Une vieille connaissance
Pour passer leurs vacances d’été 2010 en Afrique du Sud, les Tricolores devront donc sortir vainqueurs d’une bataille de 180 minutes face à l’Eire. Parmi toutes les équipes que la France était susceptible de rencontrer, l’Irlande est la nation contre laquelle elle a la plus vieille histoire. Le bilan est équilibré avec 5 victoires françaises, 4 nuls et 4 défaites. Et leur dernier face à face remonte à quatre ans, dans l’un de ces matches qui marque la carrière d’un footeux. Petite piqûre de rappel. 7 septembre 2005, les Bleus sont au pied du mur dans la campagne qualificative pour la Coupe du Monde 2006. Et oui, il y a quatre ans déjà c’était la même kermesse! Bref, ils sont tellement mal que Raymond est obligé d’appeler en renfort quelques mois plutôt Zizou, Makelele et ThuThu, pourtant tous trois fraîchement retraités. On en appelle donc à l’union sacrée. Une situation qui permet à l’imitateur Gérald Dahan de réaliser son plus grand canular. Après s’être fait passer pour un Chirac sur le point de caner, l’équipe de France adopte la fameuse posture de la main droite sur le coeur pendant "La Marseillaise" précédant le match. Une blagounette salvatrice puisqu’avec un Henry inspiré, les français s’imposent (0-1), s’ouvrant ainsi grandement les portes du Mondial allemand. Quatre ans plus tard, l’histoire se répète et ils sont nombreux à espèrer la voir bégayer. Sauf qu’aujourd’hui la donne a changé: les retraités ne sont plus sollicités (Vieira restera dans son salon), le Petit Nicolas S. n’est jamais fébrile (malheureusement) et les Irlandais (pas amnésiques pour un rond) sont remontés comme des coucous.
Revanchards et remontés
Pas la peine de vous préciser qu’il y a donc de la revanche dans l’air côté irlandais. Car personne n’a oublié ce revers concédé à domicile (le seul succès français en 7 rencontres à Dublin) qui priva le peuple vert d’une quatrème participation à une Coupe du Monde (après 1990, 1994 et 2002). Et comme si cela ne suffisait pas, cette motivation s’est décuplée à quelques jours de l’annonce de cette rencontre. Pourquoi? Parce qu’à l’origine, aucune tête de série ne devait être désignée lors du tirage des barrages. Dans ce cas, un Portugal-France aurait pu être de l’ordre du réel. Mais dans ce football moderne où c’est le pognon qui règne, l’idée de voir un "ténor" privé de Mondial était inconcevable tant cela signifiait un manque de retombées économiques. Alors on s’est empressé de changer le réglement en cours de route. Qu’à cela ne tienne, l’Eire n’a jamais été aussi à l’aise que dans le rôle d’outsider. Invaincue lors de ses 10 matches de poule, cette équipe impressionne dans son costume de "petit". La faute à un ami de Domenech, un Italien évidemment, Giovanni Trappatoni.
Un fighting spirit à la sauce italienne
Chaque style de jeu véhicule une identité nationale immuable. Et dans ce lieu d’expression des cultures qu’est le football, les Irlandais ont le leur: le fighting spirit. Inspiré des Anglais, ce style de jeu très engagé est ancré d’une rage de vaincre et d’un sens complet du sacrifice. Les chevilles de Gourcuff sont prévenues, il faudra s’attendre à un combat physique de tous les instants. D’autant plus que cette marque de fabrique ancestrale s’est agrémentée depuis plus d’un an d’un supplément de rigueur avec la nomination du "Trap". La stratège italien est à 70 ans le premier sélectionneur non-britannique de l’histoire de l’Irlande mais également l’entraineur de clubs le plus titré sur le plan continental. Un cv qui en ferait rêver plus d’un. N’est-ce pas Raymond? En imposant sa science tactique, le maestro néo-celte est invaincu en matches officiels avec sa sélection (3 défaites, toutes amicales). Mieux, ils n’ont jamais perdu à l’exterieur et sont devenus impériaux sur coups de pied arrêtés, le talon d’Achille des français. Avec la perspective d’éliminer les vice-champions du monde pour ce qui peut être le dernier défi de sa longue carrière, pas de doute que le "Trap" doit déjà avoir sa petite idée pour donner une leçon de tactique à Domenech. Et en pareille occasion, quoi de mieux que la Mecque des sports gaéliques pour admirer le spectacle?
Bienvenue dans l’enfer de Croke Park
Le stade de Lansdowne Road, habituel temple du rugby et du football en Irlande, n’étant pas encore rénové, les Tricolores auront l’honneur de fouler pour la première fois à Dublin la pelouse de Croke Park. Propriété de la Gaelic Athletic Association (GAA), la plus importante fédération sportive irlandaise, cette enceinte était jusqu’à 2005 exclusivement réservée aux sports gaéliques. Cette dérogation provisoire propulse Croke Park, avec une capacité d’acceuil de 82 000 spectateurs, au 4ème rang des plus grands stades d’Europe, derrière les mythiques Camp Nou, Wembley et San Siro. Mais cette antre a surtout une histoire particulière puisqu’elle a été le théâtre d’un évenement tragique le 20 novembre 1920. Ce jour là, la police britannique, en représailles à l’assassinat de 12 agents secrets, fait irruption dans le stade pendant un match de football gaélique et tire aveuglément sur la foule. Un véritable massacre au cours duquel 13 spectateurs et un joueur ont été tué, donnant naissance à la légende du Bloody Sunday. A quelques jours de fêter les 89 ans de ce triste anniversaire, pas de doute que les joueurs Irlandais voudront écrire une nouvelle page de leur Histoire, sportive celle-là. De quoi mobiliser la nation tout entière, déjà acquise à leur cause.
Le soutien immuable d’une armée verte
Aussitôt le tirage dévoilé, la toile a été prise d’assaut Outre-manche. Pour se procurer les précieux sésames de cette première manche certes, mais surtout pour diffuser un message d’importance nationale: "Pour que Croke Park soit notre forteresse, assurez-vous que tout le monde soit ce soir-là habillé en vert et qu’il fasse le maximum de bruit pour soutenir notre équipe durant le match. Malgré la situation économique, malgré les changements de réglements de la FIFA, notre passion pour l’Irlande est sans limites." Voilà qui a le mérite d’être clair! Cet engouement patriotique n’est pas exceptionnel, il est habituel. La "Green Army" s’est affirmée depuis les années 80 comme la plus fervente et la plus sympathique d’Europe. Loin devant les snobinards cravateux du Stade de France bien évidemment. Par ses processions (chants et danses arrosés de bière) qui transcendent le plus grand des fainéants, elle a été adoptée partout où elle est passée. Et le fait que tous ces lutins verts ne soient pas des inconditionnels du football rend ce phénomène encore plus unique. Passionnés de rugby, football ou hurling, ils se réunissent dans le seul but de défendre avec fierté les couleurs de leur pays. Pour contrer ce fanatisme débordant, la Fédération Française de Football a déjà prise les devants pour le match retour à St-Denis, en interdisant pour la première fois la vente de billets par téléphone et internet. La preuve, une nouvelle fois, que cet affrontement ne suscite pas la tranquilité…
Force est de constater que le voyage des Bleus ressemble à tout sauf à une mise au vert. Toute personne pouvant m’en dissuader est la bienvenue…