Tiens, en plein Woerthgate, voici un petit « Noamgate » qui peut faire causer dans les chaumières. Élevons, ou tentons de hausser, le débat. Pas trop haut quand même, car le sujet est casse-gueule. Noam Chomsky « récidive » en prenant de nouveau, non pas la défense de Faurisson à travers l’un de ses émules, mais fait et cause pour l’illustration du pouvoir débattre. S’il n’est pas toujours interdit d’interdire, il faut aussi savoir conserver quelques libertés fondamentales aux « ennemis de la Liberté ».

C’est tout début septembre 2010 que l’intellectuel nord-américain Noam Chomsky, très peu suspect d’être un fan de l’humoriste Dieudonné, a diffusé l’original du texte ci-dessous.

« J’apprends que Vincent Reynouard a été condamné et mis en prison au nom de la loi Gayssot et qu’une pétition circule pour protester contre ces mesures. Je ne connais rien à propos de Monsieur Reynouard, mais je considère la loi Gayssot complètement illégitime et contredisant les principes d’une société libre, tels qu’ils ont été compris depuis les Lumières.

Cette loi a pour effet d’accorder à l’État le droit de déterminer la vérité historique et de punir ceux qui s’écartent de ses décrets, ce qui est un principe qui nous rappelle les jours les plus sombres du stalinisme et du nazisme.

Si la justification de la loi Gayssot est d’interdire les “ opinions abominables ” ou de faire respecter le droit “ de ne pas craindre de vivre dans un climat ” de préjugés et de racisme, alors il devrait être évident que, si de telles lois étaient appliquées de façon impartiale, elles rendraient illégales une grande partie des propos exprimés publiquement qui, même si on peut les considérer comme ignobles, devraient certainement être autorisés dans une société libre et qui, en fait, le sont, sans même que cela ne soulève la moindre question.

Par conséquent, je souhaite exprimer mon soutien à la pétition contre l’application de cette loi dans le cas de Monsieur Reynouard (ou dans tout autre cas). »

 

La loi 90-615 du 13 juillet 1990, dite loi (Jean-Claude) Gayssot, vise à réprimer tout « propos raciste, antisémite ou xénophobe ». On peut difficilement l’approuver ou la fustiger quand elle s’applique à un Hortefeux dont les propos discriminatoires visent les « Auvergnats », et la désapprouver ou l’applaudir un peu trop fort lorsqu’elle envoie en détention Vincent Reynouard, activiste négationniste, sans paraître duplice ou… suiviste béat. Jean Bricmont et Paul-Éric Blanrue ont mis en ligne une pétition en vue de demander l’abrogation de cette loi et la libération de Vincent Reynouard. Il est actuellement détenu à Valenciennes pour purger une peine d’un an confirmée en appel, en 2008, à Colmar. Il sera sans doute élargi fin mai prochain, après un peu plus de dix mois d’emprisonnement. Vincent Reynouard, indiquent les auteurs de la pétition « conteste l’existence des chambres à gaz dans les camps de concentration nazis ». À gaz ou autres vapeurs délétères, tel n’est pas le propos du condamné, par ailleurs national-socialiste, catholique dit traditionnel (comprenez « ultra » confit de religion), &c., qui considère d’ailleurs que se trompent gravement « ceux qui voient dans le révisionnisme la simple remise en question de l’existence des chambres à gaz homicides dans les camps allemands. Sil ne s’agissait que de cela, il y a longtemps que le débat serait clos… ».

 

Chomsky est un intellectuel classé « libertaire » qui avait déjà protesté, en 1980, lorsque Faurisson, autre négationniste, avait fait l’objet d’une condamnation. Il s’agit de nouveau d’une déclaration de principe, que d’autres que lui rapprochent de celles de l’écrivain Max Gallo, lui aussi peu suspect d’opinions xénophobes : « il n’est pas admissible que la représentation nationale dicte "l’histoire correcte, celle qui doit être enseignée" (…) Le juge est ainsi conduit à dire l’histoire en fonction de la loi. Mais l’historien, lui, a pour mission de dire l’histoire en fonction des faits. ». L’historiographie dominante est, elle, bien sûr dictée, mais elle peut être révisée, tout comme une loi en remplace une autre. L’autorité de la chose à jamais jugée est, elle, un trait pertinent du totalitarisme, lequel est toujours beaucoup plus insidieux qu’il le parait.

