Le traitement médiatique exige un nécessaire et pédagogique souci de simplification des complexités de l’actualité. Le cas des révoltes arabes en cours, l’illustre à la perfection. Car bien plus qu’une révolte c’est bien des révoltes qui frappent cette partie du monde.
Dans les journaux il n’est pas rare d’entendre parler de révolution arabe ou de printemps arabe, sans que l’emploi du pluriel ne soit pensé nécessaire. Et pourtant bien que la révolte des sociétés arabes puisse s’entendre au singulier, c’est bien à une suite de révoltes que nous assistons. Chacune cherchant dans les propres fractures de la société qui la porte les logiques pour toujours en exiger plus.
Les précédents tunisiens et égyptiens
En effet déjà les cas tunisiens et égyptiens illustraient cette complexité d’une commune envie de liberté, mais selon des situations tout à la fois similaires et différentes. Car qui y’avait-il de commun entre les deux révolutions ? Le refus de la corruption, l’envie de mettre un terme à un règne qui a bien trop duré, l’aspiration à plus de libertés et d’écoute pour la société civile. Les traits d’une jeunesse nombreuse, très bien éduquée, exceptionnellement ouverte sur le monde et à l’aise avec les aspirations plus individualistes de notre époque. Dans le déroulé des évènements le fait que, dans les deux cas, l’armée n’ait pas voulu suivre l’ancien régime est aussi un point commun à ces deux révolutions. Mais là encore les raisons de ce refus, similaire en apparence, sont différentes d’une révolution à l’autre. Les « purges » que Ben Ali avait pu laisser faire au sein de l’armée tunisienne ayant leurs responsabilités.
Des revendications différentes selon les pays
Aujourd’hui partout, à travers le monde arabe, se reproduit un tel constat : une similitude des sociétés réclamant un changement radical, mais selon des logiques internes dont la gravité pourra décider de si oui ou non la révolution se fera. Bien évidemment les précédents tunisiens et égyptiens comptent mais c’est à leurs propres forces que les sociétés arabes, individuellement, devront se référer.
En effet le soulèvement libyen contre Kadhafi trouve ses raisons dans la structure très tribale de l’Etat libyen. A gouverner selon des logiques d’alliances, comme la toujours fait Kadhafi on prend le risque de se voir plus facilement contester. Les 41 ans de règne du « guide de Grande Jamahiriya» ayant définitivement fini d’épuiser une société civile à bout de souffle.
Au Maroc ce n’est pas forcément le poste de chef d’Etat qui suscite la réprobation, mais davantage tout ce qu’il y a autours de lui. Les marocain réclament, en majorité, une monarchie constitutionnelle, et pas une république. A Bahreïn le nœud du problème est bien plus religieux que dans d’autres pays. Le pays à 70% chiites est gouverné depuis 36 ans par une dynastie sunnite. Les revendications de la rue exigeant le départ d’un premier ministre en poste depuis plus longtemps que la famille régnante, sans qu’il n’y ait d’unanimité réelle quant au sort à réserver à la famille royale. En Algérie les années de guerres civiles, explicables par la précocité algérienne sur les questions de contestation du parti unique, pèsent très lourd dans la psyché collective. Tous les algériens ayant compris que le départ du président ne serait qu’un coup d’épée dans l’eau. La véritable cible étant cet énorme système politico-militaro -affairiste, dont on sait qu’il pille le pays, mais qu’on redoute de voir tomber, par peur de nouveaux conflits civils. La Syrie, moins en prise au problème de chômage semble plus facilement accepter l’autoritarisme de Bachar El Assad à qui on sait gré de moins de népotisme que dans les autres pays arabes. Le Yémen est dans un état de sous-développement technologique, contrairement à d’autres pays arabes. Le pays se débat dans des troubles intérieurs où Al Quaïda joue, beaucoup plus que dans nombre de pays voisins, un rôle de nuisance incontestable. Le pays, essentiel aux alliances géostratégiques américaines, présenterait un bien plus grand risque pour les Etats-Unis s’il venait à se débarrasser du président qui depuis 32 ans en assure la conduite.
On le voit donc derrière la révolte il y a en fait des révoltes. Toutes frappées de mimétismes et de communes aspirations, certes mais qu’il serait simplificateur de croire automatiquement appelées à réussir et se déclencher. Chaque pays, chaque société devant se faire le propre acteur de son histoire.
Grégory VUIBOUT