Brejnev était le Premier Journaliste de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (avec des capitales partout, cela le fait mieux). Jean-Luc Mélenchon est en passe de devenir le Premier Analyste des Médias de France (voire au-delà…). Brejnev faisait diffuser ses bouquins dans les écoles, Méluche a son blogue, très fréquenté. Les médias l’y aident bien. Il le sait, en joue, voire en jouit. « Le taisez-vous, Pujadas » doit lui brûler les lèvres (pour mémoire, ainsi Georges Marchais interpellait Elkabbach). Soit.
Allez, fautes d’accord, de syntaxe et autres (rares quand même dans son très long plaidoyer pro domo) incluses, je me lance derrière Jean-Luc Mélenchon sans filet. Son dernier « Le 5 mai, j’ai mon mur de cons dans la tête » manquait d’un figurant de mieux, ou pire, à épingler, je me dévoue.
Il y aurait pourtant pas mal de choses à dire, assez peu à redire, de ses attaques visant celles et ceux qu’il nomme à présent « les solfériniens », et on pourrait reparler de Jean Poperen, mais, finalement, n’est-ce pas de sa part plutôt un prétexte ? Soit d’une part prendre l’actualité pour occasion d’appeler à la manif du 5 mai (pourquoi pas ?) et de préciser l’heure du début de la marche (13 heures 30). Coup de balai, d’accord, mais quoi, précisément, après ? Le large, soit l’intensification de l’exploitation des ressources maritimes ? D’accord, mais comment, là, très, très concrètement ? S’il ne s’agit que d’obtenir des journalistes qu’ils publient leurs ressources, eh bien, parfait, la feuille d’impôt pré-remplie que je viens de recevoir récapitule 6 184 euros de revenus plus environ – heureusement – 2 600 et quelques provenant d’éconocroques qui s’amenuisent d’année en année. Bref, moins de 9 000 euros.
De savoir que c’est dix ou cent fois moins que les consœurs ou confrères du tout devant de la scène, peu me chaut, mais tout à fait d’accord, cela ne serait pas tout à fait inutile pour les pigistes qui forment leurs petites mains, parfois pour pas grand’ chose de plus que ce que « j’amasse », de savoir ce dont il en retourne. Pour nombre d’électeurs ou sympathisantes de Mélenchon, qui applaudissent des footballeurs de première division, bah, je crains que la révélation des revenus des animateurs présentés tels des journalistes forme vraiment matière à réflexion. J’espère me tromper. Si on l’accepte de footballeurs, pourquoi pas d’amuseurs et d’ambiançeuses ?
Prétextes, ces premiers paragraphes, pour entrer dans le vif du sujet, soit 12 (oui, douze) paragraphes sur le thème de « DPDA : des révélations et des décryptages inédits » ? Soit moi Méluche et David Pujadas et Nathalie Saint-Cricq lors de « Des paroles et des actes » et ce qui s’ensuivit dans les pages du Nouvel Obs’.
Inédit, mon cul, aurait dit Zazie, sur le fond. Car personne, pas même lui-même depuis qu’il alimente la machine, n’a attendu Méluche pour comprendre comment se déroule ce type d’émission. Il s’agit bien d’un spectacle pugilistique. Ce n’est pas ce qu’affectionne uniquement Mélenchon, puisqu’on le retrouve, sachant qu’il ne ressortira rien de ce qu’il ait pu dire, dans la page du gueuleton de L’Expansion (avec pour personnage à mettre en valeur, Éric Libiot, accessoirement le restaurant La Bulle, du dixième arrondissement de Paris ou crèche l’invité). Mais Battling Joe Méluche cherche à faire de l’audience. Ben, tonton, si tu veux en faire, reprends le tour de France des rédactions de la presse régionale, tu en feras tout autant. Leur lectorat cumulé, du fait de leur circulation, vaut bien celle de ces émissions : trois millions de téléspectateurs, c’est beaucoup moins que les lecteurs d’une page toutes éditions de Ouest-France.
Oui, mais, cela ne permet pas de se faire malmener par Libération ou le Nouvel Obs’, et d’en faire tout un tintouin. Saint-Cricq a raison, l’émission a bien marché, mais cela « ne veut pas dire qu’ils adhèrent à ses idées ». Je confirme, et pour cause : Mélenchon sait fort bien d’avance que ce n’est pas le lieu pour exposer des idées. Après, il fait semblant, du moins à ce qu’il me paraît, de s’en étonner.
