De quelques traits de plume, Éric Woerth et la majorité UMP ont « réformé » la médecine du travail. Saine rupture. Le Woerthgate ordinaire, c’est aussi la démonstration par les faits qu’on peut fort bien se passer de médecins spécialistes des conditions de travail. D’ailleurs, des infirmières ou infirmiers salariés des employeurs (c’est aussi le sens de la réforme) suffisent sans doute bien à retaper les ouvriers et employés pour les renvoyer sur les chantiers. Exemple a posteriori : le scandaleux procès fait à ceux qui fournissent de l’emploi dans les travaux publics, au fallacieux prétexte que certains pré-retraités seraient morts d’un présumé « cancer du bitume ».

Je ne sais ce qu’un site comme Brave Patrie ferait du procès dit du « cancer du bitume ». Il est toujours malséant de parodier le discours des tenants du libéralisme forcené et du néo-conservatisme, mais on peut penser, pour s’en dispenser, qu’il suffira de reproduire les plaidoyers des défenseurs d’Eurovia, de Jean Lefèvre et de la DDE du Doubs (et d’autres, des ressorts d’Orléans et de Besançon).

Me Jean-Jacques Rinck, défenseur des familles de trois ouvriers morts par lent empoisonnement, a demandé devant le tribunal de Bourg-en-Bresse (Ain), que leurs employeurs soient déférés devant une cour d’assises. On laissera le soin d’un commentaire au magistrat présidant l’USM (Union syndicale des magistrats), qui vient de considérer que la plainte pour « violence morale » de Liliane Bettencourt contre sa fille instrumentalisait la justice, ne se justifiait pas en droit, et encombrait indument les greffes et tribunaux. Je ne sais si le renvoi devant les assises s’impose ou non.

Je laisse à Frédéric Boudouresque, du Progrès, la responsabilité de son appréciation : « L’affaire ressemble de très près à deux scandales retentissants du domaine de la santé, ceux de l’amiante et du sang contaminé. Comme dans le premier cas, les victimes sont des ouvriers, et même souvent des étrangers, ce qui peut expliquer la passivité des autorités sanitaires. Comme dans le deuxième cas, l’accusation est grave, “l’empoisonnement”, et les ingrédients sont les mêmes : négligence coupable mâtinée de recherche du profit immédiat. ». Je me souviens en tout cas d’un accident de voie à Épernay dont les victimes, fauchées par une motrice, étaient des ouvriers maghrébins d’un sous-traitant de la SNCF. Là, de mémoire, il n’y eut pas de procès d’assises. Peut-être qu’un tribunal « populaire » restreint, comme en veut à présent Hortefeux, serait idoine : ce n’est pas facile de suborner douze jurés d’assises, s’il y en a un peu moins… 

De quoi s’agit-il ? D’ouvriers exposés à des substances dénoncées cancérigènes, depuis, selon Me Rinck, fort longtemps.  « Le mobile, c’est l’enrichissement des dirigeants des entreprises du BTP. Le poison, c’est le bitume, notamment les résidus du raffinage du pétrole et les Hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) utilisés comme fluidifiants. Ils sont hautement toxiques et cancérigènes. Depuis le XVIIIe siècle, avec les études sur les ramoneurs de Londres, on connaît le danger. ». À proximité de la Savoie, contrée d’origine traditionnelle des ramoneurs, l’argument est bienvenu.

Or donc, il y a déjà trois morts, il y en aura sans doute d’autres, et Eurovia, filiale Vinci, a été condamnée en première instance par Tribunal des affaires de sécurité sociale (Tass) de Bourg-en-Bresse. Appel interjeté aussitôt et nul doute que Vinci saura trouver les moyens d’un recours en cassation que ne pourraient peut-être pas se permettre de suivre (c’est fort cher) les familles des victimes.

Voici quelques semaines, nous avions titré « http://www.come4news.com/woerthgate-feue-la-medecine-du-travail-391567 » sur le sort de la médecine du travail. Tout comme la chirurgie, cette spécialité commence à être désertée par les jeunes médecins soucieux de rentabiliser leurs années d’études. Tout comme les carrières hospitalières, fuies par les jeunes praticiens au profit des cliniques et du secteur privé, la médecine du travail est peu attractive. Pourquoi donc ? N’aurait-on pas organisé cet état de fait ?

Il y a une similitude entre les décès par cancer du bitume et le Woerthgate. De longue date, tout le monde des sachants savait à quoi s’en tenir sur l’état de santé de Liliane Bettencourt, ce qu’il allait advenir de l’hippodrome et du golf de Compiègne, &c. Mais les bénéficiaires ne sont pas tout à fait les « mêmes ». Est-ce si évident ?