Michel Dubec, psychiatre pratiquant la psychanalyse et l’expertise judiciaire – de manière « trop souvent “sauvage” » ont estimé divers plaignants – s’est vu infliger une admonestation par la chambre disciplinaire de première instance du Conseil de l’ordre des médecins. Il est en effet frappé, avec sursis, de trois mois d’interdiction d’exercer. Ce n’est peut-être pas l’épilogue des démêlés de Michel Dubec…


Rappel des faits… Comme tout expert judiciaire, comme tout praticien, en particulier dans ce domaine particulièrement sensible de la psychiatrie, Michel Dubec  est particulièrement exposé à la critique. Celle-ci ne s’exprimait pas, ou était tenue pour négligeable, jusqu’à ce qu’il publie, avec pour coauteure Chantal de Rudder, un livre de souvenirs et réflexions portant sur ses plus célèbres expertises (ou ses cas les plus médiatiques). Intitulé Le Plaisir de tuer (titre, selon Chantal de Rudder, choisi par l’éditeur,  Le Seuil), l’ouvrage, paru en février 2007, a suscité des appréciations favorables mais aussi un tollé. En cause, une éventuelle complaisance apparente et passagère envers un tueur en série, Guy Georges, qui violait ses victimes. Certains milieux féministes, l’association créée par le père de l’une des victimes, s’offusquent. Une pétition est lancée dénonçant des propos pouvant, mal interprétés ou sortis du contexte selon les auteurs et d’autres, mais néanmoins pernicieux, assurent les pétitionnaires, constituer une « justification du viol ».
Mais cette polémique vaut à Michel Dubec une remontée à la surface d’affaires qu’il a traitées – mal, voire épouvantablement traitées, assurent des plaignants ou d’autres dont les saisines ne seront pas retenues par diverses instances – en tant qu’expert. En sus, deux des personnes citées dans le livre, Maurice Joffo (frère de l’auteur Joseph Joffo), anciennement condamné pour recel, et Ilitch Ramirez Sanchez, dit « Carlos », qui avait refusé de s’entretenir avec Michel Dubec  en détention, découvrent avec stupéfaction soit des sentiments et actes qu’on leur prête, soit des propos (produits, et non reproduits, entre guillemets de citations authentiques) qu’ils n’ont jamais tenus. Des informations, puis des plaintes, remontent au Conseil de l’Ordre des médecins. Dix, sur un nombre bien supérieur d’interventions, de « signalements », d’autres plaintes estimées d’emblée irrecevables, sont retenues et le conduisent à comparaître, fin septembre 2009.

Le Conseil départemental parisien de l’Ordre s’est associé aux deux plus patentes à ses yeux. L’une a déjà valu à Michel Dubec et Chantal de Rudder une condamnation judiciaire définitive rétablissant l’honorabilité de Maurice Joffo.  L’autre, émanant d’Illitch Ramirez Sanchez,  conduit Michel Dubec de se voir qualifier d’affabulateur – entre autres qualificatifs – par la défense de « Carlos ». D’autres instances judiciaires sont aussi par ailleurs saisies pour des affaires dont Michel Dubec, en qualité d’expert, avait eu à traiter : certaines suivent le cours des méandres de l’action judiciaire, d’autres sont au point mort ou abandonnées, ses adversaires ayant renoncé, découragés. Il y a donc plusieurs strates dans ce qu’il convient d’appeler le cas de Michel Dubec.
De surcroît, un appel a été interjeté par Brigitte Brami, l’une des ses anciennes patientes, condamnée une première fois pour harcèlement à son encontre, de nouveau condamnée à de la détention pour des faits similaires à la demande de Michel Dubec. Ce dernier dénonce d’ailleurs une cabale de la part de cette femme, laquelle aurait cristallisé ainsi, selon lui, l’ensemble des accusations ou récriminations dont il est l’objet…

Or donc, la chambre disciplinaire du Conseil de l’Ordre, peut-être pour éviter d’être de nouveau saisie, a déclaré finalement irrecevables les plaintes des divers plaignants hormis celle du Conseil départemental parisien de l’Ordre. Il n’en reste pas moins que les plaignants dans leur ensemble ont été entendus…

