Regarder « la France au fond des yeux », c’était la petite phrase de Valéry Giscard d’Estaing, candidat à la présidence en 1974, et slogan de sa campagne. On le disait froid, il se disait « réservé » car il ne voulait pas « en dire trop ». Il aurait sans doute gagné à ne pas prendre la princesse Diana pour héroïne de son dernier livre, mais la chaleureuse Iris Robinson, dans les yeux de laquelle l’Ulster se regarde… un peu effarée. La sexagénaire épouse du Premier ministre de l’Ulster et députée, Mrs Robinson va démissionner après avoir tenté de récupérer une trop forte somme d’argent auprès de son ex-amant, de quarante ans son cadet. Here’s to you, Mrs Robinson ! comme le chantait Paul Simon dans la bande sonore du film Le Lauréat

 


Jusqu’à naguère, Iris Robinson était à peu près inconnue. Iris Who ? s’interrogait cependant, en 2008, une travestie d’Irlande du Nord, Titty Von Tramp (the lady’s she ?), lors de la Parade estivale des gays. Eh oui, la prude Ulster a aussi ses homosexuel·le·s, et Iris Robinson, députée et épouse de Peter Robinson, Premier ministre, l’avait déploré publiquement (considérant qu’il s’agissait d’une « abomination »). Cette semaine, elle est passée pour la Laura Smet irlandaise en tentant, à-t-elle allégué, de se suicider. Est-ce le fait d’avoir fêlé l’image d’un couple exemplaire ? A-t-elle plutôt essayé de rendre moins insupportable politiquement le fait d’avoir confié 50 000 livres (pratiquement une fois et demi plus d’euros voici deux ans) à un jeune amant, Kirk McCamblay, alors âgé de 19 ans, sans le déclarer au fisc ? Toujours est-il qu’après s’être notamment entretenue avec  Gerry Adams, chef de file du Sinn Féin, mis en difficultés politiques après les révélations des relations entre son frère, Liam, et l’une de ses nièces, Mrs Robinson a décidé de laisser son siège de députée…

 
L’affaire secoue l’Irlande du Nord pour pratiquement les mêmes raisons que les États-Unis s’étaient, vu de France, inconsidérément émus des relations entre Bill et Monica : le président Clinton avait encouru les foudres des pasteurs Paislay locaux, mais aussi celles d’une majorité d’Américains car il avait aussi « menti au pays ». Iris Robinson s’était éprise d’un jeune homme, ami de sa famille, et qu’elle connaissait depuis qu’il avait neuf ans, frappé par le décès de son père. Son réconfort s’était mué en romance et l’affaire aurait pu rester du domaine strictement privé (et je me serais dispensé de vous en faire part), mais non seulement a-t-elle par la suite rompu car elle n’arrivait pas à se voir rembourser du prêt consenti au jeune McCamblay, mais elle a attiré l’attention de l’opinion irlandaise et britannique sur les revenus de son ménage. D’une part, la somme irrécouvrable avait été empruntée par elle à deux promoteurs immobiliers, sans faire l’objet de déclarations fiscales. D’autre part, les Robinson emploient quatre de leurs parents, dont trois de leurs enfants (leur fille, Rebekah, et leurs fils, Gareth et Jonathan, ainsi que leur belle-fille, Ellen), pour des sommes rondelettes (150 000 livres). Un reportage de la BBC allait s’intéresser aux revenus de la joyeuse épouse alors qu’elle avait fait état de sa liaison à son mari huit mois auparavant. La presse irlandaise et britannique estime donc que la dépression d’Iris Robinson a des visées politiques ad hoc. Et pour cause : elle et son mari sont emblématiques d’un parti unioniste (pro-britannique) fondé par le très bigot révérend Ian Paislay, la sœur du Premier ministre est à la tête d’une paroisse de Belfast. Mais le prêt obtenu de l’un des promoteurs, Ken Cambell, se serait aussi accompagné d’un soutien de Mrs Robinson à l’un de ses projets situé dans la circonscription de la députée, qui était aussi maire d’une commune proche. Et ce promoteur avait revendu peu après une maison, située dans un Neuilly-sur-Seine local, au couple formé par la Première Dame et son mari. Les Robinson l’avaient eux-mêmes rapidement cédée ensuite à un promoteur domicilié à… Gibraltar, siège de nombreuses filiales « off-shore » des établissements bancaires britanniques. Ils s’étaient ensuite loué l’adresse, obtenant ainsi des frais de domiciliation.
 

Iris Robinson avait comparé l’homosexualité à la pédophilie, les englobant en une même réprobation. C’était au lendemain d’un crime commis par trois homophobes à l’encontre d’un homme paisible. Puis elle s’était rétractée à demi. C’était en juin 2008, et son aventure platonique avec son jeune amant remontait au mois de mars venait de virer à l’intime. Elle avait alors 59 ans. À présent, les pasteurs invoquent le roi David et son amante, Bathsheba, pour invoquer la rémission des péchés et l’indulgence de l’opinion. On la croit réfugiée à Chamonix en attendant que le brouhaha s’estompe…  Elle aurait pu se retirer à Londres, où le couple possède un appartement, ou en Floride, dans leur résidence secondaire.

 

L’affaire a pris un tour plus délicat encore lorsque le jeune homme a révélé que son amante lui avait demandé, en liquide, une commission de 10 % sur la somme qu’elle avait pu obtenir pour lui. Puis que, ayant rompu, elle avait exigé de lui la moitié de son affaire (le bar-restaurant The Lock Keeper’s Inn, très fréquenté par les pipeules locaux, était auparavant un bien municipal, mais comme par hasard, c’est le jeune homme qui en avait obtenu la concession et il se trouve que l’un des fils d’Iris Robinson est conseiller municipal de la localité) mais aussi que des fonds soient versés tant à la paroisse de sa belle-sœur, Pat Herron, qui la dirige, qu’à cette proche. Pat Herron déclare à présent ne jamais avoir reçu le moindre argent de la sorte. De plus, telle une Rachida Dati ou un Julien Dray, il se révèle que Mrs Robison affectionnait les beaux stylos et avait obtenu un remboursement de 300 livres pour Mont-Blanc (Rachida Dati en avait fait acquérir plusieurs par la Chancellerie). Le jeune homme est devenu pour sa part une icône de la presse gay britannique…

 

Parfois comparée à Sarah Palin pour son franc-parler et ses vues ultra-conservatrices (mais aussi anti-papistes), et se disant inspirée par la Scarlett O’Hara d’Autant en emporte le vent, Iris Robison quémande désormais sympathie et oubli. Qu’elle se rassure : on l’oubliera vite ! Mais on chantonnera peut-être un temps The First Lady was a Tramp

 

Depuis, son mari s’est mis, un temps, en réserve de la politique et de ses fonctions. Il s’est mis en « disponibilité » afin de veiller sur sa femme pour six semaines. Selon le Irish Times, Arlene Foster, avocate de 39 ans, ministre chargée des Entreprises, pourrait lui succéder… Son parcours politique avait notamment été marqué, en septembre 2007, par son appui à un projet immobilier d’un promoteur privé, Seymour Sweeney, proche du fils du pasteur Ian Paisley. C’est le National Trust (société d’économie mixte, pour résumer) qui avait finalement été retenu.

 

Pour sa part, Iris Robinson est soulagée : selon elle, Dieu lui aurait pardonné.