Ou plutôt « media analysis », sauce libyenne. Alors que les diverses brigades « révolutionnaires » semblent avoir été repoussées lors de la première phase de l’« assaut final » contre Syrte, hier vendredi 7 octobre, petit retour sur cet épisode du conflit libyen, à la mode médialogique sauvage…

L’avez-vous remarqué ? Les loyalistes et autres membres des « forces kadhafistes » combattantes n’ont pas de visage. Si, de temps à autre, un « mercenaire noir » est montré, produit rapidement à la presse internationale. Libye, terre de contrastes, où tous les révolutionnaires sont médecins, techniciens, ingénieurs, et arborent de multiples, voire innombrables grands sourires tandis que les ingénieurs, techniciens, médecins loyalistes n’ont que la face devenue austère d’Ibrahim Moussa, s’exprimant (dernière apparition, le 1 oct., sur Arrai TV) depuis on ne sait trop où. Ibrahim Moussa vante aussi ses combattants issus de la bonne société civile, celle où aucun Libyen ne travaillait dans le bâtiment s’il n’était au moins ingénieur (même les chefs de travaux étaient des étrangers).

Cela s’explique bien sûr par le fait que la presse occidentale n’est plus vraiment la bienvenue dans les derniers fiefs kadhafistes et que les combattants loyalistes n’ont guère envie de fournir des images en gros plan qui pourraient finir placardées sur des avis de recherche… Mais quand même : depuis le début de la guerre civile libyenne (expression à présent parfois employée), le contraste est frappant.

Mais où sont donc armée et marine ?

La médialogie (ou médiologie) correspond à la discipline anglo-saxonne de l’analyse des médias (à ne pas confondre avec la mediology danoise qui est une approche technique, multisupports, de la diffusion d’informations).

La médialogie sauvage, branche mineure, dont je me targue d’être un petit « expert » après m’être livré à l’analyse des médias britanniques un certain temps universitaire (et autre), ne correspond à rien.

Elle pointe simplement ce que l’analyse des médias, à grands renforts de statistiques, de compilation de récurrences, et d’entretiens non directifs, finit ou non par traiter. Mais la branche sauvageonne s’intéresse aussi à ce qui n’apparait pas, ou très peu.

Ainsi, où sont donc les photos et vidéos de la marine libyenne, des bâtiments réfugiés dans le port de Benghazi ? Où sont donc ces matelots, quartiers, seconds et premiers maîtres, officiers de bord, qui posaient ravis devant leurs bâtiments ? Ne sont-ils pas, comme leurs anciens camarades restés du mauvais côté un temps, au large de Syrte à bombarder le centre des congrès et les bâtiments universitaires.

Mais, oui, enfin : le ministère de la Défense français indique que la Royale, la marine de guerre française, a tiré 3 000 obus jusqu’à début octobre. Sur quoi au juste ? On ne sait. Avec quelle précision ? On ne saura. Mais il faut croire que, même à présent, alors que tous les ports sont aux mains du Conseil national transitoire, la marine libyenne joue toujours l’Arlésienne.

Et l’armée de Benghazi ? Où sont donc passés ces généraux, ces colonels, ces officiers subalternes, gradés et cadres et hommes de troupe qu’on nous présentait aux débuts du conflit ? Ils ne doivent pas disposer d’officiers de relations publiques. À l’inverse des commandants des brigades « civiles », ils restent modestes, discrets. La dernière fois que j’ai pu voir un officier en uniforme, c’était du côté du Djebel Nefoussa : il venait de Tunisie, semblait-il, et allait repartir dans la soirée, après s’être confié à Al-Jazeera.

