Franchement, ce n’était pas prémédité. J’avais reçu les épreuves de Ma vie ratée d’Amélie Nothomb, de Frédéric Huet, de la part des éditions Anabet, début mai. Lu aussitôt, plutôt apprécié, mis de côté sans penser à faire une entrée de calendrier pour la mi-août, ou pour tout début septembre. Donc, je vais être peut-être le dernier à chroniquer cette Vie ratée. Ce n’est pas plus mal. Cela m’évite d’écrire n’importe quoi (enfin, faut pas demander l’impossible : un peu moins suffira).
Il est des auteurs qui commencent faiseurs et finissent écrivains. Voyez ce bon faiseur de Beigbeder qui, dit-on, avec son Roman français, se mue en personnage d’anthologie littéraire. L’inverse peut se vérifier aussi et l’Amélie Nothomb de Stupeur et tremblements finira peut-être en Barbara Cartland dépassant les 700 titres d’intérêts très inégaux, voire franchement piètres. Francis Huet, lui, pourrait être une valeur grimpante conciliant littérature et tambouille mode avant de basculer dans l’une ou l’autre des diverses catégories ou tout simplement sombrer dans l’oubli. C’est en tout cas ce dont je crois confusément me remémorer : c’était mon impression printanière. Là, on est déjà à l’automne et je me dis, en lisant Grégoire Leménager sur BibliObs (le blogue-notes bouquins du Nouvel Observateur), que j’ai fort bien fait d’attendre avant de me prononcer. Car lire, à présent, cet « on devine une souffrance abyssale : ni l’autoflagellation ni la lucidité ne suffisent, hélas, à lui donner forme. ». C’est vachard car faussement compatissant et depuis que Frédéric Huet a percé un tout petit peu, qu’il a donné quelques entretiens de ci, de là, et qu’il soutient ses ventes en bloguant par ici comme par là, j’imagine que Grégoire Leménager doit se sentir un peu en décalage avec le réel.
Cela étant, hormis la « souffrance » qui m’a semblé, chez Huet, supportable (je partage peu ou prou la condition pécuniaire de l’auteur, érémiste de son état), j’aurais pu plus ou moins reprendre à mon compte le coup de fouet de Leménager (c’est mieux que « coup de pied de l’âne », plus convenu). Et oublier total Huet, ma chute mitigée à l’égard de son bouquin, passer au suivant (peut-être le Chacun pour soi nouvelle manière de Charles Duchêne, éventuellement Le Journal de Jeanne de Mario Mercier à La Musardine…). Puis, rencontrant Huet beaucoup plus tard, lui assurer que j’avais pris du plaisir à lire son livre (ce qui n’est pas faux) sans plus me souvenir d’avoir conclu que, bof, c’était une lecture dispensable.
Vu le succès de ce bouquin, la relative nouvelle notoriété de l’auteur, j’ai repris, en mode survol avec incursions prolongées dans les vallées et gorges du texte, parfois au radada des phrases, ma lecture trop initialement trop rapide. Sur la trame, mon impression n’a guère changé. C’est l’histoire d’un glandeur, homo dans le genre solitaire assouvissant à l’occasion ses libidineuses fringales (cela revêt un intérêt documentaire, donc je le signale au passage, mais c’est peu essentiel), qui a publié un premier roman, et se fait une sorte de journal intime. Comme le nombre de précaires qui se posent les mêmes questions, et comblent parfois l’ennui en se disant qu’ils vont écrire et publier commence à être un sacré phénomène de société, Anabet a publié un Breton (enfin, un Nantais, car il est vrai que le FC Nantes, avec ses résultats pas fameux, est plutôt désormais un club du Pays nantais qu’un club breton…) qui se demande : comment font les autres pour être publiés ? Il doit y avoir un marché. Déjà, avec le David Réguer, Tout sauf anonyme, on avait un manuel pratique de « pipeulisation ». Parfois, le précaire rêvasse et Huet n’y a pas échappé.
