Quoi qu’on en pense au plan géopolitique (je ne m’embourberai pas dans cette ornière manichéenne) la guerre en Libye aura contribué à expérimenter et peaufiner un vieux concept sans cesse remastérisé par les stratèges du Pentagone depuis le Viet-Nam : la guerre sans morts. Du moins de "notre" côté.
Simple question de réalisme :
La majorité des populations des pays riches est vieille, usée, épicurienne. Et pacifiste. Non par noblesse d’âme mais par un égoïsme tempéré de quelques libéralités. Ostensibles et déductibles. Pour continuer à jouir du présent sans se prendre la tête. Ses grandes motivations politiques ne sont souvent que le paravent de ses petites lâchetés. Avec un zeste d’antimilitarisme. "Oui, moi Madame, je suis un ancien combattant de mai 68 !"
A contrario, il existe des lobbies financiers parfois plus puissants que les états, ou assez forts pour en faire et défaire les roitelets. Ces groupes polymorphes et insaisissables soutiennent l’économie mondialisée et veillent à ce que croissent sans cesse les dividendes.
Jusqu’à une époque récente, ils usaient de l’influence, de la prévarication et de la corruption. Méthodes qui atteignent leurs limites lorsque les opinions publiques se rebellent contre les politiques. Dès lors, les lobbies ont trouvé la meilleure parade pour préserver leurs intérêts sans provoquer trop de vagues de protestation : demander au complexe militaro-industriel qui est leur obligé, de transposer sur le terrain la cyber-war des jeux vidéos. Un thème récurrent de science-fiction devenu réalité en 2011.
La victoire en chantant
On en rêvait depuis toujours… Détruire l’ennemi, ou l’asservir, sans une égratignure. Un fantasme pour les belligérants et un espoir pour leurs familles.
En demandant l’appui aérien de l’OTAN sans intervention au sol, le C.N.T (inspiré par son nationalisme ou sermonné par ses alliés ?) a évité aux militaires les désagréments de la Somalie, de l’Irak ou de l’Afghanistan. Où les opérations de "maintien de l’ordre" et de "démocratisation" ont invariablement abouti à quelques dizaines ou centaines de morts dans les rangs des "gendarmes du monde". Ce qui mécontente l’opinion qui n’a toujours pas compris qu’on ne fait pas d’omelettes dans casser des oeufs.
Tout comme les lobbies n’ont toujours pas admis qu’on peut obtenir par la négociation mieux et plus vite que par la guerre… Avec quand même le souci de devoir reconvertir les usines d’armement. Mais peut-on passer du missile au presse-purée sans perte de profits ?
La solution expérimentée avec un certain succès en Libye est sans doute promise à un bel avenir. Désormais, on attendra qu’on nous demande notre aide, et si nécessaire on soufflera l’idée à ceux qu’on a décidé d’appuyer. Puis on les aidera discrètement à se rebiffer contre le pouvoir dont on a programmé l’élimination. Dictateur sanguinaire, autocrate plus ou moins bien élu ou démagogue patenté, qu’importe l’éthique ! Le réalisme et l’efficacité se passent de leçons de morale.
La répression des émeutes bénéficiant d’une large diffusion planétaire, propre à susciter une solidarité compassionnelle, ouvrira une voie royale à l’intervention armée. Sous réserve d’être juridiquement correcte grâce à un vote du Conseil de Sécurité de l’ONU, au besoin soutenu par quelques menues pressions économiques, l’important étant de sauver les apparences… Et surtout, sans morts. Du moins dans "notre camp".
Demain les drones ?
Pour le moment, une escadrille d’avions de chasse ou d’attaque au sol et une phalange d’hélicos de combat, guidées par des radars volants sur zone et par des satellites-espions, font un travail efficace. L’ennemi est désemparé, ses moyens de riposte anéantis les uns après les autres, et le terrain soigneusement nettoyé avant les attaques amies. Lesquelles, soit dit en passant, sont moins meurtrières qu’une guerre à l’ancienne.
