Le 22 avril s’est tenue à Paris l’assemblée générale des actionnaires de L’Oréal. Le 23 avril, la presse s’en tient à l’essentiel : Liliane Bettencourt est reconduite en tant qu’administratrice, Jean-Paul Agon, Pdg succédant à Lindsay Owen Jones a reçu 7 millions d’euros en stocks options et son salaire a bondi de 12 % (à 3,8 millions d’euros, dont 2,1 de « partie fixe »). Oubliés les remous ayant prolongé au-delà du souhaité (par la direction) les débats de l’AG, plus question de reparler du Mouvement des chômeurs et précaires, ni des plaintes en dénonciation calomnieuses visant, selon l’ex-patron et son avocat, Jean Veil, Janez Mercun, distributeur se disant floué par x (qui ne pourrait être, selon lui, que partie de l’ex-direction du groupe), et son avocat, Me Frederick Karel Canoy.

Annette Roux et Charles-Henri de Filippi resteront aussi, auprès de Liliane Bettencourt, administrateurs de L’Oréal. Lindsay Owen-Jones touchera des jetons de présence en tant que président d’honneur (en fait, plutôt « receveur »). « Restez acheteurs » proclame la presse boursière.

Donc, plus question de revenir sur le don de 100 millions d’euros, net d’impôt, consenti à Owen-Jones par Liliane Bettencourt : un président d’honneur, qui avait approuvé les juteux contrats de parrainage artistiques dont bénéficia François-Marie Banier jusqu’à ce que la pression médiatique, en septembre 2010, conduise à leur non-renouvellement, ne peut être qualifié de « chef de bande organisée ».

C’est pourtant ainsi que l’envisagent Janez Mercun, un Slovène qui fonda la compagnie suisse Temtrade, et son conseil, Me Canoy. Depuis 1974, et jusqu’en 1999, Temtrade avait obtenu de L’Oréal l’exclusivité de la commercialisation de divers produits pour l’Europe de l’Est et la Russie. Mais, dès 1996, selon Me Canoy, il s’était aperçu qu’un marché parallèle concurrent, se dispensant des taxes à devoir et des formalités officielles, lui faisait une concurrence insurmontable. Il avait obtenu, en 1998, une compensation à hauteur de trois millions d’euros mais ne s’en était pas satisfait. Mais la Cour de cassation française, en 2003, confondant peut-être le civil et le pénal,  tirait l’épine du piede de L’Oréal. Entretemps, la société ayant légalement succédé à Temtrade obtenait diverses indemnisations avant que, indique Libération (article de Renaud Lecadre du 22 dernier), son dirigeant finisse « embastillé pour fraude fiscale. ».

Là, Janez Mercun a saisi le doyen des juges d’instructions pour contourner la prescription de trois ans visant des faits de blanchiment d’argent. « Si l’on considère que les faits sont ceux d’une bande organisée, on peut éviter la prescription, » explique Me Canoy qui, aux lendemains de l’AG, ne semble guère s’émouvoir de la plainte censée le viser et dont il n’a pas obtenu notification, assure-t-il.

Du coup, de ces faits anciens, il en fut question lors de l’AG au Palais des congrès de Paris. D’un côté, le Mouvement national des chômeurs et précaires a remis sur le tapis « le don caché » (notamment au fisc) de Liliane Bettencourt à Owen Jones. D’autre part, Janez Mercun a fait réitérer ses accusations rapportées par le quotidien espagnol El Pais : le marché parallèle organisé en Russie, Ukraine et Biélorussie en particulier profitait à diverses sociétés-écrans dont la majorité « avaient pour objectif la dissimulation de l’évasion fiscale (…) et surtout l’enrichissement personnel, particulièrement celui de Sir Owen-Jones… » (titre « Otro escandalo en la casa L’Oréal », d’Ana Teruel, daté du 7 avril).

Réponses solennelles d’Owen-Jones et de Jean Veil : des plaintes ont été déposées contre le quotidien 20 minutes, contre Janez Mercun et « également contre Me Frederik-Karel Canoy ». L’annonce de ces plaintes, révélée dès le 16 avril dernier, a été reprise lors de l’assemblée générale.

On se souvient combien de politiques (ainsi du ministre Besson contre Bakchich), combien de capitaines d’industrie (Servier, avec le Mediator, n’ayant pas vraiment fait exception), proclament avoir déposé des plaintes pour diffamation, dénonciation calomnieuse, &c.

En faire l’annonce est une chose, saisir le procureur une autre. Là, aux dernières nouvelles, il semble que la formulation de la plainte, qui doit être soigneusement motivée, pose quelques problèmes. Qu’importe, l’essentiel était que les actionnaires passent au point suivant de l’ordre du jour.

On s’étonnera que le seul 20 minutes soit poursuivi, parmi tant d’autres titres de presse. Pour Me Canoy, on comprend, il laisse sur son blogue-notes un billet sans complaisance. Mais si divers sites, comme celui d’Atlantico, ont joué la prudence (« s’agit-il d’une simple entreprise de déstabilisation (…) ou d’un véritable scandale financier ? »), d’autres ont été plus catégoriques. On ne comprend pas non plus pourquoi Gilles Weil et Gérard Guyot-Jeannin, « anciens hauts dirigeants de L’Oréal » visés par « deux autres plaintes » liés au mêmes faits (informations rapportées par 20 minutes et reprises largement, notamment par Challenges), ne se sont pas associés à ces contre-feux.

Après tout, Investir a aussi repris les affirmations de Janez Mercun et les termes de sa plainte (abus de confiance, abus de biens sociaux, corruption active et passive, blanchiment aggravé, recel et complicité) en ajoutant que, selon le plaignant, le marché gris était le fait « du crime organisé ».

Béatrice Dautresme, chargée de la communication de L’Oréal jusqu’à peu, n’aura plus à gérer ce dossier. C’est à Sara Ravella qu’il faudra s’adresser pour le suivi. Elle avait été présentée par Jean-Paul Agon lors de vœux à la presse, en janvier dernier, lequel affirmait : « nous avons une vraie volonté d’être plus accessibles. ».
Elle se déclarait adepte « de la transparence et du vrai » dans un groupe « grand citoyen du monde ». La Collaboration, chez L’Oréal, on a connu : il semblerait que dans le choix de collaborateurs extérieurs, on se soit aussi fourvoyé. Les mafieux non plus ne connaissent pas de frontières, mais on peut donc espérer désormais que le « grand citoyen » saura éviter, dans les pays de l’Est comme ailleurs, des partenariats qu’une plainte en dénonciation calomnieuse ne saurait tout à fait faire totalement oublier. Même après une AG en forme de tombé de rideau à l’Opéra comique.