Le 11 octobre 2009, dans le village vénézuélien de Chururú à 50 kilomètres de San Cristóbal, ville située à la frontière avec la Colombie, une équipe de vendeurs ambulants de cacahuètes (los maniceros) jouait au football sur un terrain improvisé. Peu après le début de la partie, 25 personnes en armes ont fait irruption au milieu du jeu.

Les hommes armés possédaient une liste de noms, et ils ont appelé un par un les joueurs colombiens avant de les ligoter et de les forcer à grimper dans plusieurs camionnettes.

Douze joueurs ont ainsi été regroupés, puis les hommes en armes sont montés à leur tour dans les véhicules qui ont démarré et sont partis vers une destination inconnue.

Pendant plus d’une dizaine de jours les questions ont fusé et le doute a plané concernant la destination et le sort que l’on réservait aux malheureux séquestrés dont on restait sans nouvelle.

Las, le 24 octobre, les autorités vénézuéliennes révélaient que huit corps ligotés avaient été retrouvés dans quatre endroits différents proches de la frontière colombienne, tous abattus par balle. Quelques jours plus tard, les analyses effectuées par l’institut de médecine légale confirmaient qu’il s’agissait bien des corps des Colombiens enlevés le 11 octobre.

Les séquestrés ont-ils été massacrés par les milices vénézuéliennes ou bien sont-ils les nouvelles victimes des groupes paramilitaires ou des guérilleros colombiens qui opèrent dans cette zone frontalière, pratiquant l’enrôlement forcé ou l’enlèvement contre rançon. Dans l’hypothèse d’un groupe terroriste colombien, l’enrôlement forcé seul semble pouvoir expliquer le massacre des jeunes vendeurs qui auraient refusé de suivre les hommes armés, et la disparition de ceux qui auraient finalement accepté de les suivre.

Cependant, une autre hypothèse proposée par les enquêteurs indiquerait que les joueurs colombiens avaient été accusés d’être des paramilitaires, ce qui aurait pu provoquer l’ire des groupes d’extrême gauche vénézuéliens (les paramilitaires colombiens sont soupçonnés d’avoir voulu éliminer le président Hugo Chavez à plusieurs reprises) ou aurait justifier une action d’épuration de la part des FARC qui opèrent à cheval sur la frontière entre les deux pays.

Hélas, l’histoire ne s’arrête pas là. Quelques jours plus tard, l’avion spécialement envoyé de Colombie pour récupérer les huit corps n’a finalement pas été autorisé à atterrir en territoire vénézuélien. En effet, le gouvernement de Hugo Chavez a soudainement soupçonné la Colombie de vouloir profiter de cette tragédie pour introduire des espions sur son territoire.

Le 27 octobre, les autorités vénézuéliennes signalaient qu’un nouveau corps avait été trouvé à quelques centaines de mètres de l’endroit où avaient été découverts les autres cadavres. La victime ayant été abattue de plusieurs balles dans la tête n’a pas encore pu être identifiée, mais il est certain que c’est un autre des vendeurs ambulants.

La Colombie envisage à présent d’envoyer un camion pour récupérer les corps, mais a fait savoir aux autorités de Caracas que leur attitude était préoccupante et que le différend diplomatique qui opposait les gouvernements colombien et vénézuélien ne devait pas freiner la coopération entre les deux pays dans leur lutte contre les groupes terroristes.

Aux dernières nouvelles, pour donner suite aux réclamations du gouvernement colombien, le Venezuela aurait accepté de rendre à la Colombie les huit premiers corps.

À moins que Caracas n’ait finalement accepté de coopérer parce qu’un dixième cadavre a été récupéré et parce qu’il semblerait que deux nouveaux massacres contre des Colombiens ont été perpétrés sur le territoire vénézuélien, nouveaux massacres faisant augmenter le nombre de victimes à une vingtaine !

On peut comprendre que ces différents massacres, ajoutés aux accusations d’espionnage, ne font que rendre plus épineuses les relations déjà tendues entre les deux pays. On a vu des guerres éclater pour moins que cela, espérons que ces massacres de Colombiens ne sont pas les étincelles qui, finalement, mettront le feu aux poudres.

Si tel était le cas, on pourrait soupçonner les FARC (forces armées révolutionnaires de Colombie) d’être à l’origine de ces massacres. En effet, un conflit armé entre les deux pays leur permettrait probablement de récupérer un peu du territoire perdu ces dernières années. Pourtant, le gouvernement colombien accuse les milices pro-Chavez d’être à l’origine de ces massacres, tandis que le gouvernement vénézuélien désigne sans hésiter les terroristes colombiens du ELN.

Dans ce dialogue de sourds où la voix de la raison semble s’être définitivement tue, la seule chose que tout le monde entend encore semble être le bruit des bottes qui se rapprochent à grand pas.