Raté, cette fois, Le Figaro n’a pas osé. À la fin de l’avant-dernière manifestation pour les retraites, des échauffourées place de la Bastille avaient donné lieu à des commentaires bien sentis de la part du lectorat sarkozyen du Figaro et sur divers sites ou blogues. Bis repetitam non placent, cette fois, la ficelle a paru un peu trop grosse, même à la rédaction du Fig’. Les CRS ont tout fait pour susciter des images, mais le résultat escompté ne s’est pas produit.
Chère Sylvie Rouat, vous vivez dans le même pays que celui de vos parents, celui de Maurice Papon, celui de l’instrumentalisation de la violence suscitée tant par des groupes voulant en découdre que par des policiers et des barbouzes très prompts à obéir aux ordres visant à susciter de quoi justifier l’indignation de l’électorat majoritaire. Occupation pacifique du théâtre d’Angers en 1968. Des bandes, celle des Plantes (blousons noirs de l’époque), sont rétribuées par les « démo-chrétiens » pour faire le ménage. Ils sont accompagnés de quelques blousons dorés (tout aussi délinquants, mais, sauf gros dérapage, absous par avance par les tribunaux), et de fils de familles proches de l’OAS ou de l’extrême-droite. Les pompiers repoussent leurs assauts avec les lances d’incendie. Le théâtre sera finalement évacué. Message discret à l’intention des occupants de la part des centristes et gaullistes réunis, des anti-chienlit : « tout est piégé, si vous n’évacuez pas, on met le feu, et la une du Courrier de l’Ouest est réservée pour l’incendie… ». Le Reichstag angevin n’aura pas lieu. Le Courrier de l’Ouest fera sa une sur une actualité plus heureuse.
Bien des années après ces faits, j’avais discuté, fort courtoisement, avec un futur ancien directeur central des CRS, qui avait connu l’époque, et le préfet de police de Paris, Maurice Grimaud († juillet 2009). C’était lors d’une sorte de pince-fesses, et nous nous accordâmes sur le rôle modérateur du successeur de Maurice Papon. Sur le fait aussi que la dissimulation des quelques rares morts de manifestants d’alors pouvait, dans une perspective d’apaisement, favoriser le « consensus social » que G. Pompidou allait réussir à plus ou moins réinstaurer. Celles de Gilles Tautin, Pierre Beylot et Henri Blanchet, à Flins ou Sochaux, trop flagrantes, resteront les seules recensées.
Depuis, depuis… les recrutements et les nominations dans divers services policiers ont de nouveau évolué vers la formation de « corps-francs » de Papon en puissance. Il faut du chiffre, mais aussi des images choc. La délinquance et la violence, indéniables, fournissent des éléments de langage et des argumentaires de com’. Parfois cela réussit un peu, comme lors de l’avant-dernière manifestation, parfois cela fait flop, comme à l’issue de la dernière.
Faute de « Katangais » disponibles (occupants de la Sorbonne en 1968, dont tous n’étaient pas des soudards et des sbires et séides dont ne sait quel officine, car ils avaient rallié quelques anars radicaux abusés), on saura en recruter, ou en susciter. Après les arrestations des Katangais, le tri fut fait (certains relâchés, d’autres mis plus longtemps au frais). Il est patent que la fameuse « ultra-gauche » s’est abstenue d’apparaître de manière ostentatoire, et elle s’est sans doute préservée, au dépit des officines, de s’attarder place de la Bastille. Faute de grives… on a créé quelques merles, du genre Sylvie Rouat, qui n’a pas eu la spectaculaire idée de griffer et mordre devant une caméra.
Dans bien d’autres cas, hors mouvements sociaux, il n’est même plus besoin de favoriser délinquance et violences. Il suffit de laisser pourrir et d’intervenir, parfois massivement, pour des résultats décevants (des gardes à vue n’entraînant pas de comparutions devant les tribunaux, ou trop rares… et c’est bien sûr la faute des magistrats). Certes, c’est très réducteur. Mais la politique du chiffre et de la création d’images est indéniable. Elle n’est pas dénoncée par toute la base policière, car certaines et certains y trouvent leur compte, ni trop fort par les syndicats. Elle est déplorée par celles et ceux qui, sous l’uniforme, restent des citoyennes et des citoyens. Certains excès de zèle intempestif font parfois, si ce n’est d’une sanction, l’objet d’un rappel au discernement. Un peu comme à la PAF d’Orly (voir le livre Omerta dans la police, chroniqué ici précédemment), lorsque la bavure est trop grosse, on blanchit en famille pour que les dérapages suscitant des remous ne se reproduisent pas.
Sylvie Rouat encore : « Je précise que je suis nièce d’un membre des Compagnies républicaines de sécurité, homme tendre et bon père. J’ai grandi dans des casernes et ai joué, enfant, avec ces casques qui m’ont tant effrayée ce mardi soir… (…) Il faut un contexte pour de tels débordements. La question est donc : quels étaient les ordres ? » (voir Rue89).
