Le grand Jack. Un modèle pour tous ceux qui sont allergiques au métro-boulot-dodo.
Un homme libre, aussi à l’aise dans les frusques du vagabond que dans les frasques de l’artiste. Anar-narrateur et pisse-copies au pistolet révolutionnaire, il s’acharna à vivre intensément en espérant ne jamais connaître les tourments de la vieillesse. Et il fut exhaucé.
Mais de même qu’Einstein avait Mileva Maric pour lui refaire ses calculs, Jack eut Charmian Kitteredge pour lui corriger ses textes.
De quoi enchanter les féministes. Sauf les bornées pour qui la complémentarité des femmes et des hommes est perçue comme une intolérable atteinte à leur liberté.
Charmian, fille d’officier, née en 1871 a 5 ans de moins que Jack.
Paul Bourget l’aurait décrite comme une jeune femme indépendante se moquant bien des conventions de son milieu. Pour tout dire une femme libérée avant l’heure.
Pianiste virtuose, elle a 19 ans quand elle rencontre Jack.
Cet homme jeune a déjà un sacré passé de bourlingueur.
A 24 ans, il a été chasseur de phoques en Sibérie, chercheur d’or au Klondike, ouvrier dans une conserverie, matelot, videur de cabaret, pilleur d’huitres puis garde-pêche, pigiste et bien d’autres petits boulots, tout en trouvant le temps d’avaler en 4 mois un cursus universitaire complet avant d’aller se perfectionner à Berkeley.
Il a déjà publié "The road" dont il semblerait que Jack Kérouac se soit un brin inspiré.
Surtout, il vient d’épouser Elisabeth Maddern, "une femme robuste qui me donnera de beaux enfants" dit-il, mais dont il n’est pas vraiment amoureux.
Changement de cap, la gracile pianiste est autrement plus attirante !
Malraux a écrit : "les hommes ont les voyages quand les femmes ont des amants"
Charmian aura les deux. Et plus encore. Fromage, dessert et pousse-café !
London s’apprête à partir sur le "Snark" pour une longue errance à travers le Pacifique, qui le conduira ensuite en Europe…
Elle ignore tout de la voile, qu’à cela ne tienne, elle apprendra et participera à la manoeuvre sans barguigner. L’inconfort et l’exiguïté ne la rebutent pas, les risques ne l’effraient pas davantage. Après tout, les cannibales sont des gens très fréquentables si on ne s’invite pas à l’heure du repas !
Elle s’embarque avec lui. Apportant dans ses bagages un appareil photographique qui leur permettra de témoigner autant de leurs traversées que des cultures des peuples rencontrés aux escales; et de la lutte pour la vie, ou la survie, partout dans le monde.
C’est durant cette période de vagabondage nautique qu’il écrira ses chefs d’oeuvre tels que "le fils du loup", "l’appel sauvage", "Croc Blanc", "l"appel de la forêt".
Plus tard, inspiré par cette circumnavigation : "la croisière du Snark", "contes des mers du sud", "Jerry chien des îles"…
Son talent de conteur est immense. L’art de la mise en scène, la maîtrise des rebondissements, l’enchaînement des anecdotes, la création de personnages inspirés de la réalité avec des dialogue crédibles, tout y est.
Il est au sommet de son art. Mais le bessoin d’argent l’oblige à écrire vite. Trop vite.
50 livres en quelques années… D’où des poncifs, des métaphores faciles, des redites obérant les premiers jets. Heureusement, Charmian veille. Inlassablement elle relit, suggère, corrige, bonifie.
Entre deux voyages, il trouvent le temps de se marier et de faire une fille.
Jack meurt d’une overdose à 40 ans, après être devenu "socialiste".
Au sens de son époque, ce qui signifie : "révolutionnaire, défenseur de la cause du peuple".
Rien à voir avec nos millionnaires sociapitalistes ultra-libéraux, violeurs de femmes de ménage, planqueurs d’argent mal acquis dans des paradis fiscaux, et détricoteurs des services publics et des protections sociales.
Après la mort de son mari, Charmian London devenue son exécutrice testamentaire veille au rayonnement de son oeuvre, et publie en 1921 une biographie exhaustive de son homme.
Ecrite en partie à 4 mains du vivant de Jack, ce n’est pas une hagiographie. Car malgré l’amour qu’elle lui porte elle est assez lucide pour faire la part aux zones d’ombre d’un personnage fascinant qui avait, comme tout un chacun, ses faiblesses.
[b]Toi aussi tu manie la plume avec moult élégance ! Comme les jeunes gens de notre génération j’ai bien du lire une douzaine de romans* de London ! Sa femme mérite amplement le coup de projecteur que tu propose !
*mais aussi James Oliver Curwood[/b]
Bonjour Zelec, merci pour tes compliments.
Jack London et Henry de Monfreid ont bercé ma jeunesse, je ne me lassais pas de les lire et les relire, et ils ont certainement influencé quelques uns de mes choix de vie disons un peu atypiques.
J’ai eu la chance de rencontrer Henry, vieillard claudicant mais d’une incroyable agilité intellectuelle, et d’évoquer plus tard son souvenir avec sa fille (nous avions alors le même éditeur)
Par contre, j’avoue n’avoir découvert Curwood qu’à l’occasion du film d’Annaud, nobody is perfect, mais il me semble qu’avant il était moins diffusé en province.
Très intéressant cet article ! Son roman « La vallée de la lune » montre bien que pour Jack London la femme est l’égale de l’homme. C’est aussi un auteur prolixe de recueils de nouvelles au parfum unique : « Les pirates de San-Francisco », « La piste des soleils », « Parole d’homme », « Face de Lune »… Pour nous il compte parmi ces auteurs indémodables dont chaque livre renferme un trésor. Merci, cela nous change des articles sur les programmes télé !
Très sympa. Vous devriez, dans la foulée, lire le bouquin d’Anne Larue, [i]Dis papa, c’était quoi le patriarcat ?[/i] aux éds IxE.
En fait, beaucoup de femmes ont vraiment créé des œuvres fortes (en tous domaines). Trop nombreuses ont été celles que l’historiographie a relégué au second plan.
Un moment d’évasion fort agréable.
Je retrouve le style de Christian Navis qui titille notre imagination, et nous emporte hors des sentiers battus (et rabachés), avec une légèreté digne d’un grand auteur de roman.
Merci pour ce texte.