La société française Sillinger vient de vendre 50 de ses embarcations rapides à structure gonflable à la marine libyenne…  Fort bien. Mais d’un autre côté, la Libye se refuse à toute assistance passive (en accordant une « base » à l’armée française dans l’ouest du pays) à la France et condamne l’intervention française au Mali. En fait, même si certains dirigeants libyens seraient discrètement favorables à une coopération avec la France, ils ne peuvent le dire sans risquer leur vie… Certaines milices soutiennent activement les Signataires du sang et d’autres groupes islamistes opérant au ou depuis le Mali.

Quelle était la raison de l’exécution de l’ambassadeur étasunien Chris Stevens et de divers diplomates ou agents de sécurité le 11 septembre 2012 à Benghazi ? Sans doute que les États-Unis appuyaient en sous-main une candidature au poste de Premier ministre qui déplaisait à certaines brigades ou phalanges (katibats). Ce serait du moins ce qu’aurait écrit l’ambassadeur à Hillary Clinton deux jours avant sa mort, dans une note divulguée à présent par le Washington Guardian.

Quelle serait la raison, officieuse, forcément officieuse, des échanges de tirs à Tobrouk ayant visé le ministre libyen de la Défense, la semaine dernière ? Son vice-ministre, évincé, aurait voulu se venger. Mobile démenti par l’intéressé, par divers officiels, mais le ministre, Mohammed al-Bargahti, n’en démord pas. De même que divers hommes politiques libyens ont fait été de tentatives d’assassinats les visant.

Et voici que l’on apprend que les agences de presse se tournaient vers des djihadistes de Benghazi pour obtenir des numéros de téléphone des assaillants du complexe gazier algériens d’In Amenas et converser avec eux.
Une katibat de l’est libyen se targue, à tort ou à raison, d’avoir apporté un support logistique aux Signataires du sang.

Formidable retour sur investissement, comme s’en était vanté Alain Juppé, justifiant ainsi l’intervention contre le régime de Kadhafi dont Nicolas Sarkozy était le fer de lance le plus résolu.

Pour tout le monde, les djihadistes de Mokhtar Belmokhtar auraient disposé d’armes « pillées » en Libye. Pourquoi donc « pillées » et non « remises » ou troquées ? Et pourquoi donc les milices ou brigades auraient-elles « pillé » des stocks d’armes ? Elles s’en sont au contraire emparées, et conservent, tout à fait ouvertement, ces armements. Il n’est d’ailleurs pas exclu que leurs prises aient été effectuées avec l’appui de forces spéciales françaises, britanniques ou autres. Ni que toutes les armes à disposition des Signataires du sang aient été acquises de longue date.

Il avait aussi été avancé que partie des assaillants se trouvaient à bord de véhicules de la filiale de la Sonatrach algérienne en Libye : qui donc les leur auraient fournies ?

Tout comme l’Égypte, la Libye condamne l’intervention au Mali.

Cinq portés disparus

Le bilan de l’attaque contre le site d’In Amenas n’est pas encore clos puisque cinq personnes, des ressortissants d’autres pays que l’Algérie, sont encore portées disparues. Il y a fort à parier que diverses victimes, parmi les otages non-algériens, n’ont pas succombé que sous les coups ou tirs des preneurs d’otages. Les deux victimes roumaines rapatriées en Roumanie (Tiberiu Ionut Costache et Mihal Marius Bucur) sont mortes des suites d’explosions et d’effets de  souffle ayant provoqué « de multiples traumatismes », selon la faculté de Ploiesti.
Mais l’attaque ne s’est pas soldée par la destruction du complexe gazier, qui aurait provoqué sans doute de plus nombreuses victimes. Les Signataires du sang ont donc échoué, même si cet échec a galvanisé de potentiels Merah dans divers pays.

Les Signataires du sang fut un sigle utilisé voici vingt ans, en 1994, lors du détournement d’un avion d’Air France qui s’était soldé par l’assaut de l’appareil et la mort des membres du GIA (groupe islamique algérien). Mais sur les 32 djihadistes, 11 étaient des Tunisiens. La jonction s’est sans doute faite : en décembre dernier, la Tunisie avait arrêté 16 membres d’un camp d’entraînement situé près de la frontière algérienne et, ces derniers jours, d’importants stocks d’armes clandestins (provenant de Libye ou d’autres pays) ont été saisis près de Medenine (à 100 km de la Libye).

Colonialisme islamiste

Les visées des divers groupes à l’œuvre au Moyen-Orient, au Maghreb, au Sahel, sont sans doute diverses. Mais leur vecteur, c’est l’islam, et en particulier la « ré-islamisation » (à leur manière) de sociétés devenues soit trop séculières ou, dans le cas du nord de l’Afrique, du Sénégal au Tchad, religieusement vacillantes.

« Il faut garder présent à l’esprit que des mouvements comme Ansar Dine et leurs alliés d’AQMI ont pour but déclaré de ré-islamiser le Sahel africain comme si l’islam ne s’y était pas répandu depuis le Moyen-Age, » estime l’universitaire Bakary Sabe pour Dakar Actu. Il évoque, de la part de ces groupes, une « croyance à une infériorité spirituelle du musulman africain ».

On pourrait ajouter, en Turquie, dans nombre de pays musulmans, une infériorité de diverses formes de l’islam, dont, par exemple, le soufisme, l’islam chiite alévi, &c. Soit une visée fondamentalement impérialiste et impérialement fondamentaliste.

De telles visées remontent à des siècles, et sporadiquement, de tels affrontements ont lieu, et ce fut le cas en particulier au Sahel, et dans le nord du Mali où des formes d’islam concurrentes prenaient corps.

