Angela Merkel n’a peut-être pas beaucoup œuvré en sous-main, involontairement, pour assurer la défaite de Nicolas Sarkozy mais, maladroitement, elle vient peut-être de donner un coup de main aux candidates et candidats socialistes et frontistes (de gauche et autres) aux législatives françaises. En dépit de son démenti, elle avait bien proposé, assure Der Spiegel, au président grec Carolos Papoulias, de lier nouvelles élections législatives grecques à un référendum portant sur la sortie de l’euro. Mélenchon, qui accueillera demain lundi, à Paris, Alexis Tsipras (Syriza), pourra développer le thème de la Grèce « laboratoire européen du libéralisme conservateur » destiné à gouverner par « la peur ».

Eh oui, malgré un démenti officiel, l’Allemagne d’Angela Merkel avait fort bien proposé que les Grecs se prononcent par référendum sur la sortie ou le maintien dans la zone euro. Sous-entendu bien sûr qu’il convenait de voter pour les mesures d’austérité les plus drastiques dans tous les pays européens les plus fragiles.

Les chefs de file de droite et les technocrates de la finance européenne sont de plus en plus exaspérés par les Grecs et souhaiteraient sans doute secrètement qu’un tel référendum les désavoue nettement avec pour effet un retour de la Grèce à la drachme.

Sauf que… y compris David Cameron et le Square Mile (la City) redoutent des conséquences massives, plus désavantageuses pour le Royaume-Uni, son économie et sa croissance, qu’une nième aide à la Grèce, d’ailleurs inéluctable si le pays quittait l’Eurozone : la famine des Grecs ferait mauvais effet, serait porteuse peut-être aussi de troubles sociaux s’étendant, et les banques européennes devraient aussi essuyer de fortes dettes.

Alexis Tsipras, invité par le Front de Gauche, sera présent dans la rue ce lundi 21 mai à proximité de l’Assemblée nationale française (Place Herriot, 18h30) et il donnera aussi une conférence de presse, sans doute conjointe avec Mélenchon. On en connaît d’avance l’essentiel de la teneur. Passé le salut à François Hollande et à la majorité de l’électorat français, il dira que les peuples européens doivent se sauver par eux-mêmes et pousser leurs dirigeants à refuser une austérité sans la moindre contrepartie.

Tispras, bientôt 38 ans, dirigeant européen émergent avec près d’un quart des voix grecques, peut-être un peu davantage lors des nouvelles élections, n’a rien du boutefeu Mélenchon. Il est certainement beaucoup plus du style et de la personnalité d’un Montebourg, mais les circonstances l’obligent à durcir le discours.

Helana Smith, du Guardian, l’a rencontré à Athènes, et peut-être sympathisé avec lui. L’homme est affable, voire charmeur. Famine, exodes (interne, vers les campagnes, externes pour les travailleurs et les capitaux), désespoir, disparition des services publics (dont de santé) : les faits sont patents, et lui donnent raison sur le constat.

Ce constat, il le pousse un peu plus loin. De toute manière, c’est l’enfer social qui est promis aux habitants des pays les plus économiquement faibles, un formidable retour en arrière, et dans tous les pays, la régression des revenus et des services pour les plus faibles et la classe moyenne inférieure. Pour lui, la Grèce sert de laboratoire au néo-libéralisme conservateur le plus doctrinaire, quelle que soit la manière dont les choses sont enrobées, la pilule la plus amère doit finir par être avalée.

Il faisait figure autrefois de « bobo bien pensant », il n’a pu que se radicaliser. Pour lui, la question n’est pas Angela Merkel ou les Allemands en leur ensemble, mais bien la finance internationale et les firmes de taille mondiale. « C’est une guerre opposant les peuples au capitalisme, » résume-t-il. C’est de cette dimension dont il veut convaincre. La Grèce n’est qu’un champ de bataille, une ligne de front en pointe, juste plus avancée que d’autres secteurs de combats.
Mais les Grecs se refusent à servir d’animaux de laboratoire, de hamsters ou de souris blanches. Les soutenir, c’est refuser de subir rapidement le même sort.

 

Tandis que le pouvoir d’achat global des Grecs s’affaisse de 35 %, celui des banksters s’accroît, résume-t-il. L’austérité ne sert que les établissements financiers. Et même, les condamnations de la Grèce serviraient à susciter une panique pour que l’argent fuit les succursales des grandes banques dans le pays afin de le rapatrier dans les sièges ou d’autres filiales, surtout à Londres ou en Suisse.

Une certaine rigueur, oui, dans un cadre communautaire, en conservant l’euro, il peut l’admettre. Ce n’est pas, dit-il, « du chantage » mais il faut convaincre que la poursuite de l’austérité en Grèce ou ailleurs, telle qu’elle est imposée par le haut, entraîne une spirale vers le fond d’un puits qui n’en aurait pas.

« Les contribuables européens doivent comprendre que, s’ils consentent un effort pour la Grèce, il doit être payé de retour… L’effort doit porter sur des investissements et un soutien à la croissance car c’est la seule manière de se sortir de la crise de la dette. ».

 

Syriza veut renégocier l’accord passé par le précédent gouvernement. S’il se refuse à envisager un chantage, il rappelle que si la Grèce fait faillite, les créditeurs seront à terme plus fragiles encore. C’est élégamment, mais fermement énoncé.

Lors de sa visite en France, Tsipras rencontrera-t-il brièvement un conseiller de la présidence voire l’un des ministres français ? Il avait bien sûr demandé à François Hollande de le recevoir, ce ne sera sans doute pas pour cette fois.

Mais Tsipras est désormais écouté et l’IHT (International Herald Tribune) et le New York Times lui ont consacré vendredi un entretien (publié hier samedi). « J’aime jouer au poker, » annonce-t-il. Son argument est que son pays, maillon faible, peut faire céder l’ensemble s’il casse, ou plutôt si on le casse. Pour lui, les milieux financiers « n’ont aucun scrupule et ils s’en prendront de même manière aux pays voisins. ». En fait, une Europe politique plus cohérente pourrait instaurer un réel contre-pouvoir, et il estime que le système fédéral des États-Unis doit servir d’exemple adaptable. Jamais les États-Unis ne laisseront la très endettée Californie à son sort, en la poussant à la sécession. L’exemple est pourtant mal choisi : la Californie est beaucoup trop économiquement importante, bien davantage que la Grèce pour l’Eurozone.

Mais ses manières avenantes ne l’empêchent pas de comparer les banksters à des terroristes bien plus dangereux que les Indignés jetant des pierres ou d’autres projectiles. C’est pourquoi il préconise la nationalisation des banques grecques afin, aussi, de soutenir la libre entreprise utile au redressement de son pays. Comparant la Grèce à une branche sur laquelle l’Europe est assise, il met en garde cependant : les risques politiques seraient aussi considérables.