Un péan, ou pæan, c’est un hymne célébrant Apollon. Puisque, avec la « tunique de Nessus », on fait dans l’antique ces jours derniers dans la presse, signalons donc que le patronyme de Pierre Péan est synonyme d’un poème inspiré de ces chants, parfois dyonisiens sur les bords. Mediapart a rompu le silence sur la parution de La République des mallettes. Le Figaro préfère le grégorien de Bourgi. Chanson à répons druidique… Il est très positif que Mediapart fasse fi de ses bisbilles passées avec « le » Péan et l’invite à son concert des affaires de rétrocommissions et financements politiques.

Et quelques jours après la divulgation des bonnes feuilles du livre de Pierre Péan, La République des mallettes (Fayard) par Marianne, pour Le Figaro, la une du lundi 12 septembre, cela donne ce qui suit…

« Bourgi dit avoir versé 20 M de dollars à Chirac et Villepin » : « L’ancien président et son Premier ministre vont porter plainte pour diffamation. » ;
« Des proches de Gbagbo confirment le récit de Bourgi » : « Une source anonyme proche de l’ancien président ivoirien “s’étonne” que l’affaire ne sorte que maintenant. » ;
« Bourgi : les doutes de Claude Guéant » : « (…), Nicolas Sarkozy a bien évoqué avec l’avocat la question du financement d’hommes politiques par des fonds africains. » ;
« Accusations de Bourgi : l’opposition réclame une enquête » : « La droite met Sarkozy hors de cause et demande des preuves. Pour l’heure, le parquet n’a pas ouvert d’enquête. ».

Dimanche, soit après l’entretien fleuve de Robert Bourgi au Journal du dimanche, Le Figaro avait bien monté en une le titre « Chirac et Villepin accusés de financement occultes », oubliant très fort le cas d’Alain Juppé (voir « Médialogie : Djouhri, Takieddine, Bourgi… à qui le tour ? »).

Puis, dans la soirée, Claude Guéant faisait son apparition à la une (voir « Présidentielles : le livre de Pierre Péan relance Clearstream II »).
Coïncidence « restrictive »

Amusant, Le Figaro évoque une « coïncidence de calendrier », en lien avec le procès d’appel de Clearstream et le rendu de son délibéré, le 14. Le même jour sort en librairie le livre de Pierre Péan, mais le Fig’ ne ressent pas le besoin de le signaler. Aude Lorriaux reprend en chute son interprétation de l’épisode de la « tunique de Nessus » (voir notre article supra), et passez muscade de nouveau.

Qu’apporte de neuf Le Figaro ? Essentiellement, le témoignage d’un proche, ex-anonyme, de Laurent Gbagbo, Mamadou Koulibaly. Bizaremment, le « châpo » insiste surtout sur une « source anonyme », donc s’étant confié en « off », tandis l’article de Caroline Bruneau cite fortement Mamadou Koulibaly. Décalage entre le secrétariat de rédaction et l’actualisation d’un article ? Il est possible que Koulibaly se soit d’abord confié très confidentiellement avant de s’exprimer ailleurs nominativement, et que son anonymat ait été de ce fait levé. Ce n’est qu’une hypothèse (fondée sur l’expérience). Ou alors, il y aurait bien deux sources, celle de l’AFP, qui commente : « Cela devait éclater un jour ou l’autre. Nous nous étonnons juste que ce ne soit que maintenant que l’opinion (…) française semble découvrir tout ça. Et on s’étonne aussi que cela s’arrête à Dominique de Villepin. ». Ne serait-ce point le même Koulibaly qui, d’une part, aurait ciselé ses déclarations publiques avant de confier, en « off », ses commentaires plus personnels ? Comment interpréter ce « que cela s’arrête à Dominique de Villepin. » ? S’agit-il d’un axe synchronique (hiérarchique), ou diachronique, qui suggère que, D. de Villepin n’étant plus aux affaires, les mêmes faits se soient prolongés, soit toujours avec le même Bourgi (ou consorts), mais pour le compte d’autres que l’ex-Premier ministre et l’ex-président Chirac ? No comment. Nous n’avons pas droit à d’autres précisions.

Une marche bancale

La marche typographique du Figaro est quelque peu bancale.
Je me suis étonné de voir Villepin désigné « premier ministre » (et non Premier ministre). Perdrait-on sa capitale une fois « déchu » ? Pas vraiment, puisque François Fillon a droit au même traitement… Mais…
Chassez les habitudes, elles reviennent parfois au galop. L’ami Rondinet (correcteur parti en retraite) s’en amuserait.

