Le film de François Truffaut, Jules et Jim, adaptait le roman d’Henri-Pierre Roché, fortement autobiographique. Le romancier s’était inspiré des parents de Stéphane Hessel, Franz Hessel et Helen Grund, et de leurs relations avec lui. D’autres exemples de trios réunissant deux hommes et une femme ont existé dans l’histoire contemporaine ou antérieure, mais ces formes de vie commune n’ont jamais suscité un collectif revendiquant quoi que ce soit. Pour la polygamie masculine affichée, celle d’un homme cohabitant avec plusieurs femmes, les exemples sont plus patents : l’écrivain américain Henry Miller ou Lord Bath, septième marquis du nom, dont les « wifelets » ont récemment défrayé la chronique, pour ne citer que deux cas contemporains célèbres.
Mais il n’est guère besoin de savoir lire entre les lignes pour comprendre que ce ne sont pas ces pratiques minoritaires qui émeuvent Marine Le Pen. Pourquoi, si on légalisait l’union homosexuelle, ne verrait-on pas demain des « groupes politico-religieux » demander que la polygamie « soit inscrite dans le code civil français » ? Ce n’est pas faux. Il se trouve que les polygames, à la Jules et Jim ou à la Henry Miller sont, jusqu’à présent, comme le présume François Baroin de ses amis homosexuels, pas ou très peu enclins à revendiquer un statut marital identique à celui des couples monogames hétérosexuels.
Pour diverses raisons qui ne tiennent pas qu’à un idéal de sacralisation du mariage, il se trouve que des couples de lesbiennes et d’homosexuels souhaiteraient que leur vie commune puisse bénéficier des avantages et inconvénients liés à l’établissement d’un contrat de mariage.
Les avantages sont parfois fiscaux (faiblement en l’absence d’enfants à charge), et successoraux, autres. Les inconvénients sont moindres pour une Marine Le Pen, avocate, bénéficiant sans doute de la sollicitude confraternelle : Marion Anne Perrine Le Pen a divorcé deux fois, elle vit en concubinage notoire, mais on peut supposer que ses confrères l’ont gracieusement dispensée du versement de leurs honoraires.
Mais, après tout, la polygamie, pourquoi pas ? Librement consentie, en quoi pose-t-elle problème ? Ce n’est malheureusement pas sur ce terrain que s’est placée la présidente du Front national. Le mariage est une institution fort ancienne dans nos civilisations gréco-romaines et, pour résumer, il visait essentiellement à garantir la transmission des biens à des héritiers supposés « légitimes », soit issus des flancs de l’époux. Cela évitait une suspicion de bâtardise que la science actuelle peut très facilement dissiper. Par ailleurs, l’adoption pouvait compliquer les successions, mais ce n’est pas pour faciliter la tâche des notaires que l’adoption par des couples de même sexe n’est pas fortement encouragée.
La sortie de Marine Le Pen s’explique surtout par un souci de ne pas heurter les mentalités d’une partie (sans doute majoritaire) de son électorat qui préférera toujours un ménage à la Xavier de Ligonnès à d’autres réunissant des personnes de même sexe. Un mariage hétérosexuel raté, c’est forcément un accident (en dépit du nombre des divorces), une union homosexuelle ou polygame, c’est « nécessairement » une anomalie aux yeux de l’électorat majoritaire du FN. Effectivement, quand on constate la difficulté de mener une vie maritale sans heurts, on peut s’imaginer que le quotidien de partenaires multiples exige une forte dose de diplomatie et de compréhension mutuelle. L’opinion lepéniste peut ainsi se concevoir. En cas de conflit menant à une séparation, la tâche des magistrats risque d’être alourdie, l’acquisition de biens immobiliers via des emprunts garantis poserait aux banquiers des problèmes de calculs plus complexes, et on peut imaginer toute sorte de complication.
Mais ce devrait être sur ce seul terrain que les législateurs et ces « influenceurs » d’opinion que sont les politiques et les médias devraient se placer : est-ce faisable ou non, envisageable ou non, et à quelles conditions ?