Michel Dubec est en sursis. Certes, il aurait mieux valu titrer « Simple mercuriale pour Michel Dubec » mais cette condamnation à une interdiction d’exercer assortie de sursis vaut objurgation. Bien sûr, alors que Michel Dubec continuera sa tournée des plateaux de télévision et de faire les têtes de page des quotidiens et hebdomadaires en sa qualité d’expert médiatique, l’avertissement ne parait guère sévère. Une très courte interdiction d’exercer sans sursis aurait possiblement impliqué que le parquet général se soit retrouvé, à terme, peu enclin à reconduire ce médecin dans ses fonctions d’expert.
Là, le sursis peut laisser le loisir à Michel Dubec de s’abstenir de faire appel, ce qui, vu le nombre de plaintes déjà plaidées, entraînerait de lourds frais d’avocats… cela même si l’appel lui était favorable. En revanche, le Conseil de l’Ordre des médecins, qui s’est solidarisé avec la défense de deux des plaignants les plus connus, Maurice Joffo, frère de l’écrivain Joseph Joffo (Un sac de billes et autres récits ou romans), et Illitch Ramirez Sanchez, dit Carlos, a marqué ses distances et sa réprobation. Si d’autres plaignants, dans d’autres affaires, encore non traitées, venaient à obtenir d’autres sanctions à l’encontre de Michel Dubec, du fait de ses expertises, il ne pourrait être soutenu que l’Ordre se soit montré – au final et après divers atermoiements  – le rempart des pratiques incriminées.

 

La décision de la chambre disciplinaire de première instance, présidée par un magistrat assisté de médecins, est intervenue après très mûre réflexion. Ce n’est peut-être pas tant le nombre de plaintes retenues, dix, sur un nombre plus considérable de saisines de cette instance, que la personnalité et la notoriété de Michel Dubec qui expliquent un tel délai. Plus de deux mois (23 septembre pour les audiences, 4 décembre 2009 pour le prononcé, soit quelque 70 jours) ont permis à la chambre disciplinaire de se concerter autant qu’il était possible.
Les audiences, huit le matin (des plaignants peu ou moins connus), deux l’après-midi (Maurice Joffo et Illitch Ramirez Sanchez), n’avaient laissé pourtant guère place à de multiples incertitudes justifiant de s’attarder plus d’un mois sur le cas de Michel Dubec. Cela en dépit même du fait que d’illustres confrères, car eux-mêmes experts judiciaires en vue, ou le médiatique juge Thiel, ou encore le président de l’Association de la presse judiciaire,  Stéphane Durand-Soufflant, du Figaro, dont un article prévenant – voire préventif ? – était paru avant sa déposition, soient venus dire tout le bien de l’ami, du médecin, de l’expert qu’il représente à leurs yeux.

 

Pour Maurice Joffo, auquel Me Matthieu (son cabinet d’avocats, lors de l’audience ordinale, était représenté par Me Anne-Laure Archambault, mais il avait défendu Maurice Joffo en justice) est venu rendre visite ce 11 décembre  et se faire coiffer dans son salon de la rue Saint-Lazare, la cause est entendue. C’est, ce 11 décembre, la fête juive « des lumières » (Hanoucca). Et il n’y a pas de doute pour Maurice Joffo : « Michel Dubec est dérangé ». Entendez qu’il n’a plus toutes ses lumières mais en voit d’autres dans sa tête. Ainsi lorsqu’il s’imaginait, comme il l’a déclaré en substance en audience, que Maurice Joffo aurait refusé le passage en zone libre à sa mère (à lui, Michel Dubec) parce qu’elle n’aurait pas pu lui régler le prix du risque pris. « Juif, Dubec ? oui, c’est possible… Léon Zitrone se voulait parfois italien, Dubec se rêve peut-être plus juif qu’il ne l’est vraiment, mais vous savez, moi, à 82 ans, tout cela m’indiffère… » : ainsi Maurice Joffo classe-t-il ses démêlés avec Michel Dubec, et il renonce à se porter en appel pour obtenir mieux que cette apparente indulgence.
Il suffit de lire le Sac de billes de Joseph Joffo pour se rendre compte que le jeune Maurice, 13 ans alors, s’improvisant passeur pour un seul franchissement de la ligne de démarcation, au tiers ou quart du prix demandé par les passeurs réguliers, n’en a tiré que des subsides pour subsister avec son jeune frère. Faute de s’être documenté, Michel Dubec avait transformé, dans une sorte « d’auto-psychanalyse » (ainsi que l’ont soutenu divers témoins ou sa coauteure, Chantal de Rudder), un Maurice Joffo en caricature du « Juif Süss » (personnage de la propagande nazie), profitant du malheur des autres. C’était dans le livre Le Plaisir de Tuer.  Ses affirmations à l’encontre du Maurice Joffo de son imaginaire avaient valu à Chantal de Rudder et à Michel Dubec d’être condamnés pour… propos antisémites. La qualification est paradoxale mais, faute, disent-ils, d’en avoir été avertis à temps, les auteurs du Plaisir de tuer n’avaient pas joui de leur droit de se porter en appel.
En audience devant la chambre disciplinaire ordinale, Michel Dubec citait le livre de Maurice Joffo – avait-il seulement pris la peine de le lire avant d’écrire son « bon » Plaisir ? –  Pour quelques billes de plus ?, en tronquant le contexte,  afin de plaider qu’il aurait pu être trompé par des apparences. Ses visions et ses fantasmes lui semblent-ils si réalistes qu’ils façonnent son regard sur le réel ? Ce genre de pathologie – qui frappe parfois aussi des psychiatres – vaut à l’occasion interdiction définitive d’exercer mais, a priori, ce n’est pas encore le cas pour Michel Dubec, plus enclin à chercher la formule-choc qui frappe les esprits des lecteurs qu’à se frapper le front avant de s’écrier « Eureka, j’ai percé à jour le vrai Joffo, le vrai Carlos ».