Il lui arrive de rêver de plage, de beaugossitude (Brian Joubert, le patineur, semble être sa tasse de thé), mais aussi de se retrouver, telle une recalée de l’émission La Nouvelle Star, renvoyé dans son bac à sable avec un commentaire bien senti qui vous génère généralement une meurtrissure qui gratouille encore plusieurs décennies durant. Voire davantage. Renvoyé, définitivement, pour lui, à ses petits boulots, ses bricolages et ses ménages (au sens… propre, de récurage, pas d’à côté fort rémunérateur découlant de sa notoriété). Le reste du temps, il vous raconte au passage ses coups de drague en saunas (rien de très excitant, juste ce qu’il faut pour être dans les bonnes librairies lesbigay, mais c’est vraiment accessoire), qu’il joue au loto, ou des insignifiances. C’est assez bien amené. Le style est assez enlevé pour qu’on ne s’ennuie pas trop. Mais au final, on se fout plutôt de son propre personnage (de lui, de soi-même envisagé à travers lui) car en dépit du nombrilisme plus qu’apparent, ce n’est pas, ouf, lui, son je-moi-moi, qui est le réel sujet du livre.
Ah bon ? Ce ne serait pas Huet le nombril, l’apex, de ce bouquin ? Je crois entendre des gens qui ont feuilleté, voire lu cette Vie ratée qui se disent : « on n’a pas dû lire le même ». Si, si. D’ailleurs cela commence un dimanche avec une citation de Marguerite Duras et cela finit un lundi par une négociation entre lui et lui-même et la possibilité d’un îlot de compréhension dans la nébuleuse Albin-Michel. Vers le milieu, on comprend vaguement qu’il se sent comme un Pinocchio qui n’aurait pas le moindre Capitaine Flam pour pote dans le monde de l’édition. Et entre le début et le milieu, j’ai lu tout plein de trucs sur le monde de l’édition, sur les stratégies des auteures (dont Nothomb, évidemment) pour écrire ou se faire publier. Et entre ce milieu et la fin, on lit tout plein de citations d’écrivains qui causent dans les postes de radio ou télévision ou donnent des entretiens à des blogues-noteurs. Le sujet, c’est une sorte d’audit, de notation de la Gendelettre. L’actuelle. À un moment, il évoque un manuel de développement personnel pour jeunes écrivains impétrants. Ce n’est pas mal vu.
D’un autre côté, c’est assez attachant, cette espèce de travail de deuil. Deuil d’écriture différé. Son Arizona sera peut-être d’ailleurs, un jour, son Éthiopie rimbaldienne. Mais deuil de notoriété envisageable, certainement. On se dit, voilà le journal d’un gars qui finira par publier l’intégrale de ses écrits sur l’Internet en pleine connaissance du désintérêt de la presse et de l’édition, et même de la plupart des Internautes, pour la littérature en ligne. Enfin, je ne parle pas des bouquins tombés dans le domaine public ou des textes érotiques ou pornographiques d’amateurs (quoique, en fait, cela lasse très vite). Il semble évident que, même s’il s’est foulé grave pour faire publiable, il finisse par se persuader qu’il ne sera plus jamais publié et que, finalement, vu ce qui se publie, dans la veine de ce qu’il imite, ce n’est pas bien grave. Qu’il pourra vivre sans. Tourner la page.
C’est d’ailleurs en cela que nombre de lectrices et lecteurs s’identifient. Se disant « ouf, moi qui n’ai vraiment jamais rêvé d’être publié, j’ai échappé à cela ! ». On aurait pu. Heureusement, on ne s’est pas pris pour des écrivains, des auteures, on a juste écrit quelques nouvelles, et on a réussi, à l’occasion, à se trouver un ou deux boulots pas trop cassants, un·e amant·e, voire plusieur·e·s, et tant pis aussi si on n’est pas devenu non plus navigatrice au long cours ou prospecteur minier dans le bassin de l’Amazone.
