Il fut un temps où la valeur boursière d’une firme ou société reflétait à peu près la valeur de ses avoirs réels et où le recours à une levée d’actions correspondait à de futurs investissements réels. Nous n’en sommes plus là. Pour les matières premières, les céréales, les métaux, &c., à présent, l’économie virtuelle prend le dessus.

Les fonds de pension, la bancassurance, les conseils en placements divers jouaient déjà sur les monnaies, les taux de change.
Mais qu’est-ce que la valeur d’une monnaie, aujourd’hui, au fond ?
Rien d’autre que la conception que s’en font les marchés monétaires. Bangkok est sous les eaux, mais le bath thaïlandais (THB), qui valait 0,02 euros vers juillet 2009, frôlait les 0,025 deux ans plus tard.

Il oscille à présent sous la barre des 0,024.

Dans le nord de la Thaïlande, sept parcs industriels (aménagés quelque peu en dépit du bon sens sur d’anciennes rizières) sont sous les eaux.
Mais comme le dit le ministre thaïlandais de l’énergie, « chaque crise est une opportunité ».
Plus de 500 morts, mais comme l’a titré RFI, « les eaux contournent le centré économique protégé » (de Bankok).

Déposants et spéculateurs

Pour les matières premières, les marchés à terme, haussiers, fixent d’ores et déjà le prix des denrées, tant pour les producteurs que les consommateurs.

Ce n’est guère basé sur les quantités disponibles, mais sur ce que projettent les marchés, une hausse des prix du blé, du cuivre, ou d’autres ressources, alimentaires ou autres.

Ce ne sont plus les fluctuations de l’offre et de la demande réelle, soit les moissons ou les ventes de biscuits ou de pâtes aux consommateurs finaux, qui fixent les prix, mais la spéculation. Exxon Mobil considère par exemple que le prix du barril de pétrole s’alourdit de 30 USD, uniquement du fait de la spéculation. Le baril oscille entre 94 et 112 USD (selon qu’il s’agisse du Brent européen ou d’autres productions). La spéculation, c’est donc de l’ordre du tiers du coût, et pour l’automobiliste, c’est généralement amplifié.

Vous connaissez les effets d’optique, comme ces droites striées de segments obliques que l’on voit ou non parallèles ? Pour les marchés, peu importe qu’elles le soient : c’est le nombre de ceux qui les considèrent telles ou non qui compte, et cela varie de nanoseconde en nanoseconde.

Pour le café, c’est pareil. Starbucks augmente ses prix en fonction de la spéculation.

Steven Pearlstein, du Washington Post, s’est entretenu du phénomène avec divers experts. Son titre : « You bet it’s another bubble ». Une nouvelle bulle financière, de nouveaux paris…

Selon la loi américaine, les fonds d’investissements doivent tirer 90 % de leurs gains du produit d’actions ou d’obligations. Mais en créant des filiales aux îles Caïman ou dans d’autres paradis fiscaux, la plupart de ces fonds contournent la loi, investissent dans l’économie virtuelle, de plus en plus déconnectée de la réelle. Au passage, les gains sont défiscalisés.

Hier, en 2008, les immeubles d’habitation et de bureaux servaient d’indicateurs. Ce fut la première grande crise boursière. Mais le jeu consistant à « contourner la législation, accroître les risques et trouver les failles entre diverses agences de contrôle » se poursuit, relève S. Pearlstein.

Les entreprises productrices de biens réels font comme les fonds d’investissement, elles délocalisent pour échapper aussi aux contraintes légales. Le pari est le suivant : une nouvelle bulle financière « qui générera de juteux bénéfices pour Wall Street et laissera tous les autres sur le carreau, » conclut Pearlstein.

Les agences de notation amplifient le mouvement. Elles dégradent, à juste titre, des États vivant au-dessus de leurs moyens (comme la France, préservée précairement d’une dégradation), mais continuent de recommander des fonds spéculatifs qui vendent du vent, des produits, des valeurs et des biens qui n’existent pas.

Les déposants, les épargnants, voient leurs investissements servir la spéculation. Si elle rate, les responsables sont impunis, mais les retraites, les comptes d’épargne, fondent.

Aucune régulation

Les banques françaises refusent de scinder leurs activités de placement et d’affaires, ne veulent absolument pas de contraintes sur leurs bonus ou leurs dividendes, et amplifient les risques. Les politiques publiques sont en fait pilotées par des individus qui passent du secteur public au privé et inversement, au gré des changements lors des élections.

Les Étasuniens ont commencé à retirer leur argent des banques pour les confier à des Credit Unions, qui sont de fait des mutuelles, des coopératives de crédit. Le 5 novembre dernier a été baptisé le « Bank Transfer Day ». Malheureusement, en France, les dérives du mouvement mutualiste, les décisions aventuristes des dirigeants des Crédit mutuel, BPCE (Banques populaires et caisses d’épargne), du Crédit agricole et d’autres n’offrent guère d’alternatives.

Le collectif « Sauvons les riches » (à l’intitulé ironique), à la suite de l’appel d’Éric Cantona préconisant de vider ses comptes, préconisait la migration. Vers, par exemple, le Crédit coopératif… partie prenante de la BPCE. Les pratiques de la Banque postale, qui incitait ses commerciaux à dissimuler la nature réelle de produits de placements « garantis », n’incite guère. Reste la NEF, mais qui ne propose pas de compte courant. Le site du collectif « Sauvons les riches » n’a pas été actualisé depuis le 22 mai dernier.

Visa Europe lance la nouvelle carte V Pay. Avantage pour les banques, voire pour les commerçants, elle serait plus sécurisée. Avantage pour les particuliers : aucun, de palpable et tangible, en tout cas.

Déposer autrement

Pour Éric Toussaint, auteur avec Damien Milliet de La Dette ou la vie (éds Aden), confie à La Vanguardia : « Il ne fait aucun doute que d’ici un an, ou peut être moins, on spéculera également contre la France et contre mon pays, la Belgique. Je crois qu’il est question de semaines ou de mois dans le cas de la Belgique. ». Car, les marchés « agissent en totale liberté pour tirer profit de la situation et obtenir des bénéfices à court terme. » et en fait « les États aident les banques à les déstabiliser. ».

On dépose, ils disposent. Oui, mais, « déposer », c’est aussi dépouiller de l’autorité.
Il est grand temps.