Avec déjà 14 articles en ligne sur l’affaire Takieddine, Mediapart va peut-être – enfin – obtenir quelque écho de ses confrères hors du cercle des amis. Tout comme dans l’affaire de la succession Wildenstein, qui empoisonne aussi l’Élysée : cherchez la femme. À la veuve Wildenstein correspond l’ex-épouse Takieddine. Cette dernière, Nicola Johnson, ayant réussi à ce qu’une juge, Myriam Cadart, et Renaud Van Ruymbeke, soient rentrés en lice, il se pourrait que la frilosité des médias à l’égard des révélations de Mediapart ne puisse plus se réfugier derrière divers prétextes. 

La juge aux affaires familiales Myriam Cadart a bloqué avoirs et biens de Ziad Takieddine, confortant ainsi l’ex-épouse de ce dernier, Nicola Johnson, qui réclame le divorce.
Pour sa part, le juge Van Ruymbeke a demandé une audition de la plaignante « dans l’enquête sur les commissions perçues sur des marchés d’armement » dans le cadre du Karachigate. Elle devrait être entendue demain mardi par la DNIF (affaires financières) de Nanterre.
En attendant, les biens communs de Ziad Takieddine et de Nicola Johnson, enfin, ceux connus et répertoriés en France, ne peuvent être dispersés.

Cela se rapporte à divers immeubles à Paris, Antibes et Londres, mais aussi Beyrouth. Des sociétés hors-sol,dont le siège est parfois dans des paradis fiscaux, ont été rendus destinataires de l’ordonnance.
Son ex-épouse évalue l’ensemble des biens et avoirs à plus de 104 millions d’euros, dont 40 pour l’immobilier situé en France. Me Bourdon, pour N. Johnson, a estimé que la partie adverse avait élaboré un système très complexe « pour cacher ses revenus et ses actifs réels aux autorités françaises ».

Ne pas confondre les autorités françaises (le fisc) et des ministres ou cadres politiques UMP qui, semble-t-il, n’ignoraient rien de la fastueuse aisance dont faisait preuve celui qui passe soit pour leur obligé, soit pour leur partenaire financier privilégié.

Mediapart publie une nouvelle photo du couple Takieddine en compagnie des époux Hortefeux et Copé. Ces dames entretiennent leur ligne, il est suggéré que ces messieurs aient pu franchir celle de la légalité. Une autre photo, créditée Mediapart, peut-être issue de l’album familial de Nicola Johnson, montre Takieddine sur son yatch en compagnie de Thierry Gaubert et Dominique Desseigne, proches de l’UMP et de Nicolas Sarkozy. Mais il est aussi question d’Adbdallah Senoussi, chef des services secrets libyens, et d’Étienne Mougeotte (actuellement dirigeant du Figaro).

Conclusion de Mediapart : «  Nous rendrons publics, ces prochains jours, l’ensemble des documents en notre possession sur ce secret d’État : les contrats, les courriers des industriels et de l’office d’armement, ainsi que les preuves des paiements reçus par M. Takieddine. ». C’est prudemment énoncé. Est visé en premier chef l’ancien ministre du Budget et de l’Intérieur, actuel chef de l’État, Nicolas Sarkozy.

 

Mediapart titrait déjà le 4 août : « Les documents Takieddine ou la sale vérité du sarkozysme ».
Extrait : « Ayant pour fil conducteur l’argent noir des ventes d’armes, cette documentation sans précédent dans l’histoire de la République met à nu un système dont l’intérêt financier est le seul mobile, au détriment des lois en vigueur et de la morale publique. ».

 

Cette fois, outre Libération qui avait fait état de l’enquête, Le Monde, Le Figaro et Le Point répercutent les dernières informations. L’AFP ayant repris, mais aussi Reuters, sur leurs divers fils en langues variées, plus question de trop minorer. Remarque d’Arrêt sur images : « Il est néanmoins intéressant, et significatif, qu’il faille attendre une décision judiciaire, bien que (apparemment) sans rapport avec le fond du dossier, pour que l’AFP et Reuters reviennent sur les diverses informations accumulées par Mediapart durant l’été sur l’homme soupçonné d’être au cœur du financement illégal de la campagne d’Edouard Balladur en 1995. ».
Reuters précise crument : « Une mission d’information parlementaire et des éléments des procédures judiciaires publiées dans la presse ont désigné Ziad Takieddine comme l’intermédiaire par lequel sont passés 33 millions d’euros de commissions occultes dans le contrat des sous-marins et 200 millions en marge du contrat saoudien (…)
Les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire pensent que cet argent a pu revenir en partie financer la campagne Balladur, qui a utilisé, la police l’a démontré, d’importantes sommes en espèces. Aucune preuve n’a été mise au jour pour l’instant. ».

L’agence ne se réfugie derrière les sources de Mediapart que pour le volet Total (et libyen, donc) des transactions Takieddine. L’AFP est beaucoup plus laconique.
C’est bien sûr Le Figaro qui la reprend telle, Le Point et Le Monde opérant une synthèse entre les deux dépêches, s’appuyant aussi sur des passages de l’article de Mediapart.

 

Bah, qui lit encore la presse écrite ?
Avant qu’il soit fait état de ces informations au cours des journaux télévisés, beaucoup d’articles de Mediapart « couleront » encore sur la Toile. Mais c’est un début. Le 23 août, La Tribune avait titré : « Les lauriers français de la campagne libyenne ». Sans aucune allusion aux déclarations de Saif Kadhafi sur les financements par sa famille de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy, avec une forte pondération, mais le lectorat de La Tribune sait lire entre les lignes. Mais l’espagnol Publico, lui, fait clairement le rapprochement, glissant le rappel des propos de Seif al-Islam Kadhafi entre deux paragraphes résumant les affaires Takieddine.

Publico s’intéresse aussi de près à Alexandre Djouhri, rival de Takieddine, proche de Dominique Strauss-Kahn, qui accompagnait Dominique de Villepin à Djerba lors de contacts avec le clan Kadhafi voici peu. Djouhri est aussi qualifié de trafiquant d’armes et d’influences et Publico révèle que par deux fois, les réseaux de DSK sont intervenus auprès des médias pour « censurer des articles le visant »

Bref, c’est un sac de nœuds et le « retour sur investissement » attendu par Alain Juppé de la victoire des rebelles et insurgés libyens (enfin, ceux proches du Conseil national transitoire) risque d’être faible, mais assorti aussi de retours de bâton. Pour les bomberos oscuros de la diplomacia francesa en Libia (les pompiers, ou incendiaires de l’ombre, c’est selon, de la diplomatie française en Libye), l’avenir risque de sentir aussi le roussi.