« Dans le subconscient arabe, au Maghreb comme au Machrek, il n’a jamais été considéré que l’Africain puisse être "bon" musulman, » poursuit Bakary Sabe. L’Afrique, mais aussi, quand cela arrange, aussi, le Kurdistan par exemple, la Mésopotamie encore emprunte de formes diverses de christianisme ou considérées déviantes, devient terre d’irréligion (Ad-dîn ‘indahum mafqûd).

En Égypte, il n’y a pas, tout comme en Libye, en Turquie, que les coptes ou les chrétiens arméniens, les syriaques, à être visés : les soufis le sont tout autant. Apostolique, prosélyte, tel est cet islam dont divers groupes islamistes radicaux prônent les apôtres et prophètes.

Mahmoud Dicko, président du Haut Conseil islamique du Mali, qui se targue de représenter 90 % des Maliens, a dénoncé « la campagne de dénigrement émanant de certains pays musulmans (…) qualifiant l’intervention militaire française (…) comme une agression contre l’islam. ». Il visait en particulier, sans le nommer, le prédicateur Youssef Qaradâwî qui officie depuis le Qatar. « La personnalité la plus influente du monde musulman qui a dénoncé cette intervention se trouve aujourd’hui au Qatar. »

Pour ces colons islamistes, la vie vaut fort peu : les élèves des écoles coraniques ont été armés, avec promesse de rejoindre le paradis musulman s’ils meurent au combat. Les plus jeunes ont 11-12 ans. Ils seront sans doute bombardés, victimes de frappes « ciblées » qui ne peuvent faire que des victimes dans leurs rangs.

Se trouvent aussi au nord du Mali des Algériens, des Tunisiens, des Soudanais, des Égyptiens, et bien sûr des Libyens, mais sans doute aussi quelques musulmans africains du sud. De plus, dix salafistes radicaux viennent d’être expulsés du Sénégal vers Dubaï, d’où ils provenaient. Mais il ne peut être exclu que ces opérationnels puissent disposer de relais, soutiens discrets, dans les appareils d’État de divers pays, soit par intérêt personnel, soit du fait de convictions.
Ainsi, pour La Tribune, un analyste tunisien, Mehdi Taje, soutient que les attaquants d’In Amenas « ont bénéficié de complicités de très haut niveau » de l’État algérien. Au point qu’en dépit des déclarations officielles algériennes, les avions français auraient préféré survoler surtout le Maroc.

Il en est sans doute de même en Tunisie, bien sûr en Libye, voire même au Maroc, avec des modalités différentes (soutiens monnayés, extorqués par la menace de représailles, ou jeux personnels).

Un front désuni

Les dirigeants, y compris salafistes, de divers pays du Maghreb, d’Égypte, du Moyen-Orient, sont-ils aussi hostiles qu’ils peuvent le déclarer ? Ce n’est pas sûr. Certains se sentent otages des forces qui les ont appuyés pour parvenir au pouvoir.

D’autres encore craignent des répercussions internes. Alors que le Burkina participe à la Misma, son président, Blaise Compaoré, héberge encore des délégués du MLNA touareg et d’Ançar Dine qui déclarent que « la porte du dialogue reste ouverte ». De son côté, Ban Ki-moon, pour l’Onu, révoque toute possibilité immédiate de dialogue.

Des imams, servant d’aumôniers militaires, accompagnent les troupes du Niger ou du Tchad. La Belgique, qui reconnaît le vote des étrangers aux élections locales et compte des conseillers municipaux (et autres) musulmans étrangers, consent une aide humanitaire mais aussi une assistance militaire au Mali.

Au Nigeria, lundi soir, dans le district de Damboa, Boko Haram a exécuté 18 personnes sur un marché local . Il s’agirait de chasseurs venus vendre des sangliers et singes haram. Effectivement, au Nigéria, si chrétiens ou animistes sont des cibles, ce sont surtout des musulmans estimés trop tièdes qui forment la majorité des victimes. 

Si l’Armée de l’Oumma (organisation palestinienne) approuve et appuie les djihadistes au Sahel, la Palestine n’a pas, que l’on sache, rappelé son ambassadeur au Mali. Quant au soutien verbal du Hamas au principe de la non-intervention, il semble surtout formel, quoi que puissent en tirer comme conclusion des médias israéliens.

Autant que la France, le Royaume-Uni compte de nombreuses populations musulmanes. Cela ne l’empêche de se préparer à intervenir, y compris au sol, s’il le fallait (par exemple en cas de revers français ou de troupes de la Misma). Selon The Times, diverses unités des trois armes (Terre, Air, Mer) ont été mises en état d’alerte, contrairement aux déclarations officielles (soutien de loin).

Y compris des composantes musulmanes du MLNA touareg, mises en minorité pour le contrôle du nord du Mali par Aqmi, le Mujao et consorts djihadistes, réaffirment que « les habitants de l’Azawad (…) sont les premières victimes de ce terrorisme ». Les alliés et concurrents d’hier ne valent pas de risquer des représailles des troupes maliennes. Alger aurait repris langue avec des composantes d’Ançar Dine, selon TSA-Algérie.

Bref, la menace djihadiste n’est pas un fantasme, elle bénéficie de complicités dans divers pays, mais comme l’a établi l’attaque finalement ratée contre le complexe gazier algérien, ces complicités sont limitées. En revanche, s’il ne fallait guère s’attendre à un « retour sur investissement » en Libye, il y a fort à parier que le malien soit aussi fort limité.