 

Lors de l’audience, les défenseurs d’Ilitch Ramirez Sanchez, Mes Coutant-Peyre et Vuillemin, avaient été les plus nets : « il règle ses problèmes à travers ses patients. ».  Et parfois, peut-être, celles et ceux qu’il expertise, mais là, c’est une toute autre histoire, ou plutôt de multiples histoires qui ne sont pas remontées vraiment jusqu’aux diverses instances ordinales. Cette estimation rappelait en tout cas qu’il avait obtenu, à l’encontre d’une ancienne patiente, Brigitte Brami, un emprisonnement de quinze mois pour harcèlement. Celle-ci avait purgé, sa peine ayant été réduite en appel, six mois sur huit.
Mais après l’audience ordinale, une seconde fois, pour des faits déjà évoqués lors du premier procès, Michel Dubec obtenait une nouvelle fois une nouvelle condamnation, cette fois de deux au lieu de quinze mois de détention, à l’encontre de Brigitte Brami. Celle-ci n’ayant pas comparu en audience se voyait frappée d’un mandat d’amener. Elle a choisi d’attendre son nouvel appel en se rendant indisponible (elle est « en cavale »). Mais elle s’est exprimée sur divers sites – dont celui-ci, en commentaires – sur ce qu’elle estimait être aussi « un acharnement » de la part de son ex-praticien.  Pour le moment, la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins a tancé Michel Dubec : qu’il se garde de s’acharner à donner des prétextes pour se retrouver une nouvelle fois en chambre disciplinaire…

 

Comparaison n’est pas raison. Mais on peut s’étonner. Qui, dans la presse française, avait relevé les multiples démêlés du chirurgien français de Jean-Philippe Smet, dont la fille, Laura, est l’amie intime de ce praticien maintes fois mis en valeur par la presse « pipeule » et parfois la presse généraliste ? Qui ressortira les images et les commentaires élogieux dont ce chirurgien en vue et en cour a fort longtemps bénéficié ? Qui, après avoir fait ses ventes en évoquant la romance d’Isabelle Adjani avec lui, vient au secours de ce chirurgien ? Actuellement, ces titres de presse renvoient dos à dos Stéphane Delajoux, donnant la parole à son avocat David Koubbi assurant que l’opération de Johnny Halliday avait été suivie d’examens postopératoires suffisants et « normaux », et les proches du chanteur les plus véhéments dans leurs accusations à son égard. Ceux qui avaient salué le médecin venu tenter « l’opération de la dernière chance » sur Nadine Trintignant avaient-ils fait alors état des condamnations dont il avait été l’objet ?  Pour les affaires de dopage sportif, ont vit les mêmes courtisans des soigneurs qui sympathisaient avec les médecins alchimistes de la performance, les dénoncer et accabler par la suite. Bref, qui a contribué à faire en sorte que certains, aux pratiques parfois voire assurément constamment douteuses, se sentent nantis d’un sentiment d’invulnérabilité, d’impunité totale ?
La remarque vaut hélas pour l’ensemble du corps social.
Voire à l’occasion des corps dits constitués… Cela vaut, en d’autres domaines, pour, par exemple, un Bernard Madoff : il devait aussi sa fortune à la presse économique, à de multiples « autorités » vantant sa réussite. Bernard Madoff, lui, ne connaîtra sans doute pas le recours en bonnes grâces que peut avoir obtenu et espérer encore un autre « Nanard », Bernard Tapie, chouchou des médias un temps tombé un temps en oubli.

 

La condamnation de Michel Dubec n’est certes pas infâmante, mais il conviendra peut-être d’en prendre date. On se bornera à relever que certains, dont France-Soir, l’avaient fait…