Maroc, Tunisie, Egypte : qu’attendre et que craindre de la victoire des islamistes ?

 

 

Une lame de fond islamiste semble avoir atteint l’Afrique du Nord. Et pourtant, à y regarder de plus près, on constate que de la prévisibilité d’un tel résultat procède un certain nombre d’arguments visant à en minimiser la menacer réelle et escomptée.


Après le Maroc et la Tunisie, l’Egypte est le troisième pays d’Afrique du nord a assisté à une victoire électorale des islamistes. Résultats logiques et prévisibles diront certains. Début de la fin des aspirations démocratiques et libérales diront d’autres.

 

Les premiers ont certainement raison, au moins jusqu’à un certain point, là où les seconds font, peut être, état d’un pessimisme bien trop excessif. En tout cas ce qui est sûr c’est que c’est que les raisons mêmes pour lesquelles ces résultats étaient attendus (point de vue des premiers) sont aussi celle qui nous amènent à moins de pessimisme.

 

Une victoire à relativiser et à « recontextualiser »

 

Et de fait que pouvons nous noter concernant ces différents scrutins ? A tout bien considéré quatre choses :

 

1)      1) Tout d’abord la nécessité de relativiser ces victoires et l’emploi presque autoritaire que les islamistes pourront en faire. En effet le cas tunisien illustre, par exemple, la relativité, en termes de force politique réelle, de cette victoire des islamistes. Car les 89 sièges obtenus par Ennahda au sein de la Constituante tunisienne qui en compte 217 doivent tenir compte de l’abstention, mais aussi de la dispersion des voix. Près d’un million et demi de voix (1,3 exactement) sont allées sur des listes indépendantes, permettant aux islamistes d’être surreprésentés en termes de siège.

De même n’oublions pas qu’ils ne pourront en aucun cas utiliser cette victoire comme bon leur semble. Ces élections s’inscrivaient dans un contexte politique, toujours d’actualité au demeurant, de négociations permanentes. Les islamistes marocains du PJD, forts de 29% des votes, seront obligés de l’intégrer à leur attitude politique.

 

2)         2) Ces élections n’étaient que les prémisses à un processus que nous devons resituer à plus vaste échelle. Celui de la confrontation des islamistes avec le pouvoir doublé de celui invitant les citoyens de ces pays à considérer l’islamisme comme partie prenante des conciliations politiques. Et sur ce versant il n’est pas sûr que ces victoires des islamistes en appellent inéluctablement d’autres comme le craignent les plus pessimistes. Souvenons nous du précédent jordanien qui avait vu le triomphe des islamistes en 1989 avant que ces derniers ne cèdent le pouvoir aux législatives d’après (1993) pour cause de mauvaise gestion.

 

3)      3) De même considérons ces victoires électorales islamistes comme un début de normalisation de leur offre politique. L’exemple égyptien l’illustre, les frères musulmans empruntent de plus en plus explicitement le chemin ouvert par l’AKP turc. C’est particulièrement vrai des salafistes égyptiens, devenus la deuxième force du pays. Et qui en acceptant le processus démocratique prouve qu’ils se sont déjà « adoucis » puisqu’ils ont choisi le chemin de la politique comme les frères musulmans l’avaient fait dès 1982 après l’échec de l’insurrection armée en Syrie.  

 

4)    4) Enfin dernier point de relativisation : n’oublions pas le contexte historique très fortement favorable aux islamistes du simple fait que ces élections venaient en réaction à la chute d’un régime honni. Dressés en épouvantails par les anciens régimes les islamistes ont ainsi pu bénéficier d’un double préjugé favorable. Tout d’abord celui du parti antisystème par essence. Et surtout celui du parti le plus radicalement opposé à tout ce qui pouvait exister, politiquement parlant, du temps des anciennes dictatures. Dans un contexte où les votes étaient, en très grosses partie, conditionnés par une volonté de rupture avec l’ancien régime cela compte. Sans compter que ce dernier est perçu sous les traits d’une forme d’amoralité politique qui, là encore, profite aux islamistes habilement présentés comme partisans d’une moralisation des pratiques politiques. C’est ce qui explique qu’en Tunisie les trois premiers partis sont identifiables comme étant radicalement opposés à l’époque Ben Ali qui vient de se clore. En effet sur ces trois partis deux étaient illégaux il y a encore un an et le troisième n’existait pas.

Pour autant tout ceci ne doit pas feindre d’ignorer que la menace islamiste est réelle au sortir de ces élections. Une veille citoyenne est plus que jamais nécessaire pour en éviter les désagréments.

Anthony Rigot le 6-12-11