Quand on dénombre 10 morts d’un côté ou de l’autre, les média parlent de "rudes combats".
On est loin des boucheries de Verdun ou d’Okinawa ! Mince consolation : la nouvelle guerre aidée
du ciel ne fait pas que préserver nos forces, elle protège aussi nos alliés et tue moins dans les rangs adverses.
Néanmoins, cette solution n’est pas parfaite. Que demain un de nos appareils touché malgré ses boucliers de contre-mesures, ou victime d’une panne toute bête, s’écrase au sol ou s’abîme en mer… Laissant des veuves et des orphelins photogéniques utilisés par les crocodiles larmoyants de la télé pour faire monter l’audimat… Et vous n’allez pas tarder à entendre ces concerts de protestations et de lamentations qui font si mal dans une élection.
La solution idéale est en gestation. C’est le drone. Expérimenté pour le moment sur divers théâtres d’opérations pour des missions de renseignement ou d’émiminations ciblées de personnalités influentes ou de groupuscules pugnaces.
Ces machines furtives manquent juste un peu de vitesse, de rayon d’action et de portance pour disposer d’un armement lourd en quantité suffisante. Pour passer de l’escarmouche à la bataille rangée. Mais on y travaille. Et dans ce domaine, les avancées sont remarquablement rapides.
La guerre un art ? Non, un jeu !
Pour la prochaine "guerre de paix" décidée par un aréopage de décideurs internationaux, des "pilotes" planqués dans un bunker de l’Arkansas ou un hameau de la Corrèze, suivront le déroulement des combats sur des écrans en 3 D. Et à l’aide d’un joystick et de quelques boutons apporteront les correctifs nécessaires afin d’aider le camp des "gentils".
Plus de culpabilité puisque c’est du virtuel. On oubliera que les "game over" ne se relèveront pas pour une prochaine partie.
Plus de manifs pacifistes ni de députés courroucés, puisqu’on ne fait la guerre à personne, et qu’on ne compte pas de pertes dans nos rangs. On met juste à la disposition de nos alliés un échantillon de notre expertise technologique. Vous saisissez la différence ?
Quant aux esprits chagrins qui parlent du coût de l’intervention ? Il y a une réponse pertinente :
Tant qu’à se servir du matériel, autant l’utiliser "pour de vrai" en espérant des retombées politiques en influence et des retours économiques en matières premières… Et en ventes à l’export, une petite guerre de démonstration de notre savoir-faire valant 10 salons du Bourget… Alors à quoi bon user nos avions lors d’entraînements stériles en gaspillant des munitions en tirs fictifs ? Encore heureux quand qu’ils ne touchent pas par erreur un avion de ligne !
Reste une question : et si les amis que nous avons choisis ne se montrent pas assez combattifs
pour emporter la décision ? Attendant notre aide pour crier "Victoire !" quand l’ennemi a fui. Faudra-t-il quand même attaquer au sol ? Peut-être… On améliore tous les jours les drones à roulettes et chenillettes spécialisés dans le nettoyage du terrain. Le progès n’a pas fini de vous étonner !
[b]Et que va-t-il se passer quand les drônes vont se battre entre eux ? (thème de science fiction archi-connu)[/b] [b]Après 3000 et quelques SF dévorés (+ qqs uns parcourus) je ne doute pas un instant de la suite. Excellent cher Christian, ravi de vous voir ici et de la pertinence de vos articles.[/b]
Merci Zelectron pour cet accueil grandiose ! 😉
Pour la guerre des drones, pas de souci pour ceux qui maintiendront leur avance technologique. C’est déjà le cas avec les armements conventionnels refourgués aux pays émergents ou qui aspirent à le devenir.
« Drone de guerre » en vérité !
Bel article, bravo
science fiction ou réalité en marche ??? marche sur la t^te ce pauvre monde , non ?
merci pour cet article fort intéressant et sans doute solidement documenté qui nous fait réfléchir sur les motivations réelles de ceux qui nous gouvernent et les manipulatuins auxquelles sont soumises toutes les opinions publiques .