Voilà que Méluche s’offusque qu’on lui prête qu’il tonne et « éructe ». Pas autant que Marat ou Hébert, quand même ? Cela se serait constaté. « Mesure-t-on la violence du procédé ? ». Euh, non, franchement, et en retour, le très calculé « Messieurs les censeurs, bonsoir ! » de Maurice Clavel va finir par passer pour de la violence effrénée. Alors qu’il ne s’agissait sans doute que d’obtenir que les chroniqueurs du lendemain s’en gargarisent.
« M’extrémiser, voilà l’affaire ». Pour éviter qu’à l’heure où craquera la stabilité sociale, le réflexe de peur des extrémismes joue à fond. On y croit très fort, à l’extrémisation de Mélenchon. Voyez comme on me pousse à bout, et pourtant, je tiens, prêt à donner ma personne pour rétablir la stabilité sociale. C’est à peu près ce que développe – longuement – le ténor du Parti de Gauche. Miracle, Super Méluche va dompter la lutte des classes, en faire un combat de bon goût, entre gens bien élevés. Est-ce bien cela qu’il faut comprendre ?
Là, quand on le diabolise, c’est comme quand on le dédiabolise, l’œuvre « des PS patentés » qui sont « d’abord des professionnels du spectacle ». Pas que PS patentés, d’ailleurs, ou alors à vestes et impairs réversibles. Mais peu importe. Ce qui le devient, important, c’est que « la fabrication pure et simple » de Mélenchon par lui-même finit par transparaître autant que celle du miroir truqué qu’il dénonce, et dont il n’est guère le premier à gratter le tain.
La « bête épuisée par la corrida », qui n’a eu droit qu’à deux verres d’eau en 150 minutes (que n’aurait-il dit si on l’avait contraint à se retenir d’aller pisser, comme au temps des interrogatoires britanniques de la dernière), s’en sort toujours la queue en avant, munie de ses deux oreilles, et sous vos applaudissements, jusqu’à la prochaine arène.
Horace face aux Curiace en plein pancrace. Mais qui donc confère cette dimension épique a ce qui n’est conçu, dès le départ, que tel un divertissement ? Qui donc se fait, par avance et par après, taureau face aux quadrilles ? Qui donc réduit toute sa présence à cela « à mon désespoir d’intellectuel consterné (…) mais à ma vive satisfaction de lutteur » ?
Après le changement de spectacle, et un lutteur qui envoie Cahuzac ou Valls ou Montebourg, ou… au suivant, au suivant, comme dans les radios-crochets ou les jeux à éliminatoires, le spectacle du changement à venir, avec une marche pour lever de rideau ?
Franchement, à quoi bon refaire le match ? Frigide Barjot pleure en direct, Méluche s’apitoie en troisième mi-temps.
« M’importe ceux qui apprennent d’une émission à l’autre. Ils apprennent non seulement nos raisonnements mais à déconstruire la technique du système médiatique. Je ne m’en suis jamais caché, si le message c’est le médium selon la formule de Mac Luhan, détruire le médium, c’est-à-dire sa crédibilité, fait partie du message et de sa pédagogie. ». Mais qui apprennent quoi, au juste, à prendre en mains leur destin eux-mêmes ou à applaudir l’artiste ?
« La défense de caste des médiacrates par les médiacrates joue intégralement pour notre cause », poursuit-il. Quel formidable enjeu ! Bon sang, mais c’est bien sûr, les connivences et les techniques de la corporation nous étaient formidablement obscures, il faudra bien encore une bonne dizaine d’émissions de ce genre pour nous déciller les yeux. En fait, les masses recherchées regardent plutôt des DVD, ou lisent (eh oui, et pas forcément ces titres qui accaparent toute l’attention de Mélenchon), ou vont au bistrot (si c’est encore accessible, financièrement), ou se contrefichent en tout cas des combats médiatiques.
Six moyens ou tout petits paragraphes pour vanter le rendez-vous du 5 mai à la Bastille (rappelez-vous, avant 14 heures), pour dire et redire que « les solfériniens » font du Jospin ou du Mitterrand, que les syndicalistes de la magistrature pourront être librement gouailleurs dès le 6 mai, le lendemain, que le désarroi des électeurs de François Hollande profitera à l’extrême-droite, mais que, justement, la marche sera le rempart contre les extrémismes (ceux à gauche du Front de Gauche aussi ?). Puis 12 longs paragraphes, dont le moindre couvre une dizaine de lignes, pour taper sur Pujadas (à force, je vois à peu près de qui il peut s’agir) et d’une certaine Saint-Cricq, de sa fréquentation de Mélenchon depuis deux décennies, d’une histoire d’images prises à l’insu de l’intéressé, et débiter des anecdotes qu’on est prié de croire hautement significatives.
