Adage bien connu des régies de transports publics, « l’offre crée la demande ». C’est généralement vrai, et les tout nouveaux tramways d’Angers devraient valider cette donne. En presse, c’est un peu la même chose, même si je ne sais trop si le site Atlantico (.fr) trouvera son équilibre financier. En revanche, petitement, La Lettre du Sud, qui sera lancée en septembre, a ses chances. Contrairement aux schémas des transports publics, son lancement n’a sans doute pas plus été précédé d’une véritable étude de marché, tout comme pour Mediapart ou Rue89, beaucoup mieux financés.
Pour un magazine féminin, on ne se contente pas d’un seul « numéro zéro » montrés aux futurs annonceurs. Ces magazines sont comme les nouveaux yaourts ou desserts laitiers, la concurrence est rude, il faut aussi tester les goûts des consommateurs. Ce n’est guère le cas des magazines ou supports d’information, même spécialisés, quoique, par exemple, le défunt mensuel Actuel avait été plus ou moins conçu pour attirer des encarts publicitaires un peu novateurs et toucher un lectorat que l’on savait potentiellement porteur.
La Lettre du Sud
Or donc, Nicolas Beau et des anciens de Bakchich et de divers horizons lanceront en septembre La Lettre du Sud. Un site en extension .org est en construction, mais celui en .fr est déjà accessible en ligne. « Mauvaise » vitrine pour les actuels visiteurs, puisque la plupart des articles « datent », même s’ils ont été conçus pour servir de référence. Cependant, vous pouvez surveiller ce site qui s’est enrichi notamment, depuis hier soir, d’un éditorial de Themistocle, « France-Turquie : pour une nouvelle « alliance impie ».
Cette Lettre me fait songer au Monde diplomatique, à cela près que les sujets se bornent à traiter des pays du pourtour méditerranéen (et de l’actualité de leurs voisins du Sahel ou de la Corne de l’Afrique, par exemple). Nicolas Beau est un spécialiste de la Tunisie, un universitaire, il dispose d’un réseau de contacts étendu, et ses états de service, notamment au Canard enchaîné, créent une offre particulière de contenus.
Ancien de la presse dite alternative de province (comme l’ami Denis Robert), je sais que l’offre crée la demande… jusqu’à un certain point. Si c’était aussi simple, j’y serais encore (quoique… avec Come4News, j’y suis revenu). Mais ce qui assure le succès de tels titres, tels Médiapart ou Rue89 à présent, c’est bien sûr l’offre rédactionnelle qu’il faut distinguer de celle « de la rédaction ».
Demande et fournisseurs d’infos
Je doute qu’Edwy Plenel soit encore vraiment sur le terrain, si ce n’est dans les dîners en ville, mais il dispose d’un fantastique carnet d’adresses et si un pigiste se pointe avec un sujet original, une proposition d’enquête, il peut ouvrir d’autres portes. Il est certes entourés par des journalistes d’investigation, comme la redchef (ici, la hiérarchie de la rédaction) de Rue89. Mais cela ne suffit pas.
Une enquête longue, ou une vraie enquête de terrain – pour des sujets sociétaux genre du social, du vivant de l’humain – mobilise durablement. Sans informatrices ou sachants venant d’eux-mêmes fournir l’info, ces titres peineraient à remplir leurs pages d’accueil avec « de la fraîche ».
Trouver d’autres types d’angles à propos d’une affaire retenant l’attention ne suffit pas. Certes, le magazine Salon a trouvé un filon avec l’affaire Strauss-Kahn (que je suis assidument via une revue de la presse anglophone, hispanophone, &c.) en rebondissant sur la proposition de Roy Blake : il faut garantir l’anonymat aux violeurs. Jusqu’au jugement public, en tout cas. Non, rétorque Susan Brownmiller, auteure d’Against Our Will (1975, Contre notre gré), qui voit dans le « priapique » DSK un individu à dénoncer, tant bien même serait-il dispensé de poursuites ou acquitté. Les affaires Balkany ou Tron semblent plaider pour la transparence, d’autres pour l’anonymat (des victimes de fausses dénonciations). Mais on ne tient pas le visitorat ou le lectorat avec cela longtemps.