La prétention de religieux à vouloir exercer un magistère moral sur les esprits ne doit pas être relayée par élus de la Nation. L’État, qui assure la direction de l’ensemble des pouvoirs publics d’un pays, doit être au service de la Nation, et non l’inverse. Le Front national n’a pas renié son programme de 2001 qui spécifiait que l’État doit respecter « les données naturelles » et « les principes spirituels et moraux qui pacifient les relations entre les hommes ». Est-ce bien d’abord au nom de la « pacification » ou plutôt selon une conception des relations « naturelles » et « spirituelles » que se place Marine Le Pen dans ce débat ? Il conviendrait de clarifier le discours.
Si l’on veut vraiment garantir aux époux, qu’ils soient de sexes différents ou identiques, et quel que soit leur nombre, la libre disposition de leurs biens, nul besoin de mettre fin à l’institution du mariage. C’est la séparation de biens et la participation aux acquêts qu’il convient de généraliser, à l’exception de tout autre régime matrimonial. Libre aux époux de se consentir des legs particuliers (dots ou autres) si leurs religions les imposent. Cela relève de leurs convictions dont le législateur n’a rien à savoir, hormis en matière fiscale.
Le régime légal anglais en matière de mariage prévoit qu’en l’absence de contrat, c’est la séparation de biens (et non la communauté comme en France) qui est considérée admise d’un commun accord et le juge se livre à l’examen des biens des époux en cas de divorce (Matrimonial Causes Act et Matriominial and Proceeding Act, depuis 1984). Au lieu de brandir des épouvantails à demi-mots, sans nommer qui l’on vise (soutenir le mariage homosexuel serait d’ailleurs un bon pied de nez à l’islam), commençons donc par là.
Et au fait, puisque nos politiques clament qu’ils désirent tant la transparence, tant en ce qui se rapporte à leurs biens, intérêts et autres domaines, que Marine Le Pen, et bien sûr les autres, nous renseignent sur leurs contrats de mariage(s) présent et antérieur le cas échéant.
Marine Le Pen avait proclamé « l’immense majorité des homosexuels réclament non pas le droit à la différence mais le droit à l’indifférence » (LCI, 28 jan. 2011). Jules, Jim et Catherine aussi. Qu’on les laisse donc indifféremment passer entre eux les contrats qui garantissent leurs intérêts en cas de cessation de la vie commune. Le reste n’est qu’électoralisme, esbroufe, racolage.
Après avoir tenté de lancer en l’air un débat sur la binationalité (relayé et soutenu par Marie-Christine Arnautu, vice-présidente du FN, fille d’un Roumain et d’une Italienne, divorcée, « qui n’a pas une goutte de sang français, » selon ses dires), voici une tirade sur la polygamie. Alors, évidemment, Marie-Christine Arnautu s’oppose aussi à l’adoption par les célibataires. « C’est déjà assez compliqué comme cela dans un couple, » avait-elle déclaré. Divorcée, comment donc fait-elle ? « Attention à l’électoralisme… », poursuivait-elle sur LCP.
Communautariser, c’est demander des droits particuliers. À même devoirs, même droits, non ? « La famille traditionnelle doit retrouver toute sa place parce que c’est le gage d’une société qui irait mieux, » déclamait M.-C. Arnautu : il faudrait croire que Marine Le Pen et Marie-Christine Arnautu iraient plus mal ? Je n’en sais rien. Mais si ce n’est pas par électoralisme qu’elles défendent la famille traditionnelle, c’est au nom de quoi au juste ? Ou ne serait-ce pas un double langage ? Allez parler à M.-C. Arnautu des Tziganes et des Rroms, des Manouches ou des Gitans, qui forment pourtant des familles vraiment très traditionnelles… Elle pourra vous tenir un discours humaniste lénifiant, mais son vote au conseil régional d’Île-de-France l’a démenti.
Je ne dénie absolument pas à M.-C. Arnautu de se dire (et être) une Française éprise de culture française, ni à Marine Le Pen le droit de refaire sa vie. Mais le FN me fait de plus en plus songer à certains partis et élus de divers pays de l’Est. La religion orthodoxe y est choyée, mais on ripaille avec le pope accompagné de sa maîtresse sans se soucier du fait que, de notoriété publique, il bat sa femme. Les Tziganes y sont entre soi méprisés et dénoncés, mais rien n’empêche de faire des affaires (en usant parfois de passe-droits) avec les plus richissimes d’entre eux. Comme, en France l’ultralibéral Madelin, champion national en tant que maire de la chasse aux subventions européennes, on s’y affirme avant tout nationaliste, sans dédaigner un siège à Strasbourg ou un poste à Bruxelles pour ses proches.