Je ne tiens souvent que pour mascarade l’analyse quantitative, mais, parfois, sa pertinence se passe de commentaire.
La « manipulation réciproque » ne risque-t-elle pas de tourner au désavantage des deux parties en présence, soit Hector-Mélenchon cette fois victorieux autant les Achéens tous faiblards de la cheville et du talon, tel Achille ?
Une commentatrice, Lucide Rule, se démarque de celles et ceux qui applaudissent (heureusement, il en est à s’intéresser un peu aussi à la mer, ses ressources, bref, à tout autre chose qu’au spectacle), ou donnent des conseils pour mieux prendre les médiacrates à leur propre jeu. Elle énonce : « Peut-être s’agirait-il d’envisager de ne plus répondre aux provocs journaleuses sinon par une exigence de ne décider que de parler du fond et rien que du fond. ». Oui, mais, alors, Mélenchon le sait bien, adieu les émissions à larges audiences.
Plus cela perdure, et plus la différence entre un Morandini du « ne zappez pas » et un Mélenchon du « ne me zappez pas » s’amenuise. Mélenchon voudrait-il nous scotcher à la télé ? On va finir par se le demander.
Certes, il a une marche à réussir (espérons qu’elle ne va pas trop pomper les fonds du Parti communiste, qui ne place pas assez de merguez lors d’une telle occasion). Je veux bien le concevoir et même admettre que des communiqués passés par des militantes ou militants, fussent-ils régionalement connus, dans les presses locales, n’ont pas la même efficacité.
Un commentateur sous pseudonyme incite à poursuivre : « Continuez d’user d’humour avec ces gens ils ne valent pas la peine qu’on s’énerve tellement ils sont petits ! Tout le monde le voit. ». Ben, si c’est vu d’avance, quel intérêt d’enfoncer le clou sans cesse ?
Au lieu de nous parler de ses prestations, peut-être Mélenchon gagnerait-il à nous détailler la stratégie d’alliance avec les centristes que souhaitent certaines et d’autres au PS.
Mais, mais, mais… je me gausse, je me gausse, car à ne parler pratiquement que de lui-même sur son blogue, Mélenchon m’entraîne sur un terrain subsidiaire alors qu’il a vraiment des choses à dire sur la presse et les médias.
Mais cela, il le divulgue tout autrement dans L’Humanité, là où il ne peut s’en prendre à tous les journalistes en bloc, sans faire le détail, car il risquerait d’entrer dans un débat dans lequel les petites phrases ne suffiraient pas à mettre les rieurs ou convaincus d’avance de son côté.
« Je suis critique à l’égard du système médiatique. Cela ne met en cause ni les personnes ni les titres par eux-mêmes », modère-t-il. Il poursuit : « la domestication des professionnels des médias est très avancée. Il faut dire qu’elle repose sur un moyen de pression colossal : la précarité généralisée dans laquelle vivent les journalistes de terrain. Dans ce paysage des médias, des professionnels résistent. ». De plus, toutes celles et ceux chargées de faire de l’audimat sont sur des sièges éjectables. Même chose d’ailleurs dans la presse écrite, ou le terrain est obligé de fournir ce qui plait le mieux au service des ventes (ce sans déplaire à celui de la pub).
Cela touche même les autrefois très respectés journaux suisses, comme ceux du groupe Tamedia (qui les a repris pour partie à Edipresse). Le groupe veut atteindre un objectif de 15 % de marge bénéficiaire, pour pouvoir rémunérer comme ils l’entendent ses actionnaires. Basé à Zurich, le groupe exige 17 millions d’économie de ses éditions romandes (francophones). Par la réduction de la pagination, mais aussi du nombre d’emplois. En face, les journalistes suggéraient une division par deux des dividendes. Ce fut très nettement refusé, parmi les rires étouffés des investisseurs.
Le Temps, journal « de référence », réduit la voilure, en commençant par la rubrique culturelle. Et puis, on remplacera des permanents par des pigistes. Le petit Le Courrier espère survivre. Pari dur à tenir. On y trouve par exemple un éclairant entretien avec John Christensen, du Tax Justice Network, sur les répercussions de l’affaire Cahuzac.