À un moment, je me suis demandé si, subrepticement, Nicolas Sarkozy n’était pas devenu « Président », telle une spécialité fromagère « maison ».
Mais non, il reste « le président Nicolas Sarkozy ». Tout comme ses homologues étrangers et ses prédécesseurs, il n’est pas non plus devenu, dans le Fig’, « Chef de l’État » (et non chef). Mais, bizarrement, si Fillon reste très souvent Premier ministre, ses prédecesseurs tels Laurent Fabius, semblent plus fréquemment « rétrogradés » que leurs homologues du monde entier (cela resterait à établir formellement, en recherchant toutes les occurrences depuis l’accession à l’Élysée de Nicolas Sarkozy).

Mais ce n’est pas qu’en orthotypographique que la marche du Fig’ est hésitante. Bourgi, « passe encore », mais Djouhri et Takieddine, que Nicolas Sarkozy fréquente autant que Bourgi ? Il est vrai que même Marine Le Pen ne semble pas disposée à glisser les noms d’Alexandre Djourhi et de Ziad Takieddine dans ses réponses aux questions la sollicitant sur Bourgi. Finalement, il n’y a guère qu’Anne Mansouret, la mère de Tristane Banon, a faire le lien, en signalant sur son blogue l’article de Daniel Schneidermann, d’Arrêt sur images, paru sur Rue89 : « Et de trois ! Après Takieddine et Djouhri, voici Bourgi, qui complète le puzzle compliqué des financements glauques de la droite. ».

Schneidermann poursuit, pourquoi maintenant ? « Parce que Bourgi, comme il l’affirme lui-même, pris d’un soudain haut-le-cœur à l’écoute des réactions de Villepin au livre de Péan, aurait soudain, le 9 septembre au matin, décidé de soulager sa conscience ? ». Même Mediapart, sous la plume de François Bonnet, signale que la parution de l’entretien de Bourgi intervient « en marge de la publication, mercredi, du Livre de Pierre Péan, La République des mallettes, aux éditions Fayard. ».
Ils y ont mis le temps, chez Mediapart, pour ne pas se retrouver associés au Figaro… Ils n’insistent pas trop lourdement, mais c’est écrit. François Bonnet, lui non plus, contrairement à la rédaction du Figaro, n’oublie pas Alain Juppé.
Plus loin, il reprend : « L’opération est aussi soigneusement chronométrée. Puisque le livre de Pierre Péan a pour personnage principal le sulfureux homme d’affaires Alexandre Djouhri, passé lui aussi avec armes, bagages et argent de Villepin à Sarkozy, c’est Robert Bourgi qui est ainsi lancé sur le devant de la scène. ».
C’est à peu près ce que j’écrivais hier, mais comme je suis « retiré des affaires », j’ai un peu perdu la main. C’est beaucoup plus explicite ainsi.
On ne va pas insister et retrouver les plans de vols des avions privés de Serge Dassault pour voir, dans les listes de passagers, si le nom de Bourgi figure comme celui de Djouhri, mais si Arrêt sur images ou Rue89 ou Mediapart en ont les moyens, qu’ils ne se retiennent pas. Bakchich l’aurait fait sans doute…
En tout cas, c’est « positif » et dans l’actualité heureuse, on aura relevé que Péan n’est plus tout à fait tricard chez Mediapart.

Développements prévisibles

Bien sûr, il reste aussi ce qui pourrait fâcher… Nicolas Sarkozy. Lequel, rapporte Mediapart, avait lancé à Robert Bourgi, alors qu’il le décorait en personne de la Légion d’honneur : « Tu n’es pas homme à oublier les conseils de celui qui te conseillait jadis de “rester à l’ombre pour ne pas attraper un coup de soleil”. Sous le soleil africain, ce n’est pas une vaine précaution. ».
Le conseiller de l’ombre de la Françafrique et Bourgi, c’était Foccart, Jacques.
Et puis, l’ancien collaborateur de Chirac, Pasqua, Juppé, Alliot-Marie et Tibéri, Jean-François Probst, s’est confié au Parisien. « Rien ne s’est arrêté avec Sarkozy », qui aurait reçu un milliard de francs d’Omar Bongo, soit des XAF (comptez environ 1,5 millions d’euros).
Et si, tout à coup, on allait aussi dénicher des XPF, les francs des Comptoirs français du Pacifique ? Michel de Bonnecorse, pour Le Monde, a corroboré les affirmations de J.-F. Probst.