Ce n’est certes pas propre au FN, mais question différence, c’est un peu comme pour les homosexuels : selon que cela arrange ou non ponctuellement et électoralement, ils ont droit à leurs différences ou à l’indifférence. Et si, de même, « politiquement », dans les assemblées locales, pour obtenir des sièges, on s’accommodait d’un ménage à trois ? Bienvenue, bientôt, au FN dans la famille politique polygame.
En grand démocrate que vous êtes, c’est bien ce que vous nous répètez à longueur de journée n’est ce pas , proposez donc aux Français un référendum sur le sujet (c’est d’ailleurs ce que préconise le FN (les fachos!)sur tous les grands sujets de société . Ca s’appelle la démocratie.
Eh oui, Phil62, on attend donc que le FN propose des votations comme en Suisse.
D’initiative populaire, pas forcément qu’à l’initiative du parti majoritaire au Parlement.
D’ailleurs, si vous êtes adhérent du FN, je vous enjoins vivement à en faire débattre.
Revenez, dans ce cas, nous éclairer sur le sujet.
Je vous signale que, à propos du mariage des homosexuels, on risquerait d’assister à des convergences étonnantes. Pour le moment, les sondages qui valent ce qu’ils valent, laissent imaginer qu’une majorité de Françaises et Français seraient plutôt pour. Renseignez-vous.
Par ailleurs, arrêtez de supposer que le FN soit constitué de fachos : ce n’est plus du tout la ligne du FN. Le FN a changé. Tenez, en 2007, Jean-Marie Le Pen s’acquittait bien volontiers de 1 643 euros d’ISF et à en croire sa fille, il serait disposé à payer encore davantage. Enfin, si j’en crois ses dernières déclarations sur la fiscalité.
Il reste bien sûr au FN quelques fondamentaux antérieurs. Ainsi : « [i]au pouvoir, le Front national éradiquera le trafic de drogue. Pour cela, il rétablira la peine de mort pour les trafiquants.[/i] ». Cela ne marche pas trop en Iran, mais bon, c’est peut-être mieux que de faire protéger ces mêmes trafiquants par l’ISAF en Afghanistan. Premier exécuté, Jacques Servier (avec ses cadres dirigeants des laboratoires Servier) ? On peut y croire. Pour mémoire, Jacques Servier n’était pas un donateur que pour l’UMP…
Au moins vous avouerez que le FN est le seul à poser les vrai questions de société. Poser les vrais problèmes et anticiper les echecs de la politique des partis représentés à l’assemblée nationale. Le Fn c’est 10 % du peuple français qui n’est pas à l’assemblée nationale. Pourquoi ???? car des gens de votre espèce ayant peur de clamer que le FN peut avoir raison sur certains points prive notre pays de démocratie. On vous traitera pas de raciste si vous dites que marine le pen avait raison à propos de la guerre en Lybie (=Gabegie).
Pour Lekabyle : effectivement, le FN, c’est une proportion sans doute supérieure à votre chiffre qui n’est aucunement représentée. Cela étant, une fois élus, les candidats représentent-il vraiment celles et ceux qui leur ont accordé leurs suffrages ? Vaste débat…
Du fait de l’histoire de la IVe République, les politologues sont partagés entre des systèmes accordant une forte prime à la formation majoritaire (fut-ce à 50,01 pour cent) et d’autres instaurant une proportionnelle aménagée. En fait, cela tient aussi à des raisons peu avouables : notamment celle du financement des partis majoritaires (et le risque de multiplication de candidatures, farfelues ou non, mais alourdissant la facture électorale).
Je n’ai aucune réticence à dire que le FN peut avoir raison sur certains points.
Eh, il ne peut pas avoir tout faux. D’ailleurs, plutôt que d’avoir des bouquins sur ce qu’est supposé être le FN, je préférerais une analyse de ses votes là où il est représenté (conseils régionaux, par ex.). Lourde compil’, travail fastidieux.