Remarquez que, si c’est un bouquin de commande d’Anabet et qu’il ait réussi à se mettre dans sa propre peau, qu’en fait il soit nègre archi-couru dans l’édition, et pas du tout précaire, voire même hétéro endurci, d’une, j’aurais l’air fin mais je m’en remettrai, de deux, faut être beau joueur : bravo l’artiste ! Enfin, l’artisan, car c’est de la belle ouvrage. Du « à la manière de… » bien ficelé. Avec aussi, la connivence de Nothomb qui fait comme Lady Gaga avec Madonna, soit semblant de se crêper le chignon avec Huet ? Car Nothomb n’est pas aussi profondément égratignée que ce qu’il paraît à première vue. Question imitation et négritude, une petite citation : « La fulgurance, le génie, ce serait d’arriver à associer deux contraires dans une même phrase. Passer du coq à l’âne de manière aussi aisée qu’on passe d’une pièce à une autre. ». Ben, quand il n’écrivait pas et se contentait de s’avoiner, Bukowski y parvenait assez bien, à s’oxymorer le paradoxe comme je vous l’éructe. En revanche, et toute mécanicienne du textile vous le dira, en particulier quand on est raide saoule, passer d’une pièce à l’autre n’est pas si facile. Mais c’est le genre de phrase qui fait authentique, très jeune auteur qui se la joue futur grand écrivain. D’ailleurs, aucun jeune auteur n’oserait la laisser dans un tapuscrit à présenter à un éditeur. Même sur un blogue-notes, ils n’osent plus en écrire de la sorte. Et c’est pourquoi je me demande scolairement si l’auteur ne fait pas poser le narrateur à l’auteur qui se la jouerait écrivain. Ce n’est pas malhabile, je le reconnais bien volontiers, cette maladresse d’une véracité contrefaite à la perfection. Qu’on se rassure, Huet n’en abuse pas. Mais on voit bien qu’imiter Éric Poindron (des éditions Du Coq à l’âne) à ses débuts d’auteur, ce n’est pas si facile. Le pastiche fastoche, en général, c’est raté, ce n’est guère fulgurant et finit par devenir ce qu’il reste au fond, une facile et courue allitération (tiens, celle-là, je l’ose sur l’Internet, mais pas question de la présenter à un éditeur, donc, glissons…).
Huet s’amuse à descendre en serpillère Yasmina Reza, et d’autres, mais ce n’est guère prendre un risque. Quant à Nina Bouraoui, qu’il essore, elle a les épaules larges ; elle saura se montrer indulgente, et si cela se trouve, Huet finira par lui envoyer un ascenseur qu’elle lui renverra. Entre Breton·ne·s, c’est des trucs qu’on sait pardonner. Tout le monde a compris que naître Oscar Wilde quant Lou Andréa tire toute la couverture à soi, cela porte à écrire un peu à l’emporte-pièce « écrivaine de merde qui croit encore savoir écrire ». Dégueuler sur Bouraoui, ou l’encenser, c’est un passage obligé. J’attends la rubrique « Secrets Santé-Beauté » de Huet dans le Gai Pied, euh, non, Têtu, pour rigoler. Et tiens, je verrais bien Huet et Bouraoui interpréter Dutronc – « Croyez-vous que je sois jalouse ? Pas du tout, pas du tout… » – en duo chez Ardisson ou un·e autre.
Bon, mais, cela vaut-il vraiment la peine de tartiner si longuement sur ce livre ? Alors que le Pascau, sur Henri-Joseph Dulaurens, Écrire et s’enfuir, dans l’ombre des Lumières, devrait mobiliser toute mon attention ? Alors que je dois m’envoyer tous les polars gastrono-historiques de Michèle Barrière aux éditions Agnès Vienot ? Entre se faire inviter dans un Wimpy quelconque par un Huet reconnaissant et courtiser une journaliste culinaire à grand tirage, plutôt rigolote de surcroît, il faudrait peut-être que je commence à cerner où s’ordonne le début de mes intérêts… littéraires, forcément littéraires ! En tout cas, pour moi, mieux vaut sans doute m’attarder sur Guillaume Duncan (†1636) que sur Guillaume Dustan (le héros, paraîtrait-il, d’un ouvrage de Huet à paraître). Mais, très sérieusement, Huet est beaucoup plus rigolo à lire que Duncan. Juste un truc : un auteur qui n’aime pas les points-virgules vaut-il vraiment qu’on s’y attarde autant ? Attendez, attendez, une petite requête : « Frédéric Huet » AND Nothomb. Eh, « environ 5 260 » retours ! Déjà ! Et « Michèle Barrière » AND Meurtres ? Que 1 640 ? Eh, Huet, t’es mon pote, d’ailleurs nous avons des souvenirs nantais communs, j’en suis sûr, et finalement, moi aussi, je suis très homo, sur le tard… Je cherche un mécène, au fait. Cela ne te dérangera pas si je pose à côté de toi lors d’une prochaine séance de dédicace ? Une peu comme avec Beigbeder ? Allez, allez, dis oui ! Au Flore ? Chez Drouant ? Aux Deux Magots ? Au Petit Cochon, près des facs ? Ah bon !
