Il faut parfois faire le point, se retourner sur ce que l’on a vécu, se poser quelques instants : celui de la réflexion, puis celui du doute.

 

Parce que nous ne sommes pas des machines, alors vient un moment où l’on craque, où l’on se déchire sous la pression, et l’on part, l’on s’éloigne se retrouver. Nous connaissons la pression, nous connaissons les obligations du travail, cette tonne de procédures auxquelles nous sommes enchaînés, par la force des choses, par le besoin de manger, d’avoir un salaire, alors on se fatigue pour un travail que l’on n’aime pas, et on souffre toute la journée, non pas physiquement, mais nerveusement.

On croit que c’est passager, que l’on va s’y faire, qu’il faut s’habituer… peut-être n’avons-nous pas encore pris le rythme ? Mais la graine est déjà là, elle ne fait que germer, pousser un peu plus. La graine du "ras-le-bol", celle de la tension qui s’accumule : parce qu’il faut accepter de se faire insulter toute la journée, se faire minuter, fliquer, noter, évaluer…

D’abord, vient un matin où l’on se réveille la boule au ventre, le noeud qui ne se desserre pas : c’est juste que l’on n’y fait moins attention alors que la journée avance, que les semaines s’enchaînent. Il reste là, bien présent, et quand on rentre le soir, que l’on ne parvient pas à se détendre, que l’on ne peut expliquer pourquoi ni à soi ni aux autres la raison de notre mal-être : on vit simplement avec ce stress devenu quotidien, comme un boulet accroché à la cheville, la lourde chaîne qui traîne derrière soi et que l’on n’arrive pas à scier, car le lendemain vient un nouveau jour de travail : un lendemain où l’on remplace le boulet par un autre plus lourd.

Puis, vient un matin où l’on se réveille l’esprit enfièvré, un coeur palpitant dans le crâne, diffusant une douleur sourde mais bien réelle. Arrivé à son bureau, on se persuade, se convainc de rester, n’y prêter attention. Un collègue souhaite le bonjour, demande si ça va, on répond faiblement, on rassure. Mais quelques minutes passent, et d’un coup on n’en peut plus. On voit la longue file des heures qui frappe à la porte de la journée et on a peur, on se dit, on sait, qu’on n’y arrivera pas, qu’on ne tiendra pas le coup. Avec les larmes qui montent, on se lève, on quitte son poste de travail, dit au revoir aux collègues étonnés. On est à la fois soulagé et inquièt. Soulagé d’aller voir le médecin, de se voir signer un arrêt de travail d’une semaine, mais inquièt de la reprise qui se dessine déjà dans notre esprit stressé, tourmenté, traumatisé.

Car il faudra reprendre, on le sait, mais on essait de ne pas y penser. Ainsi est le malade, le stressé : à peine aux premiers jours du repos, de convalescence, il anticipe déjà, voit le matin où il se lèvera à nouveau pour aller à son lieu de travail, pour souffrir de nouvelles journées qui viendront très bientôt.

On croit être libre, mais lorsqu’on connaît l’enchaînement, qu’on a déjà brisé la chaine une première fois et qu’on s’y retrouve à nouveau rattaché, l’espoir qui nous avait habité la première fois se fait maintenant absent, et qu’avons-nous d’autre pour nous raccrocher à la vie normale que l’illusion qu’elle est à portée de main.