Ce serait drôle si ce n’était si affligeant. Comme le disait Woody Allen, un quart d’heure d’antenne pour Hitler, quinze minutes pour les déportés, et aux suivants. MAM dément formellement les informations de Tunis Hebdo selon lesquelles Rafik Hadj Kacem et Ali Seriati l’auraient rencontrée dans le cadre du Tabarkagate au sens étroit du terme (à Tabarka, donc). Elle dément, la presse française reprend tel quel, sans aller creuser auprès des sources tunisiennes.

Il faut imaginer la scène. Le ministre tunisien de l’Intérieur Rafik Hadj Kacem et le chef de la garde présidentielle de Ben Ali, Ali Seriati, se rendent dans l’hôtel où réside Michèle Alliot-Marie à Tabarka, le 27 décembre au matin. Pour plus de discrétion, à l’aéroport, ils sont sortis par une porte dérobée, on revêtu un triple voile yéménite, et même se sont affublés de fausses barbes pour ne pas être reconnus si on leur arrachait un voile. Discrétion, discrétion. C’est en scooter qu’ils vont rencontrer MAM. Mais elle qui, en vacances, est en congé de son ministère (ses premières déclarations après les révélations du Tabarkagate), est au téléphone. Non pas avec le tandem vendant un terrain à Gammarth au profit de ses seuls nonagénaires de parents ! Non, elle est en liaison « avec son cabinet » (à propos de ses toilettes ?). Bizarre, elle qui ne savait rien des émeutes, c’est de la faute de son cabinet, Alexandre Jevakhoff et d’autres, qui, pour ne pas lui provoquer des frayeurs, ne lui ont parlé de rien.

Je n’ai pas lu Tunis Hebdo, mais ce serait mépriser les confrères tunisiens que de penser qu’ils n’ont pas vérifié, recoupé, leurs infos. Deux très hauts dignitaires de la sécurité tunisienne ne vont sans doute pas se faire remarquer en se déplaçant, chantant à tue tête (d’opposants ?) dans des cabriolets décapotables, cela, on veut bien l’admettre. Mais aller voir MAM en catimini, sans s’annoncer, sans se faire recevoir par le directeur de l’hôtel en personne, qui va gober cela ? Ils viennent jusqu’à MAM et celle-ci leur inflige le camouflet de se heurter à un panonceau « ne pas déranger ». Vexés sans doute, ils repartent sans même laisser leurs cartes de visite ?

Le Monde, après Rue89, reprend l’info en publiant in extenso ou presque le communiqué du ministère français : « Le ministère des affaires étrangères dément formellement cette information, dénuée de tout fondement, et précise que Michèle Alliot-Marie n’a eu aucun contact durant son séjour avec les deux personnes citées dans ces articles. ». C’est clair et net. Définitif ?

Certes, Rue89, peut-être échaudé par les démêlés de Bakchich avec Besson, emploie le conditionnel et le point d’interrogation de circonstance. Mais cite beaucoup largement Tunis Hebdo que d’autres titres français. La réunion est certes secrète, mais une liaison téléphonique est établie avec Ben Ali. Cela laisse des traces si, comme on peut le penser, les ministres ne viennent pas munis de portables dont les conversations sont cryptées. Et c’est d’ailleurs sans doute pourquoi MAM finira admettre, après l’avoir niée, cette communication avec Ben Ali.

Le Monde, et la plupart des autres titres, sont comme les calques d’Au Fait, quotidien marocain, dont le site reprend cette information de Tunis Hebdo avec la même circonspection. Ayant un peu connu la presse marocaine (La Vigie, vieux souvenir…), je conçois de sa part. Soyons cependant indulgents. C’est en fait une dépêche Reuters qui est ainsi reprise à la hâte. Autant reprendre dans son intégralité le texte du « point presse » du ministère :

« Certains médias tunisiens publient ce jour une information selon laquelle Michèle Alliot-Marie, lors de son séjour en Tunisie fin décembre 2010, aurait rencontré “en secret”, le 27 décembre à Tabarka MM. Rafik Hadj Kacem, à l’époque ministre de l’Intérieur, et Ali Seriati, chef de la garde présidentielle. Le ministère des Affaires étrangères et européennes dément formellement cette information dénuée de tout fondement. Michèle Alliot-Marie n’a eu aucun contact durant son séjour avec les deux personnes citées dans ces articles. » Après tout, c’est plausible. Le ministère semblait si mal renseigné sur la situation en Tunisie que, s’ils avaient frappé à la porte de MAM à Tabarka, elle les aurait peut-être pris pour des démarcheurs à domicile prétendant être recommandés par Ben Ali (ils s’étaient auparavant débarrassés de leurs voiles et de leurs faux favoris et barbes). C’est fou ce que des commerciaux pouvaient se recommander de Ben Ali à cette époque. Devant l’air courroucé de MAM, ils n’auraient pas osé insister.

Le hic, c’est que MAM n’en était pas à son premier séjour en Tunisie. Le hiatus, c’est qu’elle est revenue maintes fois sur de martiales et définitives déclarations. Mais nous ne nous prononcerons pas. Le site de Tunis Hebdo ne comprend que deux pages, l’une pour les abonnements, l’autre pour afficher la une de l’édition hebdomadaire. Attendons donc leur réponse (qui peut tarder s’ils ne relèvent pas souvent leurs courriels).