TRÈS CURIEUSE présentation du sondage ex-Institut Louis Harris/Le Parisien dans l’édition dominicale du quotidien du groupe Amaury.
Il n’y aurait « que » 54 % des sondés à souhaiter que Michèle Alliot-Marie démissionne de son régalien ministère des Affaires étrangères. Considérant qu’un quart des sympathisants de droite souhaitent sa démission, on se demande si la droite n’est pas majoritaire dans ce pays. Tout « autre » chose : pas un mot, dans Le Parisien de dimanche, de la consultation, les jours précédents, du lectorat du même quotidien sur le même sujet…

Je suis fâché avec les chiffres. C’est même pour cela que j’avais abandonné une licence de sociologie (accédée, après une première année écourtée, par équivalence) : le niveau en maths et statistiques était bien trop élevé pour moi. En revanche, si on m’explique en bon français de littéraire la méthodologie des sondages, comme on a su l’exposer aux sénateurs ayant récemment approuvé une proposition de loi très restrictive pour les sondeurs, je comprends, j’assimile, et considère que mes cours de socio sur la méthodologie des sondages ne sont pas obsolètes.

Or donc, comme je le relevais voici peu au sujet de la consultation du Parisien auprès de son lectorat, il est fort possible qu’une partie des sympathisants de gauche considère que Michèle Alliot-Marie est un boulet à la cheville de Sarkozy, et qu’il faut surtout éviter qu’elle démissionne ou soit remerciée. Selon le sondage Harris Interactive « réalisé en ligne » auprès de 1 051 adultes, selon une méthode fort critiquée, donc, par les sénateurs, 18 % des répondants se déclarant d’extrême-gauche veulent que Sarkozy traîne MAM à ses basques jusqu’en 2012. C’est combien de personnes réelles, ces 18 % ? Dix ou cent ? Ce dimanche, le site Harris Interactive n’a pas encore localisé en PDF les détails du sondage effectué pour Le Parisien.

Livrons-nous donc, plutôt que de nous attacher à l’enfer des détails, à une petite chronique de médialogie sauvageonne. « 75 % des sympathisants de droite préfèrent qu’elle reste à son poste, tandis qu’à gauche une proportion presque identique (82 %) se prononce symétriquement pour sa démission. ». Là, au pif, à le lire ainsi, pour qu’il n’y ait « seulement » que 54 % de gens à vouloir la démission de MAM, il faut soit que la France soit majoritairement à droite, soit que, dans l’échantillon, quelque chose prête le flanc à quelques sévères critiques. « Ils ne sont que 27 % des sympathisants de droite à juger « grave » le dernier épisode de ses déboires, l’achat par ses parents de biens immobiliers à un proche de Ben Ali. Même si le jugement global des Français est, sur ce sujet, négatif à 54 %. ». Dites-donc, énoncé ainsi, ils doivent peser sacrément lourd, ces 27 % qui entrent dans la composition des 46 % des Français qui ont estimé, sinon positif, du moins, pas vraiment grave, les déclarations de MAM et les tractations financières de ses parents en Tunisie.

Il est vrai que, les 16 et 17 février derniers, dates du sondage, les interrogés n’avaient pas pris connaissance, via Mediapart ou d’autres, du rôle du compagnon de MAM, Ollier,  en Libye. Ni de la série de câbles diplomatiques que Mediapart, à la suite de Wikileaks, dévoile au sujet des relations entre la France du ministre Kouchner et la Tunisie de Ben Ali. L’ambassadeur Serge Degallaix déclarait à un homologue américain que « les leaders tunisiens sont sincèrement à l’écoute du peuple. » Que Kouchner, dont les intérêts immobiliers en Tunisie sont formidablement moindres (voire nuls) par rapport à ceux de MAM ait pu gober cela, passe encore. Bah, il est vrai que Kouchner pesait aussi peu que Rama Yade aux yeux de Fillon, Jean-David Levitte, et Sarkozy.

Patrick Ollier, qui s’est « dressé contre l’encadrement des sondages » (par la loi, précise Mediapart), a eu des accents wikileakiens : « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme », rapporte Mediapart. C’est sans doute pourquoi il se réjouira qu’un futur panel de sondés, éclairés sur son rôle dans l’association parlementaire France-Lybie, et son échec à fourguer des Rafale de Dassault et d’autres armements de Thalès à Kadhafi, disent tout le bien qu’ils en pensent.

À l’époque, sur ces tractations, le général Rondot (qui enquêtait aussi sur Clearstream) notait : « ne pas chercher à en savoir plus mais recueil passif d’informations pour prévenir MAM. ». MAM ignorait-elle ce que faisait sa main gauche, Ollier ? Non, elle aurait tout au plus apprécié que cela ne soit pas trop ébruité. C’est raté. Mais un fort opportun sondage, effectué en même temps que Le Parisien consultait en ligne ses lecteurs, vient la conforter : 54 % de favorables à sa démission, c’est finalement négligeable.

Contrairement à la consultation en ligne du Courrier Picard sur la démission d’Éric Woerth, qui resta près de deux semaines en ligne, celle du Parisien sur le renvoi de MAM a été rapidement évincée de la page d’accueil du site. Pas question de l’évoquer en regard de la publication du sondage Harris Interactive, et tentez de la retrouver avec le moteur de recherches interne au site : patience et bon courage, je n’y suis pas parvenu. Une « question du jour » chasse l’autre et à présent, nous devons penser que 67 % des répondants ne sont pas prêts à retourner de sitôt en Tunisie ou en Égypte… (consultation de ce dimanche). « Les Français semblent privilégier les destinations de proximité, boudant les lieux plus exotiques, » et cela tombe bien, MAM aussi qui privilégiera désormais la Dordogne. Elle est en phase avec l’opinion, l’opinion est en phase avec elle.

