêné si des combattants d’Aqmi trouvaient refuge dans les camps du Polisario. Le Maroc n’a pas été invité à contribuer aux efforts : il a simplement accepté que son territoire soit survolé. En revanche, une réunion avec le Portugal, l’Espagne et la France se tiendra vendredi à Rabat (en dépit des revendications marocaines sur les Canaries espagnoles). Une rafle dans les milieux salafistes radicaux marocains (ou au Maroc) a été effectuée le 19 dernier. Le Maroc avait appuyé autrement la France en Côte d’Ivoire ou en Libye. Mais la question du Sahara, les appels d’islamistes radicaux marocains de premier plan, graciés et libérés après les attentats de 2003, évoquant une croisade des « impies », ne plaident guère pour convier le Maroc à une participation plus active. Le PJD, au gouvernement, ménage tout autant « les frères » que la France, tandis que son alliée, l’Association Addawa au coran et à la sunna, ne désavoue pas nettement Ançar Edine ou le Mujao.
Une cinquième cellule de recrutement d’Aqmi a été démantelée. Elle avait recruté une quarantaine de jeunes marocains. 

Mais d’un autre côté, le ministre de la Justice et des libertés, Mustapha Ramid, a reçu trois des cheikhs salafistes les plus critiques de l’intervention française « croisée et impie ». Du coup, Ratiki, dit Abou Hafs, a déclaré à la presse ne rien avoir de commun « avec les groupes islamistes du nord Mali, ni avec leurs conduites sur place ». Il n’en a pas moins condamné les « invasions injustes » dont les Maliens sont victimes.

On entend de tout, sur le pourtour du Mali. Ainsi les propos du cheick burkinabé Ismaël Démé pour qui militaires français et africains au Mali « sont les vrais sauveurs de l’Islam ». La vraie « guerre sainte » (entendez le djihad version islam modéré), c’est « la lutte contre le Sida, la pauvreté, l’ignorance ».

On veut nous faire avaler que la France serait isolée militairement et idéologiquement. D’un point de vue militaire, c’est prématuré. Encore davantage d’un point de vue idéologique. Le chanteur Cheikh Sar, chauffeur de salles du PJD islamiste (allez, mettons « islamique ») marocain, arborant des maillots frappés de « Muslim forever », se gausse des islamistes « passés de la djellaba à la cravate ». Il déchante à présent. Cela peut sembler dérisoire. N’oublions pas que les crises poussent au lyrisme. Qui n’est pas une donnée négligeable au Maghreb ou en Afrique. Master Soumy sort un album avec pour titres An bê no  do ou Explique-moi ton islam.

Tenez, un indice : dans la presse malienne, on n’a jamais autant cité Lamartine, Chateaubriand, d’autres poètes ou écrivains français, ou même Mirabeau.

Des bébés ont peut-être étés prénommés « Sarkozy » en Libye, c’est déjà le cas pour « Hollande Traoré&bnsp;» au Mali, dans une famille musulmane, avec approbation du religieux présent. Pourvu que cela dure, et qu’il s’agisse de l’un ou de l’autre, peu importe.

Cela ne met pas la France à l’abri de critiques et celles d’Éric Essono Tsimi, pour L’autre Afrik, sont très loin de n’être que tendres : « La France doit être accusée d’avoir laissé pourrir la situation pour n’intervenir qu’au moment psychologique où cela lui serait personnellement favorable. ». Au temps pour celles et ceux qui lui reprochent d’avoir agi dans la précipitation, sans le soutien de partenaires.
Mais cela se termine sur une note quelque peu nouvelle : « À titre personnel, je dis merci à la France de n’être pas intervenue en Centrafrique, qui n’a pas à sa tête un très grand démocrate ; et j’implore le président français de ne plus intervenir en Afrique que dans le cadre d’opérations multilatérales dont la logique serait claire et connue de tous par avance. Pour ne plus donner le sentiment que la France est souvent piquée par un instinct de survie impérialiste. ».

L’appui militaire et logistique n’est pas tout. Ce n’est qu’une composante. En revanche, oui, une intervention militaire est toujours une aventure, mais c’est la suite qui décide si elle est inconsidérée ; si les effets positifs l’emportent sur les pervers, ou inversement. Pour le moment, il semble prématuré de se prononcer nettement, surtout définitivement.

 

 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

2 réflexions sur « Otan : la Turquie plutôt que le Mali »

  1. Qui peut sérieusement croire que le régime Syrien sera assez fou pour attaquer la Turquie, pays de l’OTAN ? Qui peut être assez demeuré pour ne pas comprendre que ces déploiements sont en vue d’une intervention ?

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