 

Chomsky est un linguiste qui s’est partiellement fourvoyé, mais reste une référence de départ ; on verra bien si la linguistique énonciative sera ou non un jour partiellement réfutée. Tout le monde peut se tromper ; Chomsky se trompe rarement. Gayssot a rejoint la liste de Georges Frèche lors des dernières municipales, et on peut estimer qu’il s’y est égaré. Mais comme l’écrit si bien Diana Johnstone, il n’y a pas que trois catégories de personnes : « les intellectuels “humanitaires” dans la ligne de Bernard Kouchner contribuent à promouvoir la division de l’humanité entre trois V : les Vilains, les Victimes, et les Victorieux Sauveurs. » (le W suprême, le double-V, étant évidemment G. Bush ou B. Obama, peu importe pourvu qu’il soit étasunien, « occidental », favorable à la libéralisation totale des échanges de biens et services, sauf pour sa production agricole la plus fragile, par exemple ; mais ce pourrait être, pour d’autres, un Chavez ou un autre…).

 

S’il est quelqu’un·e qui cultive la détestation des caïds de cours de récréations qui deviennent souvent des nervis de l’extrême-droite, voire de l’extrême-gauche, ou pire encore des séides fielleux et mielleux, mais implacables, de tous les pouvoirs du moment, je l’appelle « frère » ou « sœur ». J’ai beau ne pas trop apprécier le « politiquement » ou « socialement correct », je n’en estime pas moins que des propos haineux, racistes, xénophobes, sexistes, &c., peuvent faire énormément de dégâts et que, oui, on peut en devenir des victimes terrorisées, au bord de l’irréparable, de la révolte suicidaire ou de l’autodestruction, et que cela n’arrive pas qu’aux autres. Faut-il jeter le « bébé » de Gayssot tout entier pour sauver le bain de la liberté d’expression ? J’en doute. Faut-il condamner Chomsky, surtout pas !

 

Daniel Mermet, coauteur avec Olivier Azam de Chomsky & Compagnie, pour en finir avec la fabrique de l’impuissance, résume bien le personnage : « Chomsky est un contre-pouvoir qui nous incite au contre-pouvoir. Il met ses savoirs à la disposition des gens pour que nous interrogions le pouvoir. Pour toutes ces raisons, il n’est ni un dieu ni un maître. ». Ni révisionniste, négationniste et encore moins antisémite, il dénonce essentiellement la manipulation du libre-arbitre, la vassalisation insidieuse des esprits, et il est absolument, de ce fait, précieux.

 

Il y a plusieurs manières de « raisonner politiquement ». Généralement, en groupe, la « politicienne », tacticienne, l’emporte. Ce peut être : ce courant va contribuer à « dédouaner » Jeanne-Marie Le Pen et conforter ses thèses, on s’y oppose frontalement. Ou son contraire : mais autant qu’elle le soit, et finisse par déraper comme son père, en regard, les propos de Sarközy ou Hortefeux paraîtront de bon sens, mais on peut compter sur eux pour qu’ils la surpassent au final. En son for intérieur, on peut tenter de raisonner stratégiquement, en fonction d’un plus long terme, ou de phénomènes (communautarisme, par exemple), estimés ou non plus néfastes que l’incident. La paille des bonnes intentions finit souvent écrasée par le pavé qu’on lui jette, mais il suffit d’une forte averse pour qu’elle gonfle et le fasse rouler de côté (proverbe klingon). L’ennui, c’est que la météo est fort changeante. Mais il faut bien, à un moment ou un autre, décider. Par exemple de s’abstenir de signer cette pétition, mais aussi de publier intégralement ce qu’en dit Chomsky… Ou d’adopter une autre option. Le tout n’étant pas forcément de faire, à toute occasion, mais au moins de se dire, à soi-même. Derechef, Chomsky aura su y contribuer… Lisez-le.