Le Parisien publie des éditions régionales sous le titre Aujourd’hui en France. On verra demain comment titreront les quotidiens de province. La plupart reprendront l’accroche de la dépêche AFP et s’inspireront de son titre : « Voyage d’Alliot-Marie en Tunisie : 54 % des Français souhaitent sa démission ». Comparez avec celui de France Soir, assez cohérent avec celui du Parisien : « MAM : Malgré les affaires, les Français la soutiennent ». Existerait-il une médialogie parisienne et une autre, plus provinciale ?

France Soir en rajoute : « Qui aurait pu croire les Français aussi indulgents ? ». Ne faudrait-il pas plutôt se poser la question : qui peut faire croire que les Français soient si indulgents ? Conclusion de France Soir : « La chef de la diplomatie n’est donc pas si affaiblie malgré les différentes affaires et polémiques. ». CQFD.

Bref, il faut croire que les Françaises et les Français pensent comme ce député auquel Anne Roumanoff, dans le JDD, prête ces propos : « Tout le monde ramène de la poterie de Tunisie, eux ils ont rapporté une SCI en souvenir, c’est quoi le problème ? Et puis, cette MAM ment tellement maladroitement qu’elle ne doit pas en avoir l’habitude. ». Finalement, tout cela n’est pas si grave, MAM a peut-être un peu menti, sur quelques détails, mais elle est fondamentalement franche et ses parents ne lui ont pas servi de prête-noms ; il s’agit juste de vigoureux nonagénaires.

Qu’importe, finalement, que le Nouvel Observateur révèle que Renée et Bernard Marie se sont portés acquéreurs d’une « coquille vide » permettant, pour 326 000 euros (« seulement »), de placer ces billes sur un « terrain public, déclassé et rendu constructible » vendu à Aziz Miled et Slim Chiboub « au prix dérisoire de 12 dinars (6 euros) le mètre carré, dans une zone où les prix dépassent souvent les 5 000 dinars le mètre carré. ». Pour les Françaises et les Français, qui sont priés d’en croire Le Parisien et France Soir, tout cela n’est pas si grave. Et la future plus-value ? Défiscalisée en France comme en Tunisie ? Bah, la partie « cessionnaire deuxième part », soit Renée Marie et Bernard Marie, de la SCI Ikram, dont les statuts ont été déposés le 7 octobre 2010, ont su marchander leur tapis de terres ombragées à Gammarth. Le vendeur, un ancien marchand de glaces à la sauvette devenu un magnat de l’immobilier à la seule force du poignet, était pris à la gorge, voilà tout, il a dû vendre quasiment à prix coûtant, cela le regarde.

Exposer ce genre de détails est sans doute trop fastidieux pour les lectorats de France Soir et du Parisien. Un bon sondage, et hop, ils retiendront l’essentiel de ce qu’il faut penser de tout cela. Les Alliot-Marie rencontrent par hasard Aziz Miled qui passe par l’aéroport de Tunis, il leur propose de monter dans son avion, puis il leur fourgue au passage un petit lot de terrain devenu constructible, souvenir de Tunisie. Au moins n’est-ce pas fabriqué en Chine.

Ils ont payé un fort bon prix. S’ils s’étaient fait rouler, là, les Français douteraient des capacités de MAM. Mais puisque ce ne sont que les Tunisiennes et les Tunisiens dans leur ensemble qui se sont fait spolier, ce n’est pas grave, elles et ils ont l’habitude, et puis, c’est bien connu, la misère est semble-t-il moins pénible au soleil. D’ailleurs, construire sur le terrain leur fournira des emplois et ainsi, ils ne viendront pas en France : les MAM sont des acteurs du développement durable.

C’est, raconte le JDD, un « terrain en pente douce qui plonge dans les eaux turquoise de la baie de Tunis, au nord de la capitale, sur la très chic commune de Gammarth. ». On revend construit entre 1 500 et 2 000 euros le m², depuis que « les autorisations d’empiéter sur la mer, de sacrifier à la hache 20 hectares d’une forêt de pins et d’eucalyptus ont été accordés sans encombre. ». De quoi, pour MAM, devenue héritière, avoir pour voisins l’émir du Quatar et les riches amis libyens d’Ollier, autres petits investisseurs ayant réalisé une bonne affaire sur le même terrain. Au fait, les MAM, sur l’hippodrome de Compiègne, fourgué par Woerth, ils n’auraient pas aussi une option ?

Mais imaginez un sondage de France Soir ou du Parisien comportant une question du genre : « La famille MAM-Ollier va pouvoir réaliser une plus-value de … euros sur un terrain autrefois inconstructible cédé par un proche de Ben Ali… ». Trop complexe, ce genre de question, n’est-il pas ? Hors de portée des répondants. Surtout de ceux qui ne regardent plus que Drucker à la télévision.

Sur ce genre de pratiques financières et autres, François Bayrou a commenté : « Le “ça s’est toujours fait“ est insupportable. ». Sur les pratiques des sondeurs, Ollier a estimé que puisque cela s’est toujours fait, cela doit continuer. On comprend un peu mieux aujourd’hui pourquoi… Puisque la France a depuis toujours le cœur à gauche et le portefeuille à droite, surtout ne rien changer. D’ailleurs, la France n’est-elle pas majoritairement de droite ? Le Tabarkagate succède au Woerthgate et au Karachigate, mais le prix de la brioche reste abordable. Celui du Parisien et de France Soir, beaucoup moins ; peut-être faudrait-il les alléger des coûts de tels sondages.