À Saint-Nazaire, aussi, 14 jeunes, dont trois mineurs, ont été interpellés, et l’un d’entre-eux a été blessé. Il se peut que certains aient « provoqué les CRS ». À Montélimar, le bureau du maire et son antichambre ont été saccagés. À Saint-Quentin, un lycéen qui brisait des panneaux de circulation a été arrêté. À Caen, le siège du Medef a été interdit d’accès par les CRS et un jeune a été hospitalisé. Il y a eu aussi des incidents à Brest et Meaux. Mais il y a eu aussi des syndicalistes policiers dans les cortèges. Il faut savoir raison garder. Les incidents parisiens sont peut-être de réels débordements, une mauvaise interprétation des ordres, car il n’est pas du tout sûr que Nicolas Sarkozy ait envie, à ce stade, de créer des prétextes à « débordements ». Mais il convient de se rappeler de l’orchestration de la pseudo-émeute de la gare du Nord, à Paris, le 27 mars 2007. Tout est question de dosage : créer des apeurés, conforter son électorat, si cela doit conduire à susciter des vocations militantes d’opposantes et d’opposants trop déterminés, n’est sans doute pas le calcul en cours. À moins qu’il ne soit estimé simplement trop « prématuré ».
On peut utilement consulter les 120 réactions recueillies à cette heure par le site du [i]Figaro[/i] à la suite de l’article (en fait simple reprise de l'[i]AFP[/i]) « Journaliste molesté/CRS : l’IGS saisie ».
Il est malheureusement très difficile de comparer ces réactions avec celles du soir de la dernière manifestation, celle du 23 septembre. La tonalité générale était à dénoncer que le reste de la presse n’ait pas assez insisté sur les incidents qui s’étaient déroulés à la Bastille, à la fin de la manifestation.
Réaction d’un psychosociologue sur Rue89.
« [i]Votre expérience est similaire à des milliers d’autres par le passé : En France les CRS ont toujours reçu l’ordre de taper , non pas seulement pour disperser des manifestants violents , mais pour dissuader les gens de manifester . J’ai vu des ménagères de 50 ans , étrangères à la manifestation , se faire tabasser dans une boulangerie parce que 2 ou 3 CRS avaient entrepris de courser un manifestant dans les étals au moment de disperser une manifestation jusque là très pacifique . J’ai vu des pompiers diriger leurs lances à eau en direction des CRS pour protéger des passants agressés et nullement concernés par une manifestation . Bien d’autres que moi ont assisté à des scènes similaires en France . Les ordres émanant des préfectures ou du ministère sont souvent éloignées[/i] » du maintien de l’ordre pour la sécurité des biens et des personnes « . [i]Cette justification républicaine débouche trop souvent sur une violence de l’ Etat . qui n’est autre que l’expression de forces de police s’en prenant au droit de manifestation dans l’espace public en semant la terreur à dessein .[/i] ».
Mais il convient aussi de souligner que l’intervention des CRS a été motivée par des feux de poubelles.
Voir
[url]http://www.lecourant.info/2010/10/12/fin-de-manif-difficile/[/url]
[i]Rue89[/i] encore : « Un lycéen blessé par un tir flashball à Montreuil ».
Il semble que, peut-être, des « éléments extérieurs » à certains éts. soient intervenus dans des lycées et que, contrairement à ce qu’indiqué initialement, les tirs se soient produits à l’extérieur des éts (et non à l’intérieur).
N’empêche, utiliser de telles armes était-il bien nécessaire ?
Cela vise-t-il a dissuader les tièdes ou les craintifs, ou véritablement à restaurer l’ordre au plus vite ?
Voire à radicaliser une fraction des plus déterminés qui pourraient, la prochaine fois, venir plus armés pour riposter ?
Je n’ai pas de réponse. Je n’étais pas sur place, le journaliste dépêché par [i]Rue89[/i] non plus.
Jeff, Voila de l’information, de la vraie avec tous les tenants et aboutissants, les questionnements et les non dits…. super
Je suis sans doute plus proche des consoeurs et confrères du « Clairon de Clermont-Ferrand » (titre inventé, j’imagine) qui ont protesté contre le fait que des journalistes se fassent matraquer. Mais ce que dit celui du « Charançon Libéré » n’est pas tout faux non plus. Allez voir…
[url]http://www.article11.info/spip/On-est-de-la-presse-Nous-tapez-pas#forum18993[/url]
Pour Agnès : merci, cela fait toujours plaisir.
Vu aussi, sur Mediapart, un papier de Mauduit sur l’éditorial de Fattorino, du [i]Monde[/i], sur les grèves. Mauduit a l’air de considérer que cela vaut appel du pied à Carla Bruni au cas où le directeur de la rédaction se ferait bientôt virer. Sur Rue89, entretien intéressant avec Arlette Chabot…