Reconnaissons à Bernard-Henri Levy une certaine cohérence : il avait condamné la réception de Kadhafi à Paris par Sarkozy. Le voilà plaidant de clouer au sol les chasseurs-bombardiers libyens. Qui le fera ? L’escadrille des Brigades internationales de BHV (le bazar du prêt-à-penser) ? 

L’émule de Botul (philosophe fictif, création de collective de Pagès et d’autres), le contempteur de Cassen, celui du Monde diplomatique comme celui de Riposte laïque (cherchez…), nous dit depuis Benghazi qu’il faut clouer au sol l’aviation de Kadhafi qui est un Ben Ali plus un Moubarak « puissance dix ». Il oublie peut-être Mohamed VI et Karim Boudjema (auteur d’une tribune du Monde intitulée « Le Maroc est aussi rongé par la corruption et oxydé de misère »). Mais bon, admettons. Je laisse à d’autres le soin de chercher, dans leurs archives, les citations antérieures de BHL sur Kadhafi et Ben Ali qui auraient échappé aux recensions de Google. On aura peut-être des surprises. Pour le moment, je ne retiens que l’appréciation de Tariq Ali dans CounterPunch : « Nobody is quite sure whether Tintin will be in Paris or entertaining the King in his huge villa in Morocco… he should beware the Maghreb now. The times they are a-changing. ». Tintin, ici, c’est BHL. Ce n’est pas sympa pour le héro d’Hergé.

Byron, sans la Grèce, aurait été Byron tout comme Mary Shelley n’a pas eu besoin d’orientalisme pour écrire Frankenstein. Ce Prométhée moderne que prétend être Bernard-Henri Levy a eu le mérite – peut-être sur le tard – d’espérer que des cultures influencées par l’Islam puissent se rallier à ce que Churchill estimait être le moins pire des régimes politiques. Il a été qualifié d’agent du Mossad, sans preuve, et d’agent des milieux conservateurs américains en prônant des interventions en Bosnie, en Afghanistan, voire en Iran ou Syrie. J’en doute : il n’en a guère besoin. Sans le monde musulman, BHL n’est même pas aussi prégnant qu’un Dominique de Roux qui, lors de la Révolution des Œillets au Portugal, a voulu jouer les Malraux avant de se fourvoyer à soutenir Jonas Savimbi en Angola. Je sais : je lasse. Histoires anciennes.

Je prends BHV pour un faiseur, et je me souviens d’avoir débusqué dans son livre sur David Pearl une traduction qui le mettait en avant au mépris de toute intégrité. Donc, ce qui suit n’est pas dénué de subjectivité. Bernard-Henri Lévy veut un engagement militaire, aérien, des nations occidentales. Pour donner de l’air à un Conseil national libyen dont on ne sait qui, au juste, a pris la peine de converser avec lui. Omar Hariri ? Ali Essaoui ? Mamhoud Djebril ? Ahmed Zoubeir ? Seloua Adrilli ? Fathi Terbil ? Fathi Badja ? Moustafa Abdeljeil souhaite des « frappes aériennes ». BHV relaye.

Elles viendront de qui ? De l’US Air Force ? De l’Otan, soit d’une force aérienne conjointe franco-britannique (comme lors de l’expédition de Suez) ? Au profit, au final, de qui ? Sur Marianne2, Jean-Louis Denier craint que l’Europe tire les marrons du feu au profit de, finalement, un État voyou qui va tenter encore une fois de faire supporter ses déficits et ses manipulations monétaires par la communauté internationale, soit les États-Unis. La France, qui n’a même pas réussi à faire en sorte que ses alliés africains de la zone puissent tarir l’envoi de mercenaires aux côtés de Kadhafi, devrait donc s’impliquer ? Non, je ne suis pas sur la ligne « la Corrèze plutôt que le Zambèze ». Mais je crains que nous n’ayons d’autres priorités : permettre à la Tunisie d’assurer une transition démocratique, par exemple. Soutenir les aspirations démocratiques en Afrique. Au Maroc ?

BHL souhaite une intervention égypto-tunisienne : « il n’est plus absurde d’imaginer une Tunisie et, surtout, une Égypte ayant la réaction exactement inverse : souhaiter la victoire des insurgés ; aider la part libérée du pays à se doter de ces embryons de structures politiques sans quoi elle retombera, tôt ou tard, en servitude ; voire faire acte de solidarité active en aidant le peuple libyen, qui a déjà tant fait et tant payé, à achever de se débarrasser du criminel contre l’humanité qui règne à Tripoli depuis quarante ans. ». Et pourquoi pas des Brigades internationales ? Qu’il les finance.

Je ne crois pas que Jimmy Carter, 86 ans, puisse obtenir de Kadhafi que lui et sa famille abandonnent le pouvoir en Libye à une structure de « réconciliation ». Pour un Kadhafi, un Carter, c’est un Berlusconi de sensibilité différente. Un Zinedine Zidane. Une personnalité à séduire. Mais n’importe quelle intercession qui pourrait contribuer à l’arrêt des combats (provisoire, oui, et alors ?) me semble préférable à toute autre option immédiate. Pour le moment, la priorité est d’évacuer les civils, de toutes nationalités, libyenne incluse, qui veulent fuir les combats. Je ne suis pas sûr que l’intervention de Bernard-Henri Lévy soit de nature à favoriser cette priorité.