* Babylone, vous y étiez, nue parmi les bananiers ; c’est le titre d’un livre de René-Nicolas Ehni, écrivain Sundgauvino-Crétois, paru initialement en 1971, chez Christian Bourgois éd. Papa a tort, de Frédéric Huet, était paru chez Balland. Pas mal non plus. Ehni avait baffé Sollers sur un plateau de télévision en 1970. Huet va-t-il fesser Nothomb ? Échangeriez-vous un baril d’Ehni contre deux barils de Huet ? Faites l’examen fenêtre ! Huet est-il bien le fils caché d’Ehni ? Le saurons-nous en lisant son Guillaume Dustan ? Argh, ce suspense est insoutenable !
Votre article est assez drôle. Le livre vous a inspiré visiblement. Tout ce que je peux vous dire, c’est que c’est un vrai journal. Et que la situation décrite dans ce livre est vraie : j’ai vu aujourd’hui même mon assistant social pour mon RSA. La littérature ne m’a pas encore rapporté énormément d’argent. Je passe sur Canal Plus demain, mais là, c’est encore moi qui ai dû me débrouiller pour passer là-bas en envoyant des photos amusantes d’Amélie et moi (fausses photos) et mes vidéos. Ca leur a plu, ils m’ont alors contacté par email. De même, mon livre n’est pas un livre à la commande. Je l’ai envoyé par email à la maison, sans vraiment connaître la maison. Dans un dernier espoir qui fait qu’aujourd’hui je suis publié. Merci de votre intérêt dans tous les cas.
Merci !
J’ai lu quelque part : « Amélie Nothomb a de l’humour, elle prendra ça très bien. » Mais Amélie le prend mal et ne souhaite pas s’expliquer. C’est dommage.
Pour Frédéric Huet (et Ninon).
On ne peut pas trop savoir ce que vit Amélie Nothomb réellement. Peut-être est-elle l’objet d’incessantes sollicitations non sollicitées, de courriers haineux, &c. Donc, elle a peut-être réagi en fonction de cela plus qu’en raison de ce qui est vraiment écrit dans ce livre.
Mon truc sur une possible commande est juste une élucubration pour semer le doute, ou faire s’interroger. Je ne vois pas Anabet commander un tel livre. Il se trouve qu’on a désormais des artistes qui flairent l’esprit du moment ou auxquels les galeristes le leur font humer, suggérant des thèmes.
Sinon, ce bouquin m’a fait penser à un autre que j’avais chroniqué sur C4N.
[url]http://www.come4news.com/l-loge-du-misereux,-de-mabrouck-rachedi-michalon-198103[/url]
Ce n’est pas un rapprochement littéraire, juste la coïncidence d’avoir Michalon publiant le livre d’un précaire avec cet [i]Éloge du miséreux[/i], de Mabrouck Rachedi, et Anabet sortir ce livre.
Sinon, c’est une présentation un peu langue de p… d’un bouquin qui ne recule pas devant les vacheries bien senties adressées à d’autres auteur-e-s, à l’univers de l’édition. Mettons que j’ai tenté d’être un peu dans le ton.
Je viens de re-relire. C’est pas mal dans l’ensemble.
Juste un truc : Tati, rue de Rennes, c’est fini (p. 41 des épreuves). C’est Zara maintenant qui est à la place. Bon, ce n’est pas très important. M’enfin, c’est à des détails comme ceux-là qu’on ressent la différence entre Huet et Zola… 😉