par FICATIER Julia

Le 5 février 1994, Moncef Marzouki annonce sa candidature. Ce jour-là, Moncef Marzouki fait acte de candidature à la présidentielle. Mais le 20 mars il n’y a qu’un candidat unique à sa propre succession, le président Ben Ali, arrivé au pouvoir par un coup de force en novembre 1987, après avoir destitué Habib Bourguiba. L’opposant essaie de déposer sa candidature. Sans succès. Il écrit une lettre au chef de l’État dans laquelle il souligne que ce serait « l’honneur du président Ben Ali de le laisser se présenter ». Il n’aura pas de réponse. Il ne désespère pas qu’un jour un pluralisme réel en Tunisie lui permette d’être candidat à la présidentielle

A 62 ans, Moncef Marzouki reconnaît avec humour qu’il est « tombé enfant dans la marmite de l’opposition tunisienne. C’est une maladie chronique, héréditaire. Mon père est mort au Maroc après 30 ans d’exil », dit-il à La Croix. « Moi-même, je l’avais suivi dans son exil.

J’avais alors 15 ans. Jusqu’en 1979, j’ai vécu entre le Maroc et la France, à Strasbourg, où j’ai fait mes études de médecine avec comme spécialité la neurologie. Mon père avait beau me répéter, « Ne fais pas de politique, ça ne sert à rien, sois seulement un bon médecin », je ne l’ai pas écouté. »

Moncef est donc rentré à Tunis, où il n’était pas interdit, à l’inverse de son père. Il s’est d’abord impliqué dans le droit des enfants, surtout des enfants handicapés. « C’était la porte d’entrée… en politique.

Des droits de l’enfant, j’ai glissé aux droits de l’homme pour finir par prendre la direction en 1989 de la Ligue tunisienne des droits de l’homme. » À ce poste, les choses se sont envenimées. « À ce moment-là, au processus démocratique, qui semblait en cours en 1987 à l’arrivée du président Ben Ali, succède un second processus, celui-là dictatorial. En 1989-1990, toutes les libertés ont été supprimées : plus de presse libre, plus de syndicats libres », souligne l’opposant. En 1992, la Ligue tunisienne des droits de l’homme est dissoute. Une chape de plomb tombe sur la Tunisie.

Moncef, lui, cherche une manière de faire respirer son pays. Il décide en 1994 de se présenter à la présidentielle, sachant qu’il risque gros, puisqu’il n’y avait qu’une candidature autorisée, celle du chef de l’État. « Ce n’était pas du donquichottisme, c’était de la pédagogie démocratique », assure l’opposant qui, l’?il malicieux, a gardé l’art des formules heureuses.

Moncef se permet de louer une salle à l’hôtel Sofitel à Tunis pour y tenir une conférence de presse. Il avertit toute la presse. Mais la rencontre n’aura jamais lieu. Sorti de chez lui à 15 heures, il est « intercepté » par des hommes en civil et emmené par la police. Il restera enfermé quatre heures, suspecté dit-on d’un vol de voiture, puis relâché. « Je suis revenu à l’hôtel où l’on m’a remboursé les 120 dinars donnés, puisque la conférence de presse n’avait pas eu lieu. Il y a eu ensuite une pétition signée par une centaine de personnes pour une élection présidentielle libre. Ce qui n’a rien changé. La veille du vote, j’ai appelé, en vain, au boycott. » Moncef, tout courage, qui a osé braver un tabou, celui de ne pas accepter une candidature unique, sera sanctionné. Le 21 mars, au lendemain de l’élection, il est emprisonné dans une cellule, isolé des autres détenus. Il y restera quatre mois sans jugement. L’intervention personnelle de Nelson Mandela qu’il a connu en 1991 à Oslo va le sauver.

Une fois libéré, les sanctions pleuvent contre l’opposant-médecin. Il est exclu de tous les hôpitaux, interdit de sortie pendant cinq ans, chassé de la faculté de médecine où il était professeur…. Mais le têtu Moncef poursuit son combat : sur Al-Jazira, il appelle en 2000 au départ de Ben Ali. Toute la Tunisie l’entend. Il se retrouve « en résidence surveillée ». « Deux voitures de police constamment devant chez moi. Il m’était impossible de marcher librement dans la rue. Je n’avais plus de ressources et plus de quoi élever mes deux filles. En 2001, le président Jacques Chirac a demandé ma libération arguant du fait que j’avais obtenu un poste à la Faculté de médecine de Bobigny, comme professeur invité de santé. ».

Moncef est donc parti en France, mais a fait trois tentatives de retour à Tunis qui se sont mal passées. À chaque fois il a eu droit à des interrogatoires musclés et des menaces. Opposé à toute violence, il a décidé finalement « de ne revenir en Tunisie que lorsqu’il y aura un changement de gouvernement ».

Aujourd’hui, il travaille comme consultant dans un réseau de santé à Marne-la-Vallée, dans les quartiers difficiles, où il retrouve des Maghrébins et bien sûr des Tunisiens, gardant ainsi avec son pays un lien très fort.