Presse « aux armées »

Le rôle d’officier traitant de la presse occidentale semble être désormais tenu par Matthew Van Dyke, 32 ans, volontaire étasunien, un temps détenu dans une prison tripolitaine. Il est à peu près partout. Il appartiendrait à la brigade Ali Hassan Jaber et serait le servant d’une mitrailleuse lourde russe, une Douchka (Dushka), montée sur un 4×4. « Il guide les journalistes lors de tournées des postes des plus lourds combats. » (Reuters). Il est bizarrement toujours pris en photo, souriant, avec en arrière-plan le désert, alors même qu’il est supposé se battre farouchement « au centre-ville », au « cœur » de Syrte.

Cela fait diverses fois, et pas plus tard qu’hier (voir « Libye : Syrte, l’assaut initial »), que je m’interroge sur la perception, par la presse occidentale, du cœur de ville des localités libyennes. J’ai déjà constaté que la distance, par rapport à Tripoli, de localités libyennes, pouvait varier de trente à soixante kilomètres; pour les mêmes, en quelques heures ou jours. La réception, elle, passe très bien. On y croit, à ces distances fantisistes.

Là, pour Syrte, il semble bien que l’assaut d’hier vendredi ait été repoussé aux mêmes endroits, soit le centre des congrès, l’université et l’hôpital, que précédemment. Hormis The Guardian, qui reproduisait une carte Google, presque tout le monde les situe, apparemment, très proches de la principale mosquée historique de Syrte. Il en est un peu de même pour les chiffres. Ceux des civils restant à Syrte, ceux des combattants loyalistes (environ 780, aux plus récentes nouvelles, dont près de 200 blessés). Les variations démographiques, à Syrte, évoquent un soufflet d’accordéon.

En tout cas, pas d’armée régulière apparente (je souligne : ostensible) aux abords de Syrte. Mais il est dit par ailleurs que des bataillons féminins sont formés à Benghazi, que l’armée recrute et instruit à Benghazi. Sans doute en vue de désarmer par la suite les combattants « révolutionnaires ». Pas vraiment pour empêcher, dès à présent, les pilleurs armés, dont il est incidemment fait état, sans trop insister, de nuire. Ni pour prendre le contrôle des centres de détention des « mercenaires noirs » (qui peuvent être tout Noir libyen « souchien », de Tawargha par exemple, ou l’un de ces Mauritaniens, naturalisés quand même d’assez longue date).

Werrity, Jalal al-Dighely

La médialogie pose la question : « Quelle est donc la vérité sur Werrity ? ». Sa branche mineure se demande : « Mais qui est donc Jalal al-Digheily ? ». Le premier, Adam Werrity, ancien colocataire et témoin de mariage de Liam Fox, ministre de la Défense britannique, serait de presque tous les voyages de son ami, membre du gouvernement de sa Gracieuse Majesté. Il aurait en poche des cartes de visite faisant état de sa qualité de consultant auprès du MoD (la Défense britannique). Liam Fox était hier à Tripoli auprès d’un certain Jalal al-Dighely, qui aurait en poche des cartes de visite le désignant ministre de la Défense du CNT.L’un est « advisor to Rt. Hon. Dr. Liam Fox MP », et on sait où le joindre ([email protected]). Problème : « Google Chrome n’est pas parvenu à trouver la page werrity.com ».
Mais on dispose de nombreuses photos de lui. Il serait, depuis 1997, l’unique employé d’Atlantic Bridge, une association néoconservatrice, une charity étasuno-britannique. Mais l’association a été dissoute en cette fin de semaine. N’empêche, 15 ans de carrière, ce n’est pas rien.

La carrière de Jalal al-Digheily est plus récente, et beaucoup plus chaotique. Selon Wikipedia, Jalal Muhammad Mansour al-Digheily (ou al-Dogheily), serait un civil. On ne sait trop d’où il vient (de l’étranger ? de l’administration de Kadhafi ?). Dans un premier temps, le 19 mai, il remplace le ministre de la Défense de Benghazi, à la suite de la poussée vers la sortie d’Omar El-Hariri, et de l’assassinat du général Younes et de deux colonels. Il est démissionné le 8 août en vue d’être remplacé par Salem Joha, un commandant de brigade de Misrata.

