Il est plus que prématuré de crier « victoire » au Mali, et François Hollande, s’il se rend à Bamako, saura tirer leçon de l’accueil triomphal de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, en Libye. Le « retour sur investissement » libyen, selon la formule d’Alain Juppé, n’est guère évident. Les retombées bénéfiques de l’intervention au Mali seront contrecarrées par des effets pervers. À une défaite (comme celle de Rome) ne correspond pas forcément une victoire (comme celle de Pyrrhus). Mais la défaite « du djihad », s’accompagne-t-elle en Afrique sahélienne, d’une autre, celle d’un « monde arabo-musulman » ? Dénominations aussi mythiques que « l’Occident » qui, incarnée par la France, aussi peu une et indivisible que le Mali lui-même, masquent de profondes fractures.    

Cela rassure. Et inquiète. Au Mali, une partie du MLNA (les « laïques » de l’Azawad touareg) renie tant le MIA (Mouvement islamique de l’Azawad) qu’Ançar Dine (Touaregs alliés d’Aqmi ou du Mujao islamistes). Algabas Ag Intall et Mohamed Ag Arib auraient facilité l’avancée de l’opération Serval vers et à présent dans Kidal, mais voudraient rétribution politique afin de l’aider à désigner les cibles des frappes aériennes visant les concurrents subsistant dans le très vaste Adrar (massif montagneux, aux nombreuses grottes) du nord-est malien. En échange immédiat : l’avancée des contingents tchadien et nigérien, mais une présence plus que discrète de l’armée malienne réconciliée (bérets rouges et bérets verts rabibochés) dans l’Azawad.

François Hollande, s’il vient se faire acclamer à Bamako (il le sera, enfin, le plus tôt serait le mieux, car, par la suite…), sera confronté à deux problèmes. Celui du sort du capitaine Sanogo, auteur du dernier putsch en date, et celui de la farouche réticence de très nombreux Maliens à toute concession en faveur du MNLA touareg.

Pour le moment, hormis le décès au combat du lieutenant Damien Boiteux (du fait, surtout, du faible blindage des hélicoptères Gazelle, héritage de l’ère sarkozyste), qui vaut à de nombreux nouveaux-nés maliens un prénom aussi couru que celui de François, l’armée française n’a subi que des pertes matérielles ou accidentelles (le terrain n’était pas si facile). Il sera sans doute tenté ensuite de minimiser les pertes et le seul bénéfice évident, c’est que le pouvoir malien en place (jusqu’à quand ?) concédera une base militaire aérienne et autre à Mopti.

Économiquement, politiquement, on ne sait trop vraiment déjà où se situera le retour sur investissement.

Mais idéologiquement, jusqu’à périlleux nouvel ordre, qui dépendra de multiples facteurs, peu maîtrisables, le « djihad » a subi une défaite. Jusqu’à mieux informé, aucun combattant supplémentaire yéménite, pakistanais, afghan, du Hamas ou du Hezbollah, ou d’ailleurs, n’est venu renforcer les rangs d’Aqmi ou du Mujao. L’imposture est patente : ils avaient mieux à faire ailleurs, et les difficultés de se mouvoir d’un pays à l’autre n’expliquent rien (Égypte et Libye sont plus que poreuses).

C’est aussi la vulgate d’un prétendu « monde arabo-musulman » qui en prend un sacré coup. Au point que les Maliens, enfin, de très nombreux Maliens, fiers voici encore peu d’avoir pour doyen du corps diplomatique le plénipotentiaire palestinien, se demandent s’il ne conviendrait pas de convier Israël (plus par mesure symbolique de rétorsion que pour d’autres raisons, diversement intéressées).

Plus grave pour le Qatar, l’Arabie et d’autres États : l’islam autochtone se pense plus que jamais égal inter pares. Ou plutôt plus éclairé, supérieur à d’autres formes de religiosités musulmanes.

Ce n’est pas rien. Vus du Mali, enfin, des grandes villes, et de leurs habitants les mieux informés, les Français deviendraient presque des Bretons, des Basques, des Occitans, des Corses, des Alsaciens, &c., bien davantage en tout cas que des « croisés ».

C’est sans doute ce qu’il ne faut pas gâcher. Le romantisme qu’inspirent les hommes bleus enturbannés ne doit pas être confondu avec celui des Bretons aux chapeaux ronds, en sabots, dansant le… rigodon (du Dauphiné, peu assimilable à l’andro ou au plin). Pour les Kanaks, « qu’à fait la France ? », interroge Abdoulaye Barro du Pays burkinabé.

« L’État central n’a pas de considération illimitée pour les sociétés rurales, donc autant pour le planteur de Kolondiéba que le chamelier d’Anefis », écrit Adam Thiam du Républicain du Mali. Remarque transposable à la réalité française, d’ailleurs (mais c’est un autre débat).

Il y aura bien sûr une présence de l’armée malienne à Kidal. Aussi encadrée que possible (par l’état-major malien aussi, s’il parvient à se mettre d’accord). Beaucoup de Maliens estiment que le sort des otages français (détenus par divers groupes islamistes) motive l’attitude française à l’endroit du MLNA. Les opinions sont versatiles.

Il faudra donc une prudence de fennec pour la suite. D’autant que la question touarègue porte aussi le germe d’un problème franco-algérien. Et que Kati, où sont retranchés les « ex-putschistes » maliens dans le camp Soundjata Keïta, reste une épine : une colonne blindée française aurait fait route vers Kati avant de rebrousser chemin.

Mais quand vous lisez, dans Le Prétoire, « opposé à la guerre contre le terrorisme au Mali, Morsi terrorise son propre peuple » (l’Égyptien Morsi étant le dirigeant d’un « peuple frère »), et la conclusion que « maintenant, à chacun sa crise », il est au moins permis de penser que l’intervention française au Mali a clarifié beaucoup de choses. Et révélé des évidences soigneusement occultées par la propagande islamiste qu’on qualifiera abusivement, par commodité trop simplificatrice, d’« arabo-musulmane ».