Marine Le Pen va être ravie de l’apprendre, François Bayrou (qui veut lui aussi fabriquer et acheter français en France) peut-être un peu moins. Qui financera la banque BMCE d’Othman Benjelloun à hauteur de 35 millions d’euros pour appuyer l’implantation de Renault à Tanger ? Nulle autre que la BEI, la banque européenne d’investissement. Produire à Tanger, c’est tangent, mais tellement, tellement tentant !

C’est le quotidien marocain Au Fait (et d’autres) qui le rapporte fièrement. Philippe de Fontaine Vive, de la Banque européenne d’investissement, est venu en personne signer, à Tanger, un prêt de 35 millions d’euros. Bénéficiaire, la BMCE Bank, d’Othman Benjelloun. Dans un pareil cas, nul besoin de s’en tenir à une signature sur document PDF sécurisé. Il fait un peu meilleur à Tanger qu’au Luxembourg, autant, pour Philippe de Fontaine Vive, en profiter un peu…

La BEI avait déjà consenti un autre prêt à la Caisse de dépôt et de gestion marocaine pour contribuer à l’implantation de Renault à Tanger.
Son vice-président aurait « souligné l’importance de cette nouvelle plate-forme de l’industrie automobile, pour les opérateurs marocains et européens. »

Européens surtout, il va sans dire. Philippe de Fontaine Vive Curtaz apu se promener, veston ouvert, en chemise et cravate bleue à rayures blanches, dans Tanger.

Le Lodgy monoplace sera donc fabriqué à Tanger, par la grâce de prêts européens. Plus d’un milliard d’euros, dont 35 millions de la part de la BEI, qui se remboursera avec intérêts. Autant que ce soit elle qu’une autre, au fond. L’usine fabriquera ensuite un modèle utilitaire de type Kangoo. Puis prendra à Dacia Pitesti la fabrication de la berline Logan. Le Maroc, vingt-neuvième pays européen après la Croatie ? Et comme Renault va s’implanter en Chine dans cinq ans, pourquoi pas la Chine, trentième ?

Mais les Japonais ne sont pas trop contents non plus. En 2014, l’usine de Tanger devrait aussi produire des Nissan. En fait des hybrides (pas forcément électriques) Nissan-Dacia. Bon, déjà, Tanger emploiera une trentaine de cadres et techniciens espagnols, qui rapatrieront de l’argent en Espagne. C’est déjà cela.

400 000 véhicules par an, telle est, avant peut-être agrandissement, la capacité de l’usine de Tanger. Peu de robots. La main d’œuvre n’est pas trop chère. Et elle se débrouillera pour se loger sur place. À 250 euros du mois, elle sera solvable.

Certes, produire à Tanger, c’est tangent comme aurait pu le titrer Gérard de Villiers ou l’auteur des Bob Morane. Mais qu’on se rassure, pour Yves Thréard, du Figaro, l’industrie française « ne s’en sortira que si elle monte en qualité et en gamme ». Parfait, le consommateur français va pouvoir rouler qualitatif et haut de gamme, avec fauteuils en cuir Hermès, ou volant gainé Vuitton. J’opterai bien pour un tableau de bord en cristal de Baccarat (avec airbags en kevlar, réutilisables, il n’y a pas de petite économie).

Où je rejoins Thréard, c’est quand il estime que les Marocains préfèreront travailler à Tanger que dans le Nord de la France. Peut-être pas leurs ingénieurs. Car Renault-Tanger finira bien par recruter et mieux former des ingénieurs marocains. Voyez déjà les prouesses des ingénieurs chinois. Bienvenue chez les Ch’tis, les gars !

Je comprends nonobstant fort bien la réaction épidermique de Christian Estrosi. Lui, c’est un vrai patriote pur jus. D’ailleurs, pour emm… les Japonais, il avait conduit sa concession de motos Kawasaki à la faillite. La plus grosse, mondiale, de tout le groupe. Dans le fion, les Nippons !
Ce n’était pas toutefois pour relancer Motobécane sur la Côte d’Azur. Mais pour se qualifier en vue de devenir ministre de l’Industrie. Objectif atteint, grâce à son copain Nicolas Sarkozy. C’est une voie pour la France. Importer, claquer l’argent des importateurs, ou encore des banques étrangères… Une stratégie à la grecque, quoi.

