Paris.
Cette putain de métropole, appréciée du monde entier, la ville lumière, la ville la plus visitée, ce carrefour de touristes, de citadins, de provinciaux, et d’étrangers. Le métro est le lieu commun où chacun se croise sans se regarder, sans s’accorder un instant.
La foule transporte chacun d’entre nous, chacun pressé par le travail, des  retrouvailles, un emploi du temps qui le submerge comme jamais.
Dans le wagon s’arrête le temps où tous sont statiques, muets, tristes, sans sourire, sans émotions. Une masse d’individus inconnus les uns des autres, qui s’intéresse à regarder des pieds, des pieds qui racontent une histoire, une personnalité, un événement, même, pourquoi pas.

Je me surprends souvent à essayer de créer une histoire à chacune paire de chaussures sur laquelle se porte mon regard. Puis, je monte, j’analyse les vêtements, la manière, l’allure des personnes que je vois. Je leur invente une vie, un métier, un emploi du temps, pour chacun. Il y a le vieil homme dégarni, aux ongles sales, aux tâches de peinture sur son jean crasseux. Lui, ce sera un ouvrier, qui lutte contre la longévité du travail jusqu’à la retraite. 60 ans passés, il est fatigué, comme en témoignent ses cernes noirs creusés si profondément qu’on y perd son regard. La poussière remuée lors de ses chantiers s’est déposée sur ses sourcils broussailleux, ses mains robustes trahissent le labeur de ses journées à transporter du matériel, son dos vouté exprime le relâchement de ses membres meurtris par chacune de ses années de travail accumulées. A côté de lui, une jeune fille, escarpins vernis aux pieds, rouge parfaitement ajusté à ses lèvres, un nœud en diagonale dans ses cheveux, une jolie robe délicatement posée sur elle. Sourire aux lèvres, elle a surement un rendez vous, avec l’homme qu’elle prend plaisir à nommer celui de sa vie. Debout se tient un homme en costume, bien taillé de haut en bas, cravate bleue, chemise blanche, homme d’affaires, pourquoi pas. La facilité d’attribuer aux vêtements une image. La facilité du préjugé. Son attaché-case le catégorise déjà comme tel. Après tout, peut être se rend t il à un entretien pour un travail. Après tout, l’habit peut faire le moine aussi, non?

Assise sur un strapontin, une masse poilue se tient, le sourcils épilé en un trait brun et fin, le front haut, les paupières violettes, les cils longs et courbés très noirs. Elle dénote un peu dans le paysage, avec sur ses épaules un manteau en peau de renard ou d’un autre pauvre animal dé-poilé. Ses talons soulèvent ses genoux cagneux et dénudés de 12 bons centimètres et sont comme un fil tenu debout qui la maintiendrait à peine en équilibre. On l’imaginerait mieux dans un taxi elle et son sac Vuitton plutôt que dans un wagon où se mêlent la sueur, les haleines fétides, les parfums amers et entêtant de mauvaise qualité. La mégère, comme je me plais à appeler ce genre de personnages, ne daigne pas se lever lorsque le train subit brutalement l’affluence à quelque station que ce soit. Maîtresse d’elle même, l’air hautain bien qu’assise, elle surpasse la foule, comme si tous ces individus entrant et sortant de nul part n’étaient qu’à son échelle de vulgaires fourmis. Les lèvres rosies et pincées, les traits tirés jusque derrière ses oreilles, elle toise le monde. Les gens se pressent, se collent par manque de place. Certains assis tranquillement se lèvent pour laisser de l’espace aux nouveaux arrivant. C’est un espèce de va-et-vient incessant d’ombres qui se croisent sans s’apercevoir, qui se frôlent, se bousculent dans un éternel recommencement. Et j’en fais partie, tous les jours de chaque semaine, de ces gens là. Je suis entraînée par le rythme méthodique, carré des personnes qui me heurtent, se trompent de chemin, me font tourner en rond, que moi même je bouscule, auxquelles je ne fais pas si attention que ça. Ce qui en devient gênant, puisqu ‘inattendu, ce sont les regards échangés avec nos interlocuteurs muets, un face à face obligé. Il y a de ceux qui vous contemple, d’autres qui vous surprennent, ne durent qu’un instant, comme si ce lieu commun était inapproprié pour n’importe quel échange visuel. L’habitude est de s’ignorer ou bien de se passer pour un être totalement transparent, flottant dans le manque d’air du métro.

On a l’air tous pareil, l’œil dans le vide ou fixé sur des pieds, mais on est tous tellement différents. Le métro, c’est l’endroit où les générations, les ethnies, les styles, les genres se côtoient et se touchent. Des hommes, des femmes, des enfants, des adolescents. On passe d’un look chic, à un style déglingue, à un autre plus classique, à encore à un autre complètement extravaguant. Un nez fin et élancé, un nez plus plat, un sans arête plus étalé, un nez en trompette, en nez genre bec-de-lièvre. Une bouche fine pincée, une autre pulpeuse, une colorée, une bien dessinée, à une gercée, une maquillée. Des yeux de félin, des yeux plissés, des yeux fatigués, cernés, des yeux globuleux. Taille, couleur, sorte, forme, race. On en vient toujours à là. La diversité dont fait preuve le métro parisien. La richesse de l’être humain. Si différent, mais si semblable. On est tous constitués de chair et d’os, d’un cerveau et de sang. Mais on est tous étranger l’un à l’autre. Par politesse, par hypocrisie, par timidité, pas décence. Par différence.