Le participatif « qualifié »
Rue89, qui se spécialise plus ou moins dans les témoignages des « vrais gens de la vraie vie », a suscité de l’offre. Celle d’anonymes ou non qui s’expriment à la première personne ou se confient à des journalistes qui vont leur tenir la plume ou recueillir leurs propos. Et ce n’est pas du bidonné (ayant tenu un faux « courrier des lecteurs », concocté questions et réponses, pour un magazine olé-olé, je subodore très vite le préfabriqué en la matière)
La prise de contact avec la rédaction est directe ou indirecte (via une association qui signale un cas intéressant, des proches qui connaissent le titre). La rédaction fait le tri. Il suffit de figurer sous la rubrique « journaliste » dans les Pages jaunes pour obtenir des infos (rares, farfelues ou inexploitables, hélas, souvent) mais les meilleures proviennent de contacts connaissant l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours. C’est un peu comme la recherche d’accessoires de théâtre, de costumes ou d’éléments de décor : les « brocs » vous gardent dans leurs petits papiers, votre carnet d’adresses regorge d’entrées variées, professionnelles et amicales, utiles à l’occasion.
Pour Mediapart, le seul fait d’avoir lancé et suivi des affaires gênantes pour le et les pouvoirs doit certainement avoir suscité un réseau de « gorges profondes », d’indicateurs bénévoles, de mouches prêtes à croquer le morceau. Il faut savoir départager les déçus (s’étant par exemple vus refuser une promotion, une circonscription éligible…) n’ayant pas grand’ chose à fournir ou gonflant outre mesure des éléments de peu de portée. Soupeser aussi les risques de poursuites judiciaires, d’impossibilité de progresser sans violer les principes déontologiques. Pas simple.
Le coup de « génie » deMediapart, c’est aussi de publier intégralement des documents. Cela incite à en communiquer. Anonymement ou non. Le Canard, dont l’espace est compté (puisqu’il ne profite pas de son site pour mettre en ligne l’intégralité des documents reçus), est un hebdo satyrique et certains informateurs pourraient s’inquiéter de la manière dont sera traitée ce qu’ils transmettent (le plus souvent à tort, ces « Messieurs » sont généralement très sérieux). Cela crédibilise. Même une info au départ « pompée » sur une dépêche ou chez un concurrent, pour peu qu’elle soit un minimum enrichie, étayée plus avant, passe ainsi pour une « exclusivité » (alors même que la source est systématiquement mentionnée).
Les consœurs et confrères ne pouvant publier des fac-similés sont sans doute même tentés de passer leur documentation à Mediapart. Si ce n’est de refiler des sujets qu’ils ont été plus ou moins dissuadés de traiter. À charge de revanche au cas où il faudrait reprendre une info de Mediapart (et se faire « rencarder » gracieusement) ou de renvoi d’ascenseur (si l’on publie un livre, par exemple).
Cette « nouvelle » offre, qui n’est en réalité que la reprise ou continuation de précédentes sous des modalités différentes, n’est cependant durable que si elle est véritablement soutenue (capitalisation, participation, bénévolat impliqué suffisant le cas échéant).
Une offre pléthorique
Sur le site J’aime l’Info (http://www.jaimelinfo.fr), de très nombreux sites d’information sont répertoriés. Peu survivront si les diverses conditions de pérennité ne sont pas réunies. Des sites à forts contenus de qualité, nombreux, variés, attrayants, ont déjà disparu, tout comme Siné Hebdo n’a pas plus réussi à se maintenir que Bakchich, tant d’autres.
Même la presse technique ou professionnelle est fragile. Pourtant, celle à destination des imprimeurs est forte d’une demi-douzaine de titres (sur abonnement, absents des kiosques) plus ou moins confidentiels. La revue de référence, Caractère, adossée à un groupe de presse, s’est transformée semble-t-il en site proposant une lettre hebdomadaire gratuite, Caractère.hebdo.
Il n’y a donc pas de « recette miracle ». La qualité, la diversité de l’offre, ne suffisent généralement pas. Mais si la demande suscitée se fidélise (et reste solvable, qu’il s’agisse de visitorat ou d’annonceurs ou de soutiens divers, comme pour AgoraVox), c’est gagné.
Souhaitons le succès à La Lettre du Sud et de longs jours à Mediapart et Rue89, en particulier, sans exclure tous les autres, dont les régionaux (dijOnscOpe, pour n’en citer qu’un, pas des moindres), les spécialisés, &c.
Très intéressant cet article, j’ai noté des liens.
Merci Jef!
Merci de cette appréciation, Siempre.
« On » devrait visiter plus souvent les sites de la presse plus ou moins « alternative » régionale.
Je soupçonne fort [i]Le Post[/i] de rétribuer des pigistes passant pour des posteurs comme les autres mais chargés de traquer les faits-divers dans la presse régionale.
Balancer des faits-divers bruts pour faire du visitorat pour Come4News n’aurait aucun intérêt.