Ce n’est pas « criminel », juste un peu chauvin sur les bords, la poignée en coin, eh, cong !

Eh puis, ces fortes paroles, c’est pour de rire, pas pour de la vraie. Tenez, voyez L’Expansion. Julie de la Brosse se demande s’il faut vraiment « crier au scandale ». Point trop n’en faut. Sur le site, son papier jouxte, sur la première page, une sorte de publirédactionnel pour la Coccinelle troisième version de Volskwagen, et j’avais vu furtivement une page de publicité automobile en page deux.

Et puis, perso, cela m’aurait donné la nostalgie de La Vigie marocaine (disparue), dans laquelle j’avais réussi à caser trois fois « Sa Majesté le roi » en cinq lignes (avec cette chute sublime : « encore une généreuse initiative de SM Hassan II ! »). Dommage que Tanger ne soit pas Fès, « capitale historique, religieuse, intellectuelle et culturelle du Maroc » (à réserver à l’édition de Fès, ou ailleurs pour tirer à la ligne). Le Matin (.ma) débute par « Sa Majesté le Roi Mohammed VI a inauguré… ». Le redchef a recueilli des confidences exclusives de Carlos Ghosn. Genre : « l’usine de Tanger est la première unité construite par Renault de ce siècle ». Ce ne sera pas en Algérie ! Tireli ! Le code du travail marocain participera du souci de « favoriser le climat d’investissement et de travail ».

J’espère que l’usine de Tanger bénéficiera de l’air climatisé. Nostalgie quand je lis que Renault a ainsi manifesté « l’attachement traditionnel au Maroc, pays atlantique, méditerranéen, carrefour de l’Afrique et du monde arabe. ». Certes, ce n’est Cholet, capitale du mouchoir, Sainte-Menehould, métropole du pied de cochon, ou Rethel, berceau du boudin blanc, mais c’est un début quand même, et cela porte naturellement au lyrisme. Dommage que le confrère n’ait pas osé « avant-poste de la construction européenne » et « carrefour incontournable entre l’Union européenne et les Canaries ».

Renault Algérie, futur sous-traitant ?

Tiens, je reprendrais bien du service au Maroc, moi. Faire offre. Un Lodgy de fonction m’irait bien, d’autant que je saurais lire le manuel d’entretien en roumain. Cela étant, je suis mobile. Selon Carlos Ghosn, Renault serait toujours intéressé par une implantation en Algérie, pays qui a dû passer son tour. L’Algérie, au cœur de la Méditerranée, Porte du Grand Sud africain, pays de tradition européenne et ottomane, &c., représente une opportunité pour l’Union européenne, pas encore l’Otan, mais cela ne saurait tarder. « Je ne fais pas de secret que nous sommes en discussions avec les autorités algériennes sur un projet d’usine en Algérie. Les discussions sont en cours (…) Renault est la première marque en Algérie, » a déclaré, à Tanger, Carlos Ghosn.
Nostalgie aussi, mais de la Pijo (Peugeot 203 à plate-forme), increvable, réparable partout, grimpant les côtes kabyles, les dévalant aussi (parfois sans trop de freins, les plaquettes étant au bord de la rupture).

« Sa Majesté le Roi Mahommed VI, que Dieu l’assiste, a présidé, jeudi dans la commune rurale de Melloussa (province de Fahs Anjra), la cérémonie d’ouverture de l’usine Renault-Nissan Tanger [qui] permettra la création de 6 000 emplois directs et 30 000 indirects. ». C’est toujours du Matin qui sait manier les symboles. J’ai 36 000 dirhams allumés au fond des prunelles. J’avais cru que cette usine garantissait des emplois indirects en France, et à mon sens, oui, par exemple à la direction de la communication: on y embauchera bien au moins une avenante et sémillante Marocaine pour accompagner les visiteurs dans le jet privé s’envolant pour Tanger.