Malheureusement, tout cela n’est pas sans rancune(s). Bon sujet d’ailleurs pour « Sans Rancune », l’émission de VoxAfrica et ses rubriques, « Il vaut mieux en rire » et « la grande polémique »  ou encore « L’Afrozap »,  le zapping des chaînes africaines.
Il n’y a pas que la presse française à s’interroger sur le rôle de Robert Bourgi auprès de Nicolas Sarkozy. Ainsi de John Liechfield, de The Independent, qui consigne : « 
At the same time, a book will be published next week by an investigative journalist, Pierre Pean which suggests, amongst other things, that illegal payments by African leaders were also made to Mr Sarkozy through Mr Bourgi in 2006-7. In his interview yesterday, the lawyer insisted that all such payments had halted in 2005 and had not been revived by Mr Sarkozy. ». Henry Samule, du Telegraph, revient aussi sur les déclarations de Michel de Bonnecorse à Pierre Péan  – « The interview also follows the release of a book by investigative journalist Pierre Péan called The Briefcase Republic. In it, he cites Michel de Bonnecorse, Mr Chirac’s Africa adviser, who alleges he saw Mr Bourgi place a suitcase of cash at Mr Sarkozy’s feet when the current president was interior minister. ».
De son côté, le ministre sénégalais de la communication, Moustapha Guirassy, interrogé par Laurent Correau de RFI, s’interroge : « La grande question aujourd’hui est, qui est derrière Robert Bourgi, qui paye Robert Bourgi. Est-ce la France, est-ce un candidat à la présidentielle en France, est-ce un candidat à la présidentielle au Sénégal. En tout cas on se pose des questions parce que le moment est bien choisi, le timing est bien choisi. Dans quelques jours normalement, le chef de l’État devrait être en France pour le prix Nobel Houphouët Boigny. Nous sommes à quelques mois de l’élection présidentielle, nous avons vu ce qui s’est passé entre le ministre d’Etat Karim Wade et lui. ».
Répercussions en Afrique

La repentance de Bourgi passe mal en Afrique, et il suffit de lire les commentaires d’Abidjan.Net pour s’en faire une idée : « il sourit devant les caméras, et se fout pas mal de la misère des peuples. ». Autre réaction, celle de Bruce Koffi : « Pauvre Côte d’Ivoire, Gbagbo qui n’aimait pas la France a versé trois millions, combien versera Ouattara qui aime la France ? ».
Ou encore celle de Yeotoh Toh : « Je me rappelle que Gbagbo avait donné l’avion présidentiel ivoirien à un de ses amis deputé pour la libération de journalistes francais, otages en Irak. En plus de l’avion, il lui avait donné aussi deux malettes d’argent. Pas besoin de vous dire que le deputé en question n’a même pas atterri en Irak et que l’argent a disparu. Il avait donné le marche du troisième pont aux Chinois et quelques mois plus tard il double ces derniers au profit des Francais quand il s’est rendu compte que les élections allaient avoir lieu. Il a ensuite bradé le terminal a conteneurs du port d’Abidjan aux Français, sans appel d’offre. (…) Gbagbo a cedé un bonne partie du pétrole ivoirien aux Francais une semaine seulement avant les elections. ». Tiens, ce ne serait pas là une allusion à Bolloré ou Total ?
Sur Camer.be (Cameroun), les commentaires du genre « tous pourris » épargnent Marine Le Pen. Sauf que… Remarque de Louk Ot : « Tiens, ce n’est pas elle qui était déja aller prospecter chez chantoux à Yaoundé ? ». Chantoux, c’est Chantal Biya, Première dame du pays, épouse de Paul Biya, dite la Lionne du Cameroun. Quant à Marine, ce pourrait être plutôt Jany Le Pen, épouse de J.-M. Le Pen, reçue en mars 2007 à la présidence camerounaise, en compagnie de Dieudonné.
N’empêche, Marine Le Pen, qui propose « un nouveau partenariat pour l’Afrique » après avoir évoqué Djouhri, « Djourhi est un trafiquant d’armes et a également des entrées… » (à l’Élysée), a su trouver des mots plus forts que ceux de Jean-Marie Bockel qui, lui, dédouane Nicolas Sarkozy. Elle a carrément asséné qu’étaient à l’œuvre « des réseaux de corruption inadmissibles, criminels et néo-colonialistes».

