Nième article sur le devenir de la presse papier ou en ligne d’informations « générales ». La Tribune n’est pas tout un généraliste (comme France-Soir) puisqu’il s’agit d’un quotidien « boursier, économique et financier » désormais accessible uniquement en ligne. Avec un modèle économique fondé sur l’abonnement à « prix populaire » ou l’accès à la demande via Cleeng. Petit aperçu de ce que pourrait être la « presse cling-cling ».

Une très  récente étude sur les recettes de la presse quotidienne américaine, portant sur un nombre suffisant de titres, révélait que les recettes de ce type de presse provenait encore à 93 % de la vente (prix+pubs) des éditions imprimées. Pour que l’édition en ligne puisse vraiment rapporter, en accès gratuit, il faut que l’annonceur puisse être sûr de très bien cibler celles et ceux à qui il s’adresserait.

Ce qui signifie que, comme Facebook, les titres d’information puissent recueillir des données sur leur lectorat. Ce n’était pas tout à fait le modèle envisagé pour The Times. On remarquera d’ailleurs depuis que l’accès au site du Times est réservé à ses seuls abonnés, le quotidien britannique ne semble plus être tout à fait celui « de référence » : il est largement moins repris et cité qu’auparavant.

Cela peut tenir aussi à la qualité informative que le Times se targuait justement de renforcer en créant ainsi, par rapport à sa concurrence (Guardian, Independent, Telegraph…), de nouvelles recettes à consacrer partiellement à l’investigation et à des dossiers de fond.
On n’a pas vu grand’ chose venir. En revanche, il a pu être considéré que des gens consacrant de deux à six livres sterling par semaine pour lire le Times devaient constituer une cible plus attrayante par les annonceurs. Peut-être si les abonnés acceptent de recevoir des annonces par courriel, pas sûr si on en juge par les publicités en ligne, plutôt rares.

L’accès payant modulé

Nous avons deux-trois types d’accès payant. Le modèle DijonScope ou Mediapart, relativement similaire à celui du Times : on s’abonne, ou on ne voit que des « accroches » (titraille, chapeau, quelques lignes). Le modèle mixte est pratiquement celui de toute la presse nationale française, soit l’accès gratuit pour la majorité du contenu, celui aux archives ou à des articles ou dossiers réservés (aux abonnés notamment) étant réservé ou payant « à la demande » (cas de l’achat d’une archive à l’unité). Il y  a aussi bien sûr le modèle des sites très spécialisés (revues scientifiques par exemple) qui ne permet pas de dépasser une panne d’accueil sans avoir souscrit à l’année.
Ce dernier modèle est un peu celui des « feuilles » et « bulletins » dits confidentiels de naguère. Pour obtenir de l’information boursière, économique ou stratégique (notamment en matière de défense), des entreprises, de riches particuliers consentaient à payer cher des informations censées ne pas se retrouver ailleurs.

 

La Tribune innove un peu en ce sens qu’elle propose désormais un système mixte nouveau. Il est toujours possible de s’abonner (de 10 à 15 € du mois), mais, pour consulter un article à la demande, c’est un agrégateur qui est mobilisé, Cleeng. Cette société propose de s’abonner, gratuitement, puis d’abonder une réserve d’achat(s) pour avoir accès à x titres (ici publications, aussi) qu’elle fédère. Ainsi, si Mediapart ou DijonScope rejoignait Cleeng, on pourrait dans la même journée, consulter intégralement un ou plus de leurs articles, ainsi que d’autres de La Tribune, pour un prix relativement modique, fixé par ces diverses publications.

Cela permet par exemple de se faire une revue de presse immédiatement, sans souscrire à ce spécialiste du genre, L’Argus de la presse, qui fouille tant les supports imprimés qu’en ligne pour détecter puis vous communiquer ce que vous cherchez.

J’envisage un incertain, mais plutôt florissant, avenir pour cette formule. Car elle pourrait s’étendre à des sites qui conserveront le modèle « tout pub » (accès gratuit illimité) mais qui pourraient, pour des thématiques intéressant vraiment le visiteur, proposer contre rétribution une recherche et le téléchargement de tous les articles ou dossiers s’y rapportant.

Les fauchés et les autres

Personne, avant longtemps, à moins que l’information en ligne passe au « presque tout » payant, ne va vouloir consacrer un petit budget, si minime soit-il, pour accéder à Doctissimo ou Au féminin. Ces titres, comme Marianne2 ou même l’Huffington, mélangent un contenu rédactionnel proposé par une rédaction rétribuée, et un autre, qui est le fait, comme sur Come4News, de bénévoles ou semi-bénévoles (chaque article sur C4N donne lieu à une rétribution d’un euro).