Remarquez qu’un « bas de gamme » (en français : low cost, voyez la presse française) devient, au Maroc, un véhicule « d’entrée de gamme » en introduisant bientôt d’autres, milieu de gamme. Ce n’est pas que sémantique, c’est réaliste. Tiens donc, Abdelkader Aâmara, ministre de l’Industrie, a rappelé que le Maroc a concédé à Renault « la conception, la construction, l’équipement, la gestion et la maintenance de l’Institut de Formation aux métiers de l’automobile Tanger-Med. ». Qu’attend donc Nicolas Sarkozy pour confier l’école des pilotes de chasse de Salon à Lockheed, Boeing ou Mikoyan-Gourevitch.
C’est cela, l’autonomie des établissements d’enseignement qu’il nous faut.
Le Maroc le fait, sans même un référendum !

Le Républicain Lorrain, mauvais joueur, donne la parole à la CGT : « nous sommes bien loin des promesses de Louis Schweitzer qui, en son temps, affirmait que le véhicule roumain n’avait aucune vocation à être réimporté en Europe occidentale. ». Mais non, mais non, des promesses au réel, il s’écoule bien peu de temps. Souvenez-vous des précédentes campagnes électorales.

De Stella à Dahir, juste un pas…

D’ailleurs, si le Pdg de Renault-Nissan assure, en France, que Tanger maintiendra de l’emploi en France, Tunc Basegmez, son directeur local, affirme, lui, que le taux d’intégration locale sera porté à 50 %, dans un premier temps. Et dans un second, ce sera 70 % localement, 29,9 % de recours aux services de la future usine en Algérie, et 0,1 % pour la France ?

On a un peu, côté français, oublié que la Somaca (donc Renault Maroc) avait produit des R14, R16, R12, R8, R30 et R25. Que des bas de gamme, en quelque sorte. Ah non, la R30 devait concurrencer la Peugeot 604 (même moteur, six cylindres quand même initialement). 

Nous n’avons même pas envoyé un sous-secrétaire d’État à l’inauguration pour nous féliciter, avec notre ami le roi (pardon, Sa Majesté), de l’excellente coopération franco-marocaine. On aurait pu, je ne sais pas, délégué Dominique Strauss-Kahn, par exemple. Auparavant, rappelle Thibaut de Jægher, de L’Usine nouvelle, les petites Renault étaient des Renault, les grosses et cossues des Stella. Dahir, ce n’est pas mal comme nom. C’est l’étoile à cinq branches du drapeau marocain, évoquant les cinq piliers de l’Islam. C’est quoi, ta tire ? Une Dahir ! Ah, costaud, chapeau !

C’est rigolo. Nicolas Sarkozy vante l’emploi dans le BTP, qui ne se délocalise pas. Abdelhaq Sedrati, d’Au fait, le qualifie de « précaire ». Avec l’automobile, les emplois « ne disparaissent pas à la fin d’une livraison comme dans le bâtiment. ». Les Roumains, avec Nokia, bientôt peut-être Dacia, ont vu, verront. Mais pour le moment, les équipementiers espagnols (les moteurs fabriqués à Valladolid équiperont des modèles marocains ; San Jeronimo, à Séville, fournit des boîtes de vitesses) et les catalans sont contents. C’est déjà cela.

Et Peugeot-Afrique, c’est pour quand ?

Au fait, dans le « bas de gamme » (hum…), il y a aussi la Peugeot 508, fabriquée en partie en Chine. Mais au Maghreb, Peugeot a été légèrement échaudé dernièrement. Son concessionnaire exclusif, Stafim Peugeot, venait d’être racheté par un « gendre » de Ben Ali (le fiancé de sa fille Halima, Medhdi Belgaïed, 20 ans). Un Estrosi en puissance ? Peugeot France a refusé de céder ses parts, flairant un loup. Actuellement, la concession est sous administration judiciaire. Mais les employés, en août, demandaient le départ du numéro deux, Zied Ammar. Pascal Morel, représentant Peugeot, reste directeur adjoint, pour veiller au grain.

C’est parfois complexe, de travailler dans le Maghreb. En dépit des apparences. Au fait, Carlos, il a été décoré par Mohammed ? Pas encore ? Pas de petits cadeaux pour entretenir l’amitié ? Juste un sac de dattes et un porte-clef au losange échangés ?

Et rien de la part de la reine d’Angleterre alors que la Nissan Qashqai nouvelle génération sera conçue au Royaume-Uni ? Par 224 fournisseurs britanniques. Là, on aurait mieux compris que la BEI consente des prêts.