Réalisateur : Park Chan Wok

Date de sortie : 2 novembre 2016

Pays : Corée du sud

Genre : Thriller

Durée : 144 minutes

Budget : 8,7 millions de dollars

Casting : Kim Min Hee (Hideko), Kim Tae Ri (Sook Hee), Ha Jeong Woo (le comte)4

 

Durant les années 1930 en Corée, les japonais ont pris militairement le contrôle du pays , répondant à une volonté impérialiste d’expansion du territoire. Shookee, une jeune coréenne des quartiers pauvres est engagée pour remplacer la femme de chambre de Mademoiselle Hideko qui vient de décéder. Hideko est l’unique héritière d’une richissime famille exploitant des mines et possédant une collection de livres impressionnante. Shookee fait partie d’un réseau d’escrocs, avec l’aide du Comte, son compère, elle doit gagner la confiance de sa maîtresse et la pousser dans les bras de son prétendant pour qu’ils se marient et touchent le pactole. Malheureusement, le plan ne se déroule pas comme prévu.

 

Park Chan Wok nous revient avec un magnifique thriller erotico-psychologique aux multiples rebondissements. Jamais lassant, malgré ses 145 minutes ! Il est passionnant de voir si le plan machiavélique orchestré par les deux arnaqueurs va fonctionner ou non, comment ce jeu de dupes, de mensonges et de manipulations va se dérouler. La construction en 3 parties donne un rythme bienvenu. De plus, il est cassé en livrant une nouvelle interprétation au terme de la première partie, nous revoyons les mêmes moments mais du point de vue de l’autre personnage. Ainsi si la première partie est celle de Shookee, la deuxième est celle de dame Hideko. Au final, la confusion règne, les idiots se transforment en loup et les loups sont devenus des idiots. Au début, Shookee apparaît  comme dominant la partie, mais elle perd vite pied car comme dans un jeu d’échec ou de poker menteur, il ne faut pas faire confiance à son adversaire, même si son visage est angélique. Les trois personnages sont pris dans une spirale de supercheries et de trahisons. Il se dégage malgré tout de ces qui pro quo anxiogènes une dose d’humour allégeant le ton du film.

Au delà de cette histoire de faux-semblants, il y a une réelle histoire d’amour et de violence. Entre les 2 filles se nouent rapidement une attirance charnelle qui se manifeste de façon très équivoque dès la scène du bain. Afin de soigner une dent branlante, Shookee insère son doigt dans la bouche d’Hideko et fait un geste de va et vient, tout en perdant son regard sur la poitrine de sa maîtresse. Cette attraction se concrétise lors d’un cours d’éducation sexuelle qui n’a rien à envier à La vie d’Adèle. La pratique dépasse la théorie et l’élève est assidue. Cette nuit passée dans les draps de soie dans la chambre de la noble scelle le destin de ces 2 femmes à jamais. Park Chan Wok a cette faculté de rendre le sexe esthétique, jamais vulgaire, toujours artistique. L’ombre d’Eros et de ses dérives perverses planent sur l’ensemble du film.  L’oncle d’Hideko en est l’illustration parfaite, obsédé et libidineux, il n’inspire que de la méfiance et du dégoût en forçant sa femme puis sa nièce à déblatérer des métaphores obscènes, du Sade à la sauce nippone agrémenté d’estampes coquines et de mise en scène avec mannequin en bois lors de séances de lecture préalables aux enchères. Car, l’oncle est également faussaire, recopiant avec minutie des livres érotiques pour les vendre à des hommes érotomanes en costume 3 pièces. Tout la violence vient du contraste opéré par le réalisateur, d’un côté la blancheur, le kimono, le calme et de l’autre les propos torrides de la passion charnelle.

Park Chan Wok est de ces grands réalisateurs dont la signature est reconnaissable au premier coup d’oeil. Mademoiselle comporte tout son ADN. Tout d’abord, la vengeance, thème de prédilection du coréen après Sympathy for Mr.Vengeance, Lady Vengeance et Old Boy, est bien présente. En plaçant son récit dans les années 1930, en Corée, c’est la relation de maître et esclaves qu’il traite. La péninsule rurale et exsangue est vaincue, dominée (Shookee en servante) par ce Japon triomphant, impérialiste, occidentalisé et riche (Hideko). Le premier sentiment des arnaqueurs coréens, même s’il n’est pas clairement cité, c’est de s’enrichir sur le dos des nippons en les malmenant. Une haine qui se transforme en amour, cannibale, carnassier, les deux n’étant jamais très loin, la frontière est poreuse. Ensuite, cette capacité de transformer le film en un ballet gracieux où chaque chose est à sa place, rien n’est laissé au hasard. Les violons imposent une ambiance baroque lourde et mélodramatique. Visuellement c’est très réussi, tout est beau, la demeure avec son immense terrain et ses différents jardins, l’intérieur alliant décoration occidentale et orientale, les costumes avec robes corsetées et kimono, les souliers vernis et les bijoux. Le réalisateur aime également détourner les objets de leur utilisation primaire, comme le marteau arracheur de dents ou les ciseaux coupeurs de langue d’Olb Boy. Ici, le dé à coudre lisse les dents, les boules de geisha donne des orgasmes et la corde offre du plaisir ou la mort.

Mademoiselle est un huis clos oppressant, violent, psychologique, sulfureux et une terrible histoire d’amour. Les deux actrices font vivre leurs personnages avec passion. Park Chan Wok signe une adaptation ensorcelante du roman Du bout des doigts de Sarah Waters.