Mélenchon critique sévèrement les médias dominants, mais ne semble guère s’intéresser (hormis, bien sûr, L’Humanité) à ceux qui trouvent grâce à ses yeux, au point qu’il semblerait mettre tout le monde dans le même sac. On ne le voit pas non plus trop enthousiaste pour se frotter à Mediapart qui compte pourtant (il suffit de lire les commentaires de presque tous les articles politiques) nombre de ses partisans parmi ses blogueurs et abonnées. Ni accorder beaucoup d’attention à, par exemple, Politis. Ou encore à ces multiples titres des provinces, pays ou régions, alternatifs ou différents. C’est pourtant sur DijonScope, par exemple, que ses sympathisants s’expriment le mieux (parfois en le critiquant sur la forme), relaient l’appel à la marche du 5, &c.
Que dit Saint-Cricq dans La Nouvelle République ? « Il hurle pour qu’on parle du fond tout en faisant des numéros sans arrêt. Il est devenu une sorte de people, entre la politique et le show man. Il est flatté quand il va à la télé, il adore ça, c’est un tribun et par moments, c’est un clown, ce que je ne lui ai pas dit, jeudi, parce que Cahuzac avait déjà employé ce terme pour le qualifier. ».
Elle est peut-être de mauvaise foi, ou obligée de défendre sa boutique, son fauteuil, mais plus Mélenchon en rajoute, plus elle devient crédible aux yeux et oreilles de qui porte un regard critique sur le cirque médiatique (général, car, en particulier, justement, ce « qui », s’il n’y est pas tenu, comme par exemple Schneidermann, d’Arrêt sur images, se passe fort bien de regarder encore l’étrange lucarne lors des pseudo-débats politiques). C’est injuste ? C’est superficiel ? On préfère bien sûr le « clown » au très sobre et très sérieux Cahuzac.
Mais même les comiques tentent de se renouveler. Enfin, pas tous. Mélenchon aussi répétitif que Dieudonné, tirant toujours les mêmes ficelles (je ne parle que du style, bien évidemment, aucune comparaison sur le fond), cela peut commencer à sérieusement lasser. S’il a des réflexions sur le système médiatique, qu’il ne les réserve pas qu’à L’Humanité. Son blogue peut fort bien les approfondir. Mais là, pour le moment, nous restons sur notre faim.
P.-S. – encore une fois, il n’y a pas de mauvaise publicité tant que… j’espère ne pas avoir commis de coquille pour « Méluche » et « Mélenchon ».
Pas toujours d’accord avec Bruno Roger Petit (voir le début sur Le Plus), mais sa conclusion est plutôt bien vue (et donne le score en faveur de Mélenchon) :
« [i]DPDA est une émission ontologiquement « de droite » en ce que la question du [/i] »vivre ensemble », [i]la question centrale du politique, est évacuée parce que considérée implicitement comme réglée : le « vivre ensemble » ne peut se concevoir que dans le cadre d’une économie libérale, dans un monde conservateur triomphant, aux contours aussi immuables et figés que le cadre de l’émission.
Comme le disait Mitterrand[/i] « la forme rejoint toujours le fond ». [i]Si DPDA est une émission figée, c’est qu’elle est conçue comme le reflet d’un monde figé dont elle finalement tout à la fois le produit et l’incarnation. C’est en ce sens que Mélenchon, qui refuse ce monde obligé, cette contrainte de fond et de forme, ne peut qu’exploser DPDA, pur produit de l’univers de la domination économique, sociale et sociétale des élites dirigeantes d’aujourd’hui. Mélenchon tue DPDA parce qu’il est dans la discussion, la contestation, la rébellion.
Voilà pourquoi Pujadas semblait avoir tant peur de Mélenchon tout au long de l’émission. Parce qu’il sentait que le dispositif de DPDA, les séquences, les questions, tout ce barnum télévisuel était dévoilé, démasqué, dénoncé par le leader du Front de gauche. Parce que DPDA était mise à nue pour ce qu’elle est, ontologiquement : une émission de droite, conservatrice, libérale, reflet d’une domination de classe, culturelle, sociale et politique qui ne dit pas son nom, et dont son présentateur, Pujadas, est le héraut et le metteur en scène.[/i] »
Pas sûr en revanche qu’il ait fallu attendre Mélenchon pour s’en apercevoir.
Ca n’est même plus Melonchon (comme on disait parallèlement Melontebourg) , c’est champsdemelonschon. Et des gros
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