Mais il sait se faire oublier, assure son propre intérim, et le voilà, tout début octobre, à temps pour accueillir Liam Fox et l’Italien Ignazo La Russa à Tripoli, muni de cartes de visites attestant de sa qualité de ministre de la Défense.

Pendant longtemps, on ne savait pas trop qui composait le CNT, qui était qui. Remarquez qu’en France, il a fallu quand même beaucoup de temps pour apprendre l’existence des « ministres plénipotentiaires » Takieddine, Bourgi ou Djouhri, peut-être des homologues d’Adam Warrity.

Il n’y a pas photo

Même ce samedi, enfin, ce matin, il n’y a pas vraiment de photos du centre-ville de Syrte. Mais des photos, toujours montrant en arrière-plan le désert, il y en a même pour accompagner la dépêche Associated Press titrant sur la « profonde percée » dans la ville natale de Kadhafi. Les 400 civils estimés encore retenus hier dans la ville ne devraient plus que 300 environ aujourd’hui, s’il faut en croire l’afflux de voitures aux points de contrôles aux « abords » de la ville. Rappelez-nous la population estimée de Syrte voici moins d’un mois ? Entre 65 000 et 100 000 habitants selon les sources.
Tous ces gens étaient encore avant-hier empêchés de fuir Syrte par les loyalistes. Lesquels, ayant laissé fuir par erreur quelques 64 600 civils au bas mot, ne contrôlent plus grand’ chose. Cela varie entre 20 km² et quelques pâtés de maisons, pourrait-on croire. Remarquez, la longueur d’un mile est extensible aussi. C’est, par rapport au centre-ville, d’un peu plus d’un km à deux. Reste, voir supra, à situer le centre. Et puis, voici que ce matin, la BBC rapporte que « des milliers d’habitants sont encore dans la ville. ». Pour le moins contradictoire.

Peut-être faudrait-il demander des éclaircissements à Fawzi Bukatif qui, lui, aurait en poche des cartes de visites de secrétaire d’État à la Défense auprès de Jalal al-Digheily. Il s’agit de 300 à 400 civils ou de milliers ? Mahmoud Shamman les voit toujours « gardés en otages par les kadhafistes, » ce matin même. Il est ministre de l’Information du CNT. On le perçoit très bien, on le reçoit encore mieux.

Selon une source anonyme administrative américaine, 80 % de Syrte serait aux mains des brigades. Sur une superficie totale de combien ? Allez savoir. Si, évidemment, on prend en compte l’aéroport, dont la superficie est équivalente à celle de la ville elle-même, le campus universitaire, c’est sans aucun doute vrai.

Tous ces microscopiques détails semblent bien sûr inessentiels.

Ne pas disperser l’attention

C’est un peu comme en Irak. À Ankawa, dans le faubourg d’Erbil, en zone kurde, le nombre des chrétiens est passé de moins de 9 000 à plus de 25 000, assure Mgr Bashar Warda. Bah, ce n’est qu’un à côté. En revanche, et c’est là l’essentiel, nous apprennent Canoë et Le Parisien, « Les Irakiennes découvrent la coquetterie » (elles avaient les cheveux poisseux, les ongles écaillés, et les yeux chassieux sous Saddam Hussein ?). Ali Bouboul, qui vient d’ouvrir un salon d’esthétique à Bagdad, rêve à présent d’un « fashion show » irakien.

Tiens, en voilà un sujet qu’il est bon : la réouverture des salons de coiffure à Tripoli ! Qui a donc repris celui de la maman de Thomas (15 ans) et Samuel (3 ans), qui a péri en mer ? C’était une Nigériane qui fuyait les combats avec ses deux fils, lesquels ont survécu.
Il ne devait pas, ce salon de capillicultrice, être situé près de la Fontaine aux Chevaux, dans le quartier italien. Mais au fin fond de la ville. Difficile à localiser. Autant plutôt se rabattre sur le salon de soins de l’hôtel Rixos et titrer « La vie reprend à Tripoli ».