Ministère de l’Intérieur Vs. La Rumeur : un procès politique.

 

En Juillet 2002, suite à une publication dans le fanzine accompagnant l'album « L'ombre sur la mesure » du groupe de rap La Rumeur[1], le ministère de l'Intérieur – alors dirigé par l'actuel président de la république, depuis mai- déposait une plainte pour « diffamation ».

Les propos incriminés, issus de l'article « Insécurité sous la plume d'un barbare[2] » signé par Hamé[3], sont les suivants :

« les rapports du ministère de l'Intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu'aucun des assassins n'ait été inquiété»

(…)

« (…) au travers d'organisations comme SOS racisme, crée de toutes pièces par le pouvoir PS de l'époque pour contribuer à désamorcer le radicalisme des revendications de la Marche des beurs : l'égalité des droits devient l'égalité devant l'entrée des boîtes de nuit. La justice pour les jeunes assassinés par la police disparaît sous le colosse slogan médiatique "Touche pas à mon pote !" ou "Vive le métissage des couleurs !", etc. »

(…)

« Aux humiliés l'humilité et la honte, aux puissants le soin de bâtir des grilles de lecture. A l'exacte opposée des manipulations affleure la dure réalité. Et elle a le cuir épais. La réalité est que vivre aujourd'hui dans nos quartiers c'est avoir plus de chance de vivre des situations d'abandon économique, de fragilisation psychologique, de discrimination à l'embauche, de précarité du logement, d'humiliations policières régulières, d'instruction bâclée, d'expérience carcérale, d'absence d'horizon, de repli individualiste cadenassé, de tentation à la débrouille illicite… c'est se rapprocher de la prison ou de la mort un peu plus vite que les autres… ».


[1] Site officiel: http://www.la-rumeur.com/  et leur myspace: http://www.myspace.com/larumeurofficiel

[2] in La Rumeur Magazine n°1, 29 avril 2002.

[3] Mohamed Bourokba de son vrai nom. Détenteur d'un DEA en audiovisuel et en sociologie des médias.


 

Assigné à comparaître devant le tribunal de grande instance, Hamé est finalement relaxé suite au verdict prononcé le 17 décembre 2004. Dans le cadre de ce procès en première instance, le réquisitoire du parquet était alors très mesuré : «replacés dans leur contexte, ces propos ne constituent qu'une critique des comportements abusifs, susceptibles d'être reprochés sur les cinquante dernières années aux forces de police à l'occasion d'événements pris dans leur globalité[1]». Durant l'audience, lorsque le juge avait demandé de préciser l'identité des « frères [abattus par les forces de police] » auxquels Mohamed Bourokba se référait, celui-ci avait cité près d'une trentaine de noms.

Toutefois en avril 2005, le ministère de l'Intérieur fait appel de cette décision et renvoie le procès en seconde instance, lequel s'est tenu le 11 mai 2006. Une nouvelle fois, le jeudi 22 juin 2006, la justice prononce la relaxe à l'égard de Hamé.

Pourtant, fait rarissime dans ce type de cas, le ministère de l'Intérieur se pourvoit en cassation. Rappelons qu'entre temps, l'ancien maire de Neuilly et ancien ministre de l'intérieur est devenu président de la république.

Le 26 juin 2007, l'avocat général Jacques Mouton, demande la cassation de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 22 juin 2006. Motif selon ce dernier : les propos incriminés "contenaient des faits déterminés à porter atteinte à l'honneur de la police nationale".

Le 11 juillet 2007, la Cour de Cassation annule la décision de relaxe prononcée en faveur de Mohamed Bourokba et se conforme donc aux conclusions de l'avocat général.

L'affaire est donc pour l'heure, renvoyée devant la cour d'appel de Versailles.

En résumé, et depuis cinq ans maintenant, La Rumeur, groupe de rap « de fils d'immigrés[2]» est poursuivi avec un acharnement sans précédent.

Au-delà de la problématique tournant autour de la « liberté d'expression » ou du « devoir de mémoire [3]», cette affaire apparaît sans aucun doute, hautement politique.

Un appel à la solidarité, signé par de nombreux artistes, intellectuels et citoyens[4]  (dont un gardien de la paix) a été lancé afin de soutenir La Rumeur. Il est en ligne sur le site officiel du groupe.


[1] Lesdits propos étaient ainsi considérés au titre de la « liberté d'expression ». Durant le procès,  l'historien de la police Maurice Rajsfus avait d'ailleurs rappelé que, dans le cas du massacre du 17 octobre 1961, il y avait de manière avérée, des homicides volontaires avec préméditation.

[2] Selon leurs propres termes.

[3] Ou de la « fin de la repentance », selon les mots du candidat vainqueur au soir du 6 mai 2007.

[4] Tels : Noir Désir, Mouss et Hakim (Zebda), Kader Aoun, Jacky Berroyer, Benjamin Biolay, Cali, Maurice Rajsfus (historien), Esther Benbassa (directrice d'études à EPHE-Sorbonne), Denis Robert (écrivain), Olivier Cachin (journaliste), Christophe Honoré (réalisateur), Raphaël Frydman (réalisateur), Erik Blondin (gardien de la paix), Geneviève Sellier (universitaire), Philippe Manoeuvre (rédacteur en chef de Rock & Folk), Bruno Gaccio (auteur), Lydie Salvayre (écrivain), François Bégaudeau (écrivain), Bernard Comment (écrivain, éditeur), Jean-Pierre Garnier (sociologue au CNRS) … voir : http://www.la-rumeur.com/indexbis.php

Une réflexion sur « Ministère de l’Intérieur Vs. La Rumeur : un procès politique. »

  1. perplexe…
    Ton article, fort intéressant, me laisse sans voix. Je suis d’autant plus surprise que je n’ai jamais entendu parler de cette affaire d’appel et de cassation.
    En vertu de la sacro-sainte séparation des pouvoirs propre à toute démocratie digne de ce nom, le politique ne doit pas pouvoir interférer dans les affaires judiciaires… Je serai curieuse de connaître la date d’audience à la cour d’appel de Versailles. J’aimerai également connaitre les motivation du pourvoi en cassation. Sais-tu comment je pourrai obtenir une copie de l’arrêt?

Les commentaires sont fermés.