Les fauchés vraiment fauchés de chez Mouise, même s’ils sont très intéressés par un sujet particulier, par exemple qui les toucherait de près (santé, hobby, centre d’intérêt très spécifique), continueront certainement à se livrer à des recherches via des moteurs et des requêtes pour ne ramasser que ce qui les intéresse, gratuitement. Mais ils pourraient être, à l’occasion, quand même tentés de consulter un article payant, à très bas prix. D’autres, aux faibles ressources, mais vraiment en recherches d’informations fiables, pourraient consentir à payer pour que la fastidieuse tâche de la collecte soit dévolue, contre faible rétribution, à un site tel Cleeng.
Clic-clic et cling-cling pour les fournisseurs de contenus.

Cela pourrait notamment intéresser des étudiants qui, sauf à se rendre en bibliothèque ou, pour les plus avancés (jeunes chercheurs) disposent des codes d’accès de leurs laboratoires, ne peuvent guère accéder aux revues très spécialisées ou à des contenus fiables, mais payants.

 

Cela pourrait aussi intéresser des sites comme celui de France-Soir, devenu « pure player », dont même les archives restent pour le moment accessibles gratuitement, et dont, au vu de la faiblesse des annonces, le devenir semble pour le moins incertain. Hormis les turfistes, qui s’abonnerait en ce moment à France-Soir tant que l’accès au Parisien-Aujourd’hui en France reste intégralement gratuit.

L’autre presse spécialisée

Encore aujourd’hui, une masse de titres professionnels ou très spécialisés n’est vendue que via des abonnements d’entreprises (ou aussi, de comités d’entreprises). Vendre en kiosque n’est pas viable du tout pour ces titres. Ils sont pourtant nombreux (une demi-douzaine pour ceux traitant du secteur de l’imprimerie, notamment grandes laizes, soit sur de larges et très larges supports, et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres).
Là encore, un site « agrégatif » tel que Cleeng pourrait leur valoir des achats ponctuels à la demande.

 

Ce qui semble sûr, c’est que la période du tout gratuit semble en voie de dépérissement progressif, hormis pour les sites de bénévoles ou ceux pouvant vraiment attirer de la publicité (ou vendre leurs clients sous forme de bases de données). Des sites tels que Cleeng devraient aussi faire évoluer les habitudes de lecture (les infos télévisuelles souffrent de la concurrence de celles diffusées sur des téléphones portables, ou via les tablettes, la tendance semble s’accentuer), et donc de consommation de l’information.

 

Mais la tension entre la « gratuité » et le rétribué subsistera. On peut tenter une comparaison entre la fourniture collaborative d’information et le logiciel libre. Le libre est déjà sorti du domaine des services (la fourniture d’un graticiel peut être assimilée à un service) pour aborder celui de la distribution de biens (notamment des circuits imprimés fabriqués à faible coût) dont la recherche et le développement ont été le fait de bénévoles.
Pour la presse, dont nombre de contenus sont issus de dossiers et de conférences de presse dont le traitement est déjà ou pourrait être plus largement accessible à des « sachants » non journalistes, la concurrence du libre évolue aussi. Certains titres n’emploient plus qu’un seul ou deux journalistes, tous les contenus étant fournis par des pigistes qui sont aussi des professionnels dans leurs domaines respectifs, dont certains ont aussi parallèlement des activités bénévoles de diffusion de leurs savoirs.

 

On verra si la progression du payant profitera ou non à la fréquentation de sites tels Slate, AgoraVox, Owni, Newsring, Quoi ?, ou encore Come4News. De même, alors que Le Monde a lâché Le Post au Huffington, on surveillera le devenir de Le Plus (Nouvel Ob’s et Rue89). La survie de Bakchich.info, qui publie entre deux et six articles par jour, passera-t-elle par le payant ou le collaboratif ? Certains sont des « danseuses » (bénéficiant d’un mécénat), d’autres pas, certains sont subventionnés, d’autres pas.

 

On verra ce qu’il en adviendra. Pour le moment, l’enquête de Télérama sur les pure players ne sent pas trop déjà le sapin.
Elle ne date que de novembre dernier et mentionne Le Pariser, l’un des derniers venus, qui, en dépit de quelques bonnes signatures, semble déjà s’essouffler – moindre fréquence de parutions – et dont la valeur ajoutée informative n’est flagrante qu’épisodiquement.

À mon humble avis, pifométrique, je parie qu’en novembre 2012, soit d’une année sur l’autre, les montées en puissance du payant et de formules mixtes auront bouleversé le paysage. En matière de publication en ligne, la gestion est parfois lente, mais les revirements vifs.
En tout cas, ignoré de toutes les enquêtes de ce type, snobé par Wikipedia (pages supprimées trois ou quatre fois de suite), très peu à présent mentionné dans la presse (en ligne et encore moins autre), Come4News progresse très notablement ces derniers mois.
Revenez nous voir dans un an, on refera le point… nous serons toujours là.