Conclusion (provisoire) de Pierre Péan, ce lundi, pour Marianne : « Il serait très étonnant que des systèmes de financement occultes et illicites mis en place depuis une vingtaine d’années, comme le montrent le dossier Clearstream ainsi que d’autres affaires judiciaires, se soient brusquement arrêtés au moment de la candidature de Nicolas Sarkozy en 2007. (…) Je sais bien que le financement occulte a continué après 2007 : les péripéties financières autour de la libération des infirmières bulgares en juillet 2007 laissent perplexes (…) Si on lit bien mon livre, je ne vois pas comment les hommes de Nicolas Sarkozy pourraient passer à travers les mailles du filet… ». 20 minutes, qui fait partie des cinq sites de presse les plus visités de France (selon notre classement Alexa-Come4News des 50 sites d’infos génés les plus fréquentés), reprend. Difficile de ne plus lier Bourgi, Takieddine, et Djouhri… Sauf si on veut détourner le regard.
Le Figaro estime qu’une action en diffamation de Jacques Chirac contre Robert Bougri ne ferait surface qu’à l’été et que l’audience se tiendrait après la présidentielle (article de Marie-Amélie Lombard, ce jour, qui signale : «  D’ici là, la perspective d’un grand déballage sur la “Françafrique” n’aura-t-elle pas modifié la donne ? »).
Faut-il y voir une allusion au rôle de Nicolas Sarkozy ? Non, ce serait trop perfide, insidieux.
Pas le genre de la maison. À moins que Le Figaro ne prépare un long entretien avec Patrick Balkany, député UMP des Hauts-de-Seine, qui mène de nombreuses missions en Afrique, et semble avoir évincé Bourgi qui lui, avait réussi à dégager Jean-Marie Bockel.

Petit Papa Bongo…

Au fait, cela commence à déballer de toutes parts. On retrouve des documents, des copies. Ainsi de cette lettre confiée au colonel Banas, le grand frère de  Philomène Nkouna, médecin personnel d’Omar Bongo. Bourgi donne du papa à Bongo. Il évoque Jacques Dewaetre (DGSE) et Guy Azaïs (idem), aussi Patrice Lissouba (homme politique Congolais qui deviendra président). Jacques Bénichou et Robert Bourgi envisagent de ramener des financiers sud-africains au Gabon. « Oudré » pourrait être Pierre Houdray, un banquier associé d’Elf.
En son temps, Bakchich avait fait état de cette lettre qui évoque le fils Bongo, devenu depuis président à la suite de son père.

« Je compte sur vous, Papa… Merci du fond du cœur », conclut Bourgi. Peu de temps après, Bourgi recevait environ 75 000 euros du Gabon, soit de la banque de Pierre Houdray, indiquait Bakchich.

En revanche, Karim Wade, fils du président du Sénégal, donnait du « Tonton » à Bourgi. Ils sont à présent très, très en froid. Au fait, il ne logeait pas dans un HLM de la Ville de Paris, Bourgi. Belle adresse, avenue Pierre de Serbie…

Actualisation (mardi 13 sept.).

Ah, lu sur Le Figaro, ce 13 sept., art. de Charles Jaigu, « L’affaire Bourgi laisse l’Élysée perplexe » :
« Finalement, pour expliquer le grand déballage de cet homme de l’ombre, un autre proche du chef de l’État se tourne vers la psychologie. “C’est une question d’ego, au bout d’un moment ces gens ont envie d’être reconnus”, spécule-t-il. “Il a trop parlé à Pierre Péan (auteur du livre publié cette semaine Les Mallettes de la République, NDLR), et maintenant il veut son quart d’heure de célébrité.” ». À ma connaissance et jusqu’à plus ample informé, c’est la toute, toute première mention du livre de Péan depuis vendredi soir dernier (hormis la furtive – et escamotable – reprise de la dépêche faisant état des déclarations de Dominique de Villepin).

Actualisation (mercredi 14 sept.).
Dans le compte rendu de l’audience de délibéré de l’appel du procès Clearstream II, Marie-Amélie Lombard (du Figaro) relève que :
« À la veille de l’audience, les magistrats avaient reçu une lettre des avocats du «corbeau» présumé, Jean-Louis Gergorin, leur soumettant “des éléments nouveaux”. Quels sont ces éléments soumis aux magistrats ? Ils proviennent du livre La République des mallettesde Pierre Péan et évoquent le rôle qu’aurait pu jouer l’homme d’affaires Alexandre Djouhri dans le dossier. Selon les écrits de Péan, Nicolas Sarkozy, en 2008, estimait qu’il s’agissait d’ “un complot fomenté par l’Élysée (sous Jacques Chirac, NDLR) mais mis à exécution par un certain Alexandre Djouhri qui a bien failli avoir sa peau.” ».
Il sera finalement question d’Alexandre Djouhri dans Le Figaro.