En homme du Sud, qui affectionne les paraboles, il souligne « avoir semé dans le désert quelques graines. Si la pluie vient, ce désert se transformera en jardin d’Éden. Si elle ne tombe pas, nous attendrons notre démocratie… et le jour où elle refleurira, croyez-moi, je serai à nouveau candidat. »

FICATIER Julia – « La Croix » samedi 9 février 2008

par FICATIER Julia

Le 5 février 1994, Moncef Marzouki annonce sa candidature. Ce jour-là, Moncef Marzouki fait acte de candidature à la présidentielle. Mais le 20 mars il n’y a qu’un candidat unique à sa propre succession, le président Ben Ali, arrivé au pouvoir par un coup de force en novembre 1987, après avoir destitué Habib Bourguiba. L’opposant essaie de déposer sa candidature. Sans succès. Il écrit une lettre au chef de l’État dans laquelle il souligne que ce serait « l’honneur du président Ben Ali de le laisser se présenter ». Il n’aura pas de réponse. Il ne désespère pas qu’un jour un pluralisme réel en Tunisie lui permette d’être candidat à la présidentielle

A 62 ans, Moncef Marzouki reconnaît avec humour qu’il est « tombé enfant dans la marmite de l’opposition tunisienne. C’est une maladie chronique, héréditaire. Mon père est mort au Maroc après 30 ans d’exil », dit-il à La Croix. « Moi-même, je l’avais suivi dans son exil.

J’avais alors 15 ans. Jusqu’en 1979, j’ai vécu entre le Maroc et la France, à Strasbourg, où j’ai fait mes études de médecine avec comme spécialité la neurologie. Mon père avait beau me répéter, « Ne fais pas de politique, ça ne sert à rien, sois seulement un bon médecin », je ne l’ai pas écouté. »

Moncef est donc rentré à Tunis, où il n’était pas interdit, à l’inverse de son père. Il s’est d’abord impliqué dans le droit des enfants, surtout des enfants handicapés. « C’était la porte d’entrée… en politique.

Des droits de l’enfant, j’ai glissé aux droits de l’homme pour finir par prendre la direction en 1989 de la Ligue tunisienne des droits de l’homme. » À ce poste, les choses se sont envenimées. « À ce moment-là, au processus démocratique, qui semblait en cours en 1987 à l’arrivée du président Ben Ali, succède un second processus, celui-là dictatorial. En 1989-1990, toutes les libertés ont été supprimées : plus de presse libre, plus de syndicats libres », souligne l’opposant. En 1992, la Ligue tunisienne des droits de l’homme est dissoute. Une chape de plomb tombe sur la Tunisie.

Moncef, lui, cherche une manière de faire respirer son pays. Il décide en 1994 de se présenter à la présidentielle, sachant qu’il risque gros, puisqu’il n’y avait qu’une candidature autorisée, celle du chef de l’État. « Ce n’était pas du donquichottisme, c’était de la pédagogie démocratique », assure l’opposant qui, l’?il malicieux, a gardé l’art des formules heureuses.

Moncef se permet de louer une salle à l’hôtel Sofitel à Tunis pour y tenir une conférence de presse. Il avertit toute la presse. Mais la rencontre n’aura jamais lieu. Sorti de chez lui à 15 heures, il est « intercepté » par des hommes en civil et emmené par la police. Il restera enfermé quatre heures, suspecté dit-on d’un vol de voiture, puis relâché. « Je suis revenu à l’hôtel où l’on m’a remboursé les 120 dinars donnés, puisque la conférence de presse n’avait pas eu lieu. Il y a eu ensuite une pétition signée par une centaine de personnes pour une élection présidentielle libre. Ce qui n’a rien changé. La veille du vote, j’ai appelé, en vain, au boycott. » Moncef, tout courage, qui a osé braver un tabou, celui de ne pas accepter une candidature unique, sera sanctionné. Le 21 mars, au lendemain de l’élection, il est emprisonné dans une cellule, isolé des autres détenus. Il y restera quatre mois sans jugement. L’intervention personnelle de Nelson Mandela qu’il a connu en 1991 à Oslo va le sauver.

Une fois libéré, les sanctions pleuvent contre l’opposant-médecin. Il est exclu de tous les hôpitaux, interdit de sortie pendant cinq ans, chassé de la faculté de médecine où il était professeur…. Mais le têtu Moncef poursuit son combat : sur Al-Jazira, il appelle en 2000 au départ de Ben Ali. Toute la Tunisie l’entend. Il se retrouve « en résidence surveillée ». « Deux voitures de police constamment devant chez moi. Il m’était impossible de marcher librement dans la rue. Je n’avais plus de ressources et plus de quoi élever mes deux filles. En 2001, le président Jacques Chirac a demandé ma libération arguant du fait que j’avais obtenu un poste à la Faculté de médecine de Bobigny, comme professeur invité de santé. ».

Moncef est donc parti en France, mais a fait trois tentatives de retour à Tunis qui se sont mal passées. À chaque fois il a eu droit à des interrogatoires musclés et des menaces. Opposé à toute violence, il a décidé finalement « de ne revenir en Tunisie que lorsqu’il y aura un changement de gouvernement ».

Aujourd’hui, il travaille comme consultant dans un réseau de santé à Marne-la-Vallée, dans les quartiers difficiles, où il retrouve des Maghrébins et bien sûr des Tunisiens, gardant ainsi avec son pays un lien très fort.

En homme du Sud, qui affectionne les paraboles, il souligne « avoir semé dans le désert quelques graines. Si la pluie vient, ce désert se transformera en jardin d’Éden. Si elle ne tombe pas, nous attendrons notre démocratie… et le jour où elle refleurira, croyez-moi, je serai à nouveau candidat. »

FICATIER Julia – « La Croix » samedi 9 février 2008

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