Je ne suis d’ailleurs pas un expert du FN : voici longtemps que je n’ai plus rencontré de candidats ou d’élus FN. Je m’en tiens à des déclarations d’intention. La réalité, après, ben, tant qu’on aura pas vu…
Tiens, au fait, sur un thème finalement fort lié, la pétition de l’Institut Émilie du Chatelet sur les études portant sur le genre :
[url]http://www.institutemilieduchatelet.org/Enseigner_le_genre.html[/url]
Quelques extraits (c’est Christine Boutin qui est nominativement visée, mais on pourrait élargir) :
« [i]il n’appartient nullement aux politiques de juger de la scientificité des objets, des méthodes ou des théories. Seule la communauté savante peut évaluer les travaux de ses pairs: le champ scientifique, par ses contrôles, en garantit la rigueur. Si nous restons silencieux aujourd’hui, nous dira-t-on demain que l’évolution n’est qu’une idéologie ?
À quand les pressions pour imposer l’enseignement du créationnisme, au nom de la liberté de conscience ? (…)
Nous, chercheur-e-s et universitaires engagé-e-s dans des travaux sur les femmes, le sexe et le genre, spécialistes d’anthropologie biologique et culturelle, de neurologie et de génétique, de médecine et d’épidémiologie, de psychologie et de psychanalyse, de droit et de science politique, de démographie, d’histoire et de géographie, de sociologie, de sciences de l’éducation et d’économie, de philosophie et d’histoire des sciences, d’arts du spectacle et de cinéma, de littérature et de linguistique, et d’autres domaines encore, nous élevons avec force contre des conceptions anti-scientifiques qui s’autorisent du «bon sens» pour imposer leur ordre rétrograde.
Interroger les «préjugés» et les «stéréotypes» pour les remettre en cause, c’est précisément le point de départ de la démarche scientifique. C’est encore plus nécessaire lorsqu’il s’agit des différences entre les sexes, qui sont toujours présentées comme naturelles pour justifier les inégalités : la «réalité» selon la droite religieuse, c’est en réalité une hiérarchie entre les sexes dont nos travaux, issus de disciplines multiples, convergent tous pour contester qu’elle soit produite par la nature. La science rejoint ici le féminisme: on ne naît pas femme, ni homme d’ailleurs, on le devient. Bref, en démocratie, l’anatomie ne doit plus être un destin.[/i] ».
Lu sur [i]Riposte laïque[/i]
« [i]La revendication du mariage homo se situe dans cette manie contemporaine de l’égalité, ou plutôt, comme dirait Murray, de l’égalitisme. Tout le monde, il est égal, tout le monde il a droit aux mêmes droits, sous la même forme. On a longuement analysé dans nos colonnes les méfaits de cette manie, en matière d’identité, d’immigration et de diversité[/i]. »
On ne voit pas trop ce que le choix d’une forme de sexualité ou les contrats de mariage ou de vie commune ont à voir avec la laïcité. Mais comme il s’agit de relayer l’opinion du FN (oui au Pacs, non au mariage « contre nature », puisque le FN définit la nature), qu’importe.
En fait, hormis donner des gages aux cathos, que craint le FN ? Que des homos et lesbiennes se marient avec des étrangères et étrangers et cela, en masse ? Autant le dire, si c’est le cas… Cela se discute.
Ces commentaires ci-dessus sont toujours très marrant.
D’un coté on se plaint que le FN ne soit pas représenté à l’Assemblée Nationale.
De l’autre on accuse François Mitterrand d’avoir fait monter le FN à son profit lorsqu’il a fait voter la proportionnelle pour les législatives de 1986…..
Ce n’était pourtant que l’application d’une de ses 110 propositions de 1981.
Ainsi, pour une fois, on reproche à un élu d’avoir mis en oeuvre une promesse électorale alors que maintenant on crie haro sur le baudet contre ceux (suivez mon regard) qui n’appliquent pas ce qu’ils ont promis, ou même font l’inverse…..
Me souvenant de « l’activité » (!!!) des quelques trente Députés FN de 1986 à 1988, je souhaite ardemment qu’ils reviennent à l’Assemblée>. On sera édifiés !!!
Enfin, je me permets de vous proposer ceci:
http://lamauragne.blog.lemonde.fr/2011/06/10/la-charia-a-la-place-de-notre-republique-fantasme-la-morale-catholique-au-pouvoir-realite/
jf.