Mais parfois, en presse régionale, on découvre des tas de trucs qui ne « montent » jamais en presse nationale.
Ainsi, pour mon compte, voici pas trop longtemps, j’avais trouvé une affaires de marchés de TP plus ou moins truqués dans [i]L’Union[/i] (pour l’autoroute des Ardennes belges et françaises) dont j’avais fait état sur [i]C4N[/i].
Édifiant! Sommes-nous des jouets dans les mains des médias? Font-ils la pluie et le beau temps? ou alors sont-ce des écrits travestis par les gueux pour exciter des sots (Si,à propos des paroles, Rudyard Kipling) Peut-être enfin que l’offre et la demande s’ajustent-elles l’une à l’autre tout simplement (ou « complexivement »?)
Merci qui? merci Jef !
Hmm, plutôt de manière assez complexe, Zelectron.
Le gros problème des régionaux, c’est de satisfaire autant que possible le cœur de cible sans être trop insipides.
Pour les nationaux, ils tentent de se différencier.
[i]Mediapart[/i] empiète relativement peu sur le lectorat de [i]Rue89[/i] et inversement.
Un truc nouveau : la sollicitation permanente des témoignages.
Là-dessus, [i]Le Monde[/i] et « mon » [i]Figaro Direct[/i] se tirent la bourre.
Les radios avaient inauguré l’appel aux témoignages et primaient celles et ceux qui fournissaient une bonne info.
Cela se généralise. Il faut non seulement donner son avis, mais aussi fournir des sujets à l’occasion.
« de manière assez complexe » cette périphrase me gêne et je profite de la liberté de « come4news »
pour utiliser un néologisme qui me semble plus simple. Notre langue non seulement se sclérose mais se fait envahir par des mots étrangers au propre et au figuré y compris à notre culture. En revenant sur votre article j’ai oublié de vous remercier pour les liens.
Pourquoi Mediapart, qui s’excite sur les relations de Takieddine (c’était pas un mystère…), se désintéresse-t-il totalement de son comparse Al Assir et des documents publiés sur Owni le 8 juin dernier ?
Ils se trouvent à cette adresse :
[url]http://owni.fr/2011/06/08/91-pages-de-documents-de-la-dgse-sur-l’attentat-de-karachi/
[/url]
Tout est là, ou presque…
Lundi 2 mai 1994 : on m’annonce qu’on va m’éliminer, puisque je refuse d’être « sage » et de me suicider moi-même…
Mercredi 4 mai 1994 au soir : première tentative d’assassinat… et ça va continuer…
La signature du contrat Agosta est alors imminente. Seulement voilà, je résiste, et j’échappe à tous mes agresseurs…
Pour eux, au fil des semaines, des mois qui passent, la situation se complique, car bien évidemment, j’ai porté plainte, et plusieurs « services » ont été alertés…
Les négociations du contrat Agosta se prolongent…
Au mois d’août, un balourd que j’avais sur les talons se fait serrer… Léotard met Lanxade sur écoute…
Mercredi 14 septembre 1994 : mes harceleurs se prennent une baffe magistrale…
Mercredi 21 septembre 1994 : le contrat Agosta est signé, un accord a enfin été trouvé.
L’OTS est liquidée.
Euh… L’OTS est liquidé, sans e.
Moi aussi, d’une certaine manière, mais pas exactement comme l’auraient voulu mes agresseurs ou leurs commanditaires.
Je fais observer ici que les milices qui furent mobilisées quotidiennement pour traiter mon « cas », dont une indo-pakistanaise de mai à septembre 1994 (dernière intervention le vendredi 16 septembre 1994), n’ont certainement pas travaillé gratis. Les tueurs non plus ne travaillaient pas gratis, et les fonctionnaires qui apportaient leur concours à toutes les surveillances illicites dont je faisais l’objet non plus. Mes harceleurs ont dû dépenser beaucoup pour me mettre chaos, et j’ai continué à leur causer bien des soucis au cours des années suivantes, puisque je n’étais toujours pas morte. Avant le mois de mai 1994, ils se plaignaient déjà de n’avoir pas été rémunérés à hauteur des risques encourus pour m’éliminer. Cela a continué…
Vendredi 22 mars 2002 : je suis empoisonnée.
Mercredi 24 avril 2002 : je sors de l’hôpital, en sale état, mais vivante, ce qui n’était pas prévu par mes empoisonneurs.
Mercredi 8 mai 2002, journée de commémoration du 8 mai 1